Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Cervantès (Miguel de) (suite)

Puis, curieusement, le roman s’entrouvre au reportage objectif dans la manière de ce qui fut plus tard le journalisme. Car les expériences barcelonaises de Don Quichotte et de Sancho relèvent davantage de la rubrique ou de la chronique de presse que du roman. On visite une imprimerie, on assiste aux brimades à bord d’une galère, on « participe » à l’abordage d’un bateau turc. Ce dernier récit est suivi de digressions pleines de sous-entendus politiques : les morisques exilés en 1609 devraient servir de lien entre Mores nord-africains et chrétiens espagnols, car leur alliance mettrait fin à l’odieuse tyrannie de la petite minorité turque sur l’Algérie et à la menace des Barbaresques sur les côtes d’Espagne. Il y a même, à ce propos, une nouvelle galante digne d’un feuilleton dans un périodique.

Devant tant d’événements d’importance nationale et dans cette grande ville où l’individu est perdu dans la masse. Don Quichotte et Sancho perdent leur initiative ; ils deviennent et ils se sentent les jouets passifs de l’histoire qui se fait. Oui, il est grand temps que le bachelier Carrasco les ramène, vaincus, au village, à la maison, là où les individus trouvent leur vraie dimension. Une dernière fois, les deux bons amis rêvent d’une nouvelle métamorphose où ils deviendraient l’un le berger Quijotiz, l’autre le berger Pancino.

C’est que Cervantès a épuisé le thème chevaleresque : ses héros ne parviennent plus qu’à faire des variations et des fugues à partir du motif, du leitmotiv, de la folle aventure en marge de la société établie. Il est grand temps que Don Quichotte laisse l’armure où il est engoncé pour la libre pelisse. Le bon chevalier reconnaît son erreur et le caractère utopique de la société dont il rêva et qui serait fondée sur la seule justice. Mais il se laisse prendre à une théorie bien différente et, certes, pleine d’attraits : et si l’homme renonçait à l’usage de la force, qu’adviendrait-il ? Le refus individuel de la violence, au sein d’une communauté agreste, politiquement et économiquement immuable, voilà la panacée. Pour le prouver, il n’est que de rester sur place, en ce tranquille village de la Manche, dont Cervantès ne veut pas rappeler le nom.

Ce n’est pas le moindre paradoxe que nos deux aliénés, ainsi, continuent à se proposer de désaliéner leurs prochains, victimes du nouvel ordre économique, et à défendre les hidalgos ruinés, les paysans chassés de leurs villages contre les trafiquants en proie à la fièvre de l’or et toute l’écume de voleurs, d’aubergistes, de muletiers, de comédiens, d’escrocs, de poètes, de bandits de grand chemin et d’oisifs, ridicules stratèges de la politique. Leur exemple est probant : ils sont parvenus à se désaliéner eux-mêmes ; ils ont vaincu les démons que les livres de chevalerie avaient installés dans leur esprit. Ils savent maintenant que l’homme s’aliène dès qu’il vit en société, que, s’il ne s’y soustrait, il ne saurait désaliéner les autres. Seule subsiste une chance : la solitude du berger pacifique dans une communauté champêtre primitive et toute simple.

Il y avait bien une autre solution, qu’amorça un jour Sancho au cours d’un entretien avec son maître : la sainte vie de l’ermite. Mais Cervantès l’élude. Le fait est significatif. Entre la ferveur spirituelle du xvie s. et le conformisme religieux du xviie, Cervantès maintient un humanisme ou réticent ou prudent à l’égard de l’Église.

Il y a même une troisième solution, la plus sûre, que notre pauvre héros et notre pauvre écrivain accueillent comme une délivrance, le « double » en 1615, l’autre en 1616, la mort où ils vont se retrouver enfin tels que l’éternité les change, hommes quelconques — Alonso Quijano et Miguel Cervantès — et donc immortels, dignes d’exemple jusqu’au bout, jusqu’à cette grande et ultime aventure. Ils se retirent l’un et l’autre sur la pointe des pieds. Ils demandent pardon de leurs sottises et de leurs erreurs.

Ils ont parlé, ils parlent encore pour nous tous.

C. V. A.

➙ Espagne / Héros littéraire / Roman.

 A. Castro, El pensamiento de Cervantes (Madrid, 1925) ; Hacia Cervantes (Madrid, 1967). / M. Bardon, « Don Quichotte » en France aux xviie et xviiie siècles (Champion, 1931 ; 2 vol.). / P. Hazard, Don Quichotte de Cervantès (Mellottée, 1931). / G. Hainsworth, Les « Novelas ejemplares » de Cervantès en France au xviie siècle (Bibl. de la Revue de littérature comparée, 1933). / J. Casalduero, Sentido y forma del teatro de Cervantes (Madrid, 1951). / R. Marrast, Cervantès (l’Arche, 1957). / M. Robert, l’Ancien et le nouveau. De Don Quichotte à Franz Kafka (Grasset, 1963 ; nouv. éd., Payot, 1967). / E. C. Riley, Teoría de la novela en Cervantes (Madrid, 1966). / J.-M. Pelorson, Cervantès (Seghers, 1970). / P. Guénoun, Cervantès (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1971).

cerveau

Partie antérieure de l’encéphale et, par extension, ensemble de l’encéphale de l’Homme et des Vertébrés. On peut également appeler cerveau la portion antérieure dorsale du système nerveux central des animaux céphalisés appartenant aux autres embranchements.


Généralités

Les animaux fixés ont généralement une symétrie radiée (Cnidaires, Echinodermes) et sont dépourvus de tête et de cerveau. Les animaux mobiles ont une symétrie bilatérale, et le rassemblement, au voisinage de la bouche — presque toujours antérieure quand l’animal se déplace —, des organes sensoriels nécessaires à l’exploration du milieu y entraîne une concentration du système nerveux central, formant les ganglions cérébroïdes ou le cerveau.

Chez les Mollusques Céphalopodes et chez les Vertébrés, le système nerveux central est enveloppé d’une paroi squelettique, cartilagineuse chez les premiers, cartilagineuse ou osseuse chez les seconds. La portion céphalique de ce squelette protecteur forme le crâne, et la partie du système nerveux central contenue dans le crâne est l’encéphale. Chez les Vertébrés, le nom vulgaire correspondant à l’encéphale est la cervelle : elle se subdivise en une portion antérieure, ou cerveau, et une portion postérieure, ou cervelet, unies entre elles et à la moelle épinière par le tronc cérébral.