Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

catholicisme social (suite)

(Arrancy, Aisne, 1834 -Lausanne 1924). Né dans une vieille famille originaire du Dauphiné, il entre en 1852 à Saint-Cyr, d’où il sort deux ans plus tard pour participer à la campagne de Crimée ; il termine la campagne d’Italie (1859) avec le grade de capitaine. À Metz, en 1870, où il est fait prisonnier, il se lie avec Albert de Mun, dont il partage la captivité à Aix-la-Chapelle : les deux amis se familiarisent alors avec le programme corporatif de Mgr Ketteler.

Quand La Tour du Pin rentre en France (mars 1871), son plan — qui est aussi celui d’Albert de Mun — est arrêté : servir l’Église en se dévouant aux classes populaires.

La Tour du Pin joue un rôle prépondérant dans la fondation des Cercles catholiques d’ouvriers (1871) ; animateur du Conseil des études, il fonde en 1874 une revue mensuelle, l’Association catholique, qui sera longtemps la revue d’avant-garde des catholiques sociaux en France. Attaché militaire à Vienne (1877-1881), il démissionne avec le grade de lieutenant-colonel. Il peut alors se consacrer entièrement à la question sociale ; son maître à penser est Frédéric Le Play.

Président du Conseil des études de l’Œuvre des cercles catholiques d’ouvriers, La Tour du Pin élabore une doctrine sociale fondée sur le contrat de travail, le juste salaire et l’organisation syndicale. Cette doctrine est une réfutation du libéralisme issu de la Révolution. Le libéralisme n’étant à ses yeux que la conséquence inéluctable de l’individualisme, La Tour du Pin deviendra le principal théoricien de l’organisation corporative. Élément actif des travaux de l’Union de Fribourg (1884-1891), il se réjouit de la publication de l’encyclique Rerum novarum. Mais il doit se séparer alors de l’Œuvre des cercles, périmée à ses yeux ; il s’éloigne encore un peu plus d’Albert de Mun quand celui-ci se rallie à la république. La Tour du Pin, en effet, refuse de rompre avec le parti monarchiste. À l’époque de l’affaire Dreyfus, il se fait remarquer par sa violence antisémite.

La pensée de celui qu’on a appelé « le théoricien du catholicisme social » est tout entière dans son ouvrage Vers un ordre social chrétien, publié en 1907.


Gaspard Mermillod

(Carouge, près de Genève, 1824 - Rome 1892). Élève du collège des jésuites à Fribourg, il est ordonné prêtre en 1847. Curé de Genève, vicaire général de Lausanne, il est nommé évêque in partibus d’Hébron en même temps qu’on lui confie la juridiction officieuse du canton de Genève (1864), bientôt érigé en vicariat apostolique (1870). Entre-temps, il parcourt l’Europe et la France en prédicateur, se faisant connaître par la hardiesse de ses vues et notamment de sa doctrine sociale : le 23 février 1868, dans la chaire de Sainte-Clotilde à Paris, il prononce un sermon retentissant où, en termes sévères, il met les classes privilégiées en face de leurs lourdes responsabilités en un temps où la classe ouvrière connaît un sort très dur.

Cependant, les autorités fédérales suisses, n’ayant pas entériné l’érection du vicariat apostolique (en fait l’évêché) de Genève, interdisent à Mgr Mermillod — considéré d’ailleurs comme un prélat trop remuant — d’exercer sa charge. Interdit de séjour pour indiscipline (1873), l’évêque se fixe à Ferney (Ain), puis parcourt de nouveau l’Europe, où le suit sa réputation de « prédicateur social ».

Le 15 mars 1884, Léon XIII met fin au vicariat apostolique de Genève et nomme Mgr Mermillod évêque de Lausanne et Genève avec résidence à Fribourg. Désormais, l’évêque suisse sera « l’homme du pape » — qui le fait cardinal en 1890 —, son conseiller le plus écouté, notamment en matière d’enseignement social.

Étant encore à Rome, il avait été l’âme du Comité d’études sociales créé en 1882 sur la demande du souverain pontife. Rentré en Suisse, il constitue, sur les suggestions de La Tour du Pin, un nouveau comité qui sera comme le confluent des comités de Rome, Paris et Francfort : ainsi naît l’Union catholique d’études sociales de Fribourg (oct. 1884).

Le but de l’Union est « d’assurer aux travailleurs, à la jeunesse, à l’enfant de l’ouvrier, à tous ceux enfin qui mangent leur pain à la sueur de leur front, la protection à laquelle ils ont droit, pour leur corps, pour leur âme, pour leur famille, et par là, préparer l’apaisement des discordes civiles ». La critique systématique du régime capitaliste et de l’usure, la mise en place d’une thèse du juste salaire, la préparation d’une législation internationale assurant aux travailleurs le repos dominical, la limitation du travail industriel pour les femmes, les enfants et les adultes, la protection du travailleur contre les matières nuisibles et explosives : tel est l’essentiel de la tâche accomplie par l’Union de Fribourg, constamment encouragée par Léon XIII, car Mgr Mermillod met fidèlement le pape au courant de l’élaboration d’une doctrine sociale qui sera exprimée dans l’encyclique Rerum novarum (1891).


Albert de Mun

(Lumigny, Seine-et-Marne, 1841 - Bordeaux 1914). Issu d’une vieille famille originaire du Bigorre, Albert de Mun sort de Saint-Cyr en 1862. Après avoir servi dans les chasseurs d’Afrique, il participe à la bataille de Metz (1870) : il y est fait prisonnier avec son ami René de La Tour du Pin. En Allemagne, il prend contact avec la doctrine et l’œuvre sociale de Mgr von Ketteler. Rentré en France, le spectacle de la Commune (1871) l’amène à réfléchir sur les responsabilités des classes dirigeantes vis-à-vis du peuple révolté : en décembre 1871, il jette à Montparnasse les bases de l’Œuvre des cercles catholiques d’ouvriers, qui est fondée officiellement à Belleville le 7 avril 1872.

En 1875, pour mieux se consacrer à cette œuvre, Albert de Mun quitte l’armée ; on compte alors en France 150 cercles groupant 15 000 ouvriers ; en 1880, l’œuvre atteint 40 000 membres, mais elle plafonne rapidement. C’est que les cercles, s’ils prétendent être des foyers intenses de vie religieuse et d’activité sociale, sont très paternalistes dans leur inspiration et leur encadrement.