Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

capitalisme (suite)

Enfin, le perfectionnement des politiques économiques, dû largement à l’apport de Keynes, permet de réduire aux proportions de paliers et de reprises successifs (stay and go) des crises cycliques qu’on avait pu croire inhérentes au système ; celles-ci n’étaient que l’effet des entraves, réglementaires ou sociologiques, à la réalisation des conditions du fonctionnement harmonieux du capitalisme, apportées ou tolérées par un État dont l’interventionnisme aurait dû consister à « gérer la concurrence ».

H. T.

« Contre » le capitalisme...

Le système de relations économiques et sociales auquel a été donné le nom de capitalisme fait l’objet de nombreuses critiques, dont les unes visent à le transformer et les autres à lui substituer un système considéré comme meilleur.

1. L’efficacité du capitalisme mise en cause

Il est incontestable que les pays industrialisés ont connu, plus encore sans doute dans le troisième quart du xxe s. qu’au cours du xixe, une remarquable expansion économique qui s’est, en particulier, traduite par une notable amélioration des niveaux de vie d’une partie importante de leur population. Certains des critiques contemporains font toutefois remarquer qu’entre 1945 et 1970 la République démocratique allemande a connu, dans le cadre d’un régime socialiste, un développement économique considérable malgré les destructions de la Seconde Guerre mondiale et le démantèlement de toutes ses usines par les autorités d’occupation soviétiques.

En matière de production, les partisans du capitalisme peuvent appuyer leur argumentation sur des faits apparemment solides. Fondée sur la recherche du profit, l’activité productive tend à satisfaire les besoins. Mais quels besoins ? Les besoins solvables et eux seuls. Dans les pays industrialisés sont donc satisfaits, d’une manière générale, les besoins ordinaires de l’existence, que la plupart des générations précédentes (et la grande majorité des hommes vivant aujourd’hui sur notre planète) ne parvenaient (ou ne parviennent pas encore) à satisfaire que très partiellement : besoins nouveaux nés de la transformation des conditions matérielles de vie ; besoins artificiellement créés par la publicité ; besoins malsains aussi, dont la recherche de satisfaction est encouragée par le niveau des profits et par les sentiments d’insécurité matérielle et morale du monde moderne : d’où le développement de l’alcoolisme, de la toxicomanie, de la pornographie, de la débauche et du proxénétisme, etc. En revanche, une masse considérable de besoins individuels et collectifs ne sont pas satisfaits par l’initiative privée, parce que leur demande n’est pas solvable ou parce que le profit qu’il serait possible de tirer de leur satisfaction paraît insuffisant : logement, transports publics, éducation, culture, santé, hygiène, etc.

Même dans les pays industrialisés, une fraction sensible de la population n’atteint qu’un niveau très inférieur de satisfaction des besoins : vieillards, inadaptés physiques, mentaux ou sociaux, travailleurs immigrés, etc.

On peut également constater que, lorsque l’initiative privée satisfait les besoins, c’est rarement au meilleur prix, du fait de nombreux facteurs : rente de situation ; concentrations, monopoles et ententes dans certaines branches ; multiplication, dans d’autres branches, des entreprises au prix de revient d’autant plus élevé que l’unité de production marginale est plus petite ; accroissement des coûts de distribution par l’intervention d’intermédiaires successifs ; gonflement des prix de revient par l’incorporation de frais généraux abusifs et de frais de publicité, dont le coût représente souvent la majeure partie de la somme payée par le consommateur.

On peut également mettre au passif du système les gaspillages ainsi que les nuisances et les pollutions. Gaspillage que la culture extensive des terres, ainsi vouées à la stérilisation, ou que la destruction des faunes, comme celle qui résulte de l’utilisation inconsidérée des techniques de pêche et de conserverie ; gaspillage aussi que la destruction, en période de crise, des excédents agricoles ou leur transformation coûteuse en produits de moindre valeur ; gaspillage encore que l’achat de brevets dans l’intention de ne pas les exploiter. Les nuisances et les pollutions qui mettent en danger le milieu naturel dans lequel vit l’homme ne sont-elles pas la conséquence d’un développement industriel fondé sur l’initiative privée et la recherche du profit maximal, alors que la défense de l’environnement impliquerait la reconnaissance de la primauté du bien commun, c’est-à-dire la prise de mesures de discipline collective ?

Alors que les premiers économistes de l’école classique rejetaient l’intervention de l’État en matière économique en vue de laisser toute liberté à l’initiative privée et à la concurrence pour autoréguler la production, la constatation des défaillances des mécanismes théoriques a conduit les gouvernements des pays industriels à multiplier leurs interventions soit pour tenter d’interdire les pratiques des monopoles, soit pour essayer d’assurer la satisfaction des besoins pas ou peu solvables, ou encore pour encourager l’industrialisation de régions déshéritées, etc. En matière de répartition des richesses, les premiers auteurs classiques doutaient que les mécanismes de l’économie libérale fonctionnent d’une manière aussi favorable à l’intérêt général qu’en matière de production. Parlant de la catégorie des travailleurs, J.-B. Say se demandait : « Est-il bien sûr que sa part de produit soit exactement proportionnée à la part qu’elle prend dans la production ? » Adam Smith affirmait : « La rente et le profit mangent le salaire, et les classes supérieures de la nation oppriment l’inférieure. » C’est seulement avec Bastiat et ses successeurs que le capitalisme est considéré en tout point, tant en matière de distribution que de production, comme le meilleur des systèmes économiques et sociaux possibles ; en effet, selon eux, la recherche du profit — principal objet de l’entreprise privée — constitue, avec la libre concurrence, le moteur le plus efficace qui soit d’une économie dans laquelle les besoins des consommateurs sont de mieux en mieux satisfaits. Avec des fluctuations, sur un marché libre, des prix, des offres et des demandes, l’équilibre automatique entre l’offre et la demande se réalise, ainsi que l’équilibre social entre la croissance de la rémunération de l’entreprise (profit), sans laquelle l’innovation et le perfectionnement technique seraient ralentis, ou même impossibles, et la croissance des revenus des consommateurs (essentiellement des salaires), sans laquelle la demande solvable serait insuffisante pour stimuler la production.