Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Cantor (Georg) (suite)

Bien que Kronecker ait traité Cantor de « corrupteur de la jeunesse », deux mémoires de Mittag-Leffler utilisent pour la première fois les notions cantoriennes dans des recherches positives. Au congrès des mathématiciens de Zurich en 1897, Jacques Hadamard (1865-1963), Adolf Hurwitz (1859-1919) et David Hilbert rendent hommage au grand novateur. Enfin, publiées en 1898, les Leçons sur la théorie des fonctions d’Émile Borel (1871-1956) présentent un exposé partiel de ses idées et en donnent des utilisations désormais classiques.

J. I.

 J. Cavaillès, Philosophie mathématique (Hermann, 1963).

canuts (la révolte des)

Insurrection des ouvriers en soie de Lyon en 1831.


On appelle canut, à Lyon et dans la région lyonnaise, l’ouvrier spécialisé dans le tissage de la soie sur un métier à bras. Aux environs de 1830, la « fabrique lyonnaise » est composée de trois éléments : les négociants, les chefs d’atelier, les compagnons.

Les négociants, ou marchands fabricants, les soyeux, constituent une aristocratie fermée de commissionnaires qui reçoivent les commandes et fournissent du travail aux chefs d’ateliers, qu’ils paient. On en compte environ 1 400, groupés en 400 raisons sociales. Les chefs d’atelier, ou maîtres ouvriers, les canuts proprement dits, sont au nombre de 8 000 ; ils sont tisseurs à domicile et propriétaires de leurs métiers. Le plus grand nombre demeure dans les hautes maisons de la Croix-Rousse. Les compagnons — 30 000 environ — sont payés par les chefs d’atelier, qui les logent chez eux.

Bien que leurs conditions de vie, d’habitat et de travail aient été améliorées depuis le xviiie s. et bien qu’ils forment une classe de travailleurs très qualifiés, considérés comme tels par les autres corps de métiers, les canuts, au début de la monarchie de Juillet, s’entassent encore dans les galetas sans air et lumière. Ils doivent, pour s’assurer un salaire convenable (de 2 à 3 francs par jour pour 6 aunes, ou 7 mètres de soie), se tenir à leurs métiers, eux, leurs femmes, leurs enfants, leurs compagnons, jusqu’à 16 et 18 heures par jour. Les moindres fluctuations économiques se répercutent sur les salaires des maîtres ouvriers et de leurs auxiliaires.


Une classe qui s’appauvrit dans une ville qui s’enrichit

La révolution de 1830 n’a guère ébranlé l’industrie de la soie à Lyon. Si les fabricants ont tendance à abaisser progressivement les salaires, c’est moins à cause de la concurrence étrangère qu’en fonction de la concurrence qu’ils se font entre eux. D’ailleurs, au début de 1831, les ouvriers savent que d’importantes commandes de soieries sont venues des États-Unis.

Les canuts, pour défendre leurs intérêts, se laissent gagner par le mutuellisme. En 1827, un chef d’atelier, Pierre Charnier, a fondé la Société de surveillance et d’indications mutuelles, destinée à organiser l’entraide chez les chefs d’atelier de la Croix-Rousse. De cette société se détache, en 1828, la société le Devoir mutuel. En avril 1831, une mission saint-simonienne, dirigée par Pierre Leroux et le Lyonnais Jean Reynaud, attire à Lyon plus de 5 000 personnes, en majorité des ouvriers en soie et des compagnons.


La fixation d’un « tarif au minimum »

Le 11 octobre 1831, le conseil des prud’hommes délibère et signe une déclaration où il est dit notamment : « Considérant qu’il est de notoriété publique que beaucoup de fabricants paient réellement des façons trop minimes, il est utile qu’un tarif au minimum soit fixé pour le prix des façons. » Le préfet du Rhône, Bouvier-Dumolard, propose de réunir, pour en délibérer, des délégués de patrons et d’ouvriers. Le 15, la chambre de commerce, les maires de Lyon et des faubourgs, Vaise, la Croix-Rousse et la Guillotière, décident de confier la rédaction d’un tarif à 28 fabricants désignés par la chambre de commerce et à 22 canuts élus par leurs camarades. Le 18, des délégués des 8 000 chefs d’atelier portent au préfet une adresse où il est dit : « Le moment est venu où, cédant à l’impérieuse nécessité, la classe ouvrière doit et veut chercher un terme à sa misère. »

Le 25 octobre, les représentants des soyeux et des canuts se réunissent à la préfecture ; les deux parties se mettent d’accord sur un tarif qui doit être appliqué à partir du 1er novembre sous le contrôle du conseil des prud’hommes. Afin d’appuyer plus efficacement son action revendicatrice, l’Association générale et mutuelle des chefs d’atelier lance un journal, l’Écho de la fabrique.

Cependant, l’agitation change de camp. Beaucoup de fabricants protestent contre l’acte du 25 octobre, prétendant que c’est la tyrannie populaire qui l’a arraché à leurs délégués. Le 10 novembre, 104 d’entre eux signent un manifeste où il est déclaré que les ouvriers demandent des salaires exagérés « parce qu’ils se sont créé des besoins factices », et où il est réclamé l’abolition de la convention collective du 25. Allant plus loin, certains fabricants coupent toute commande à leurs chefs d’atelier, les acculant au chômage et à la misère.


Le drapeau noir

Colère des canuts. Ici et là, la grève éclate. Le 20 novembre, une pétition est portée à la préfecture, tandis que les 10 000 hommes de la garde nationale manœuvrent place Bellecour. Bientôt apparaissent les premiers drapeaux noirs (drapeaux de deuil), que va orner le célèbre cri de la misère : « Vivre en travaillant ou mourir en combattant. »

Des barricades se forment ; on entend les premiers coups de feu. Les manifestations se multiplient dans le centre de la ville, tandis que le général Roguet, commandant la garnison, reçoit des renforts importants. Dès le 20 novembre, Roguet fait attaquer la Croix-Rousse par deux colonnes : il échoue. Et, malgré les appels du préfet, l’insurrection devient générale.

Les 21 et 22 novembre, des milliers de canuts et d’ouvriers de diverses professions, descendus des hauts quartiers populaires, se battent dans le centre de la ville contre la troupe et contre la garde nationale, dont certains éléments rejoignent les émeutiers. La prise de l’arsenal marque la victoire de ces derniers : le soir du 22 novembre, autorités municipales et troupes évacuent Lyon. Mais deux jours de combats ont fait 200 tués ou blessés chez les ouvriers, 75 tués et 263 blessés du côté des militaires.