Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Canada (suite)

L’Acte de Québec

Les bons rapports avec les Anglais devaient se révéler vite profitables : le 22 juin 1774, George III signe l’Acte de Québec. Consternation dans les vieilles colonies anglaises : sur le plan territorial, la province de Québec (et donc le champ d’expansion ouvert aux sujets francophones) s’étend jusqu’aux côtes du Labrador, très loin dans l’Ouest et, au sud-ouest, jusqu’au confluent du Mississippi et de l’Ohio ; l’arrière-pays est de nouveau barré pour les vieux colons des Treize Colonies, mais, cette fois, par la Couronne elle-même ! Sur le plan institutionnel, les concessions de Londres sont également de taille : le « test » est aboli, et l’Église catholique peut à nouveau recevoir la dîme. Les anciennes lois françaises sont rétablies, sauf au criminel, où le droit anglais est plus libéral.


L’indépendance américaine

L’Acte de Québec contribue à la rupture définitive entre la Couronne et les Treize Colonies, qui se sentent totalement trahies par la collusion « anglo-canadienne ». George Washington dénonce le « plan diabolique » de Londres.

La guerre d’Indépendance américaine se développe à partir d’avril 1775, et les Canadiens ont très vite l’occasion de montrer leur loyalisme vis-à-vis de George III : s’ils ne soutiennent pas les Anglais de façon très active, ils n’apportent pratiquement aucune aide aux insurgés, qui, après la prise de Montréal, doivent battre en retraite après un sévère échec devant Québec (31 déc. 1775).


Le recul des frontières et l’arrivée des « loyalistes »

Le traité de Versailles (1783) devait pourtant avoir de lourdes conséquences pour la province de Québec, dont les frontières se trouvent reportées loin au nord, au milieu des lacs Supérieur, Huron, Érié et Ontario : l’indépendance américaine, à laquelle avait tant participé la France, entrave définitivement l’influence des francophones au cœur de l’Amérique du Nord. Mais le domaine de ces derniers est bien plus menacé au cœur même du Canada, avec l’arrivée massive des « loyalistes », colons américains restés fidèles au drapeau britannique. La Nouvelle-Écosse est envahie par près de 30 000 immigrés, qui noieront les petits noyaux acadiens dans un monde anglophone. Dans la province de Québec, 16 000 à 17 000 loyalistes s’établissent dans les terres vierges proches du lac Ontario, mais aussi dans les régions colonisées du Saint-Laurent. Ainsi apparaît le problème de la coexistence entre les deux grandes communautés linguistiques du Canada. La quête d’une solution ne cessera guère de se poser...


Première séparation

L’Acte constitutionnel du Canada (10 juin 1791), première réponse au problème, marque encore aujourd’hui le pays de son empreinte : francophones et anglophones sont séparés. Aux premiers le Bas-Canada, jusqu’à la rivière des Outaouais (l’Ottawa) ; aux seconds le Haut-Canada et la façade sur les Grands Lacs. La Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et l’île du Prince-Édouard forment les trois provinces maritimes. Sur le plan des institutions, l’exécutif est confié à un gouverneur assisté d’un Conseil. Le législatif est partagé entre deux assemblées : les membres de l’une sont désignés à vie ; ceux de l’autre sont élus au suffrage censitaire. Les débuts de ce nouveau régime sont paisibles mais, dans le Haut- comme dans le Bas-Canada, l’absence de contrôle des Chambres sur l’exécutif suscite peu à peu des déceptions, fortifiées par une situation économique malsaine. En outre, dans le deuxième territoire, des tensions « nationalistes » se dessinent, et un journal français, le Canadien, est saisi par le gouverneur James Henry Craig, en place de 1807 à 1811, qui décrit ainsi ses administrés catholiques : « Ils ne sont attachés à nous par aucun lien, si ce n’est celui d’un gouvernement commun [...]. » Enfin, horresco referens, « il n’y a pas parmi eux une seule personne qui puisse être décrite comme un gentleman ».


Guerre avec les États-Unis

Pourtant, la guerre avec les États-Unis (1812-1814) va être l’occasion d’une véritable prise de position du Bas-Canada en faveur du régime anglais. En 1812, les Américains échouent à l’ouest, sur les Grands Lacs, dans leur tentative d’invasion du Canada. Mais, en 1813, c’est au tour des miliciens français, sous les ordres de Charles Michel de Salaberry, de repousser les Américains à Châteauguay (26 oct.), au sud de Montréal. Après une offensive vers l’Hudson et une expédition à Washington, la paix de Gand (24 déc. 1814), obtenue par la lassitude des belligérants, ne change pas les frontières. Vers l’ouest, le 49e parallèle sera choisi comme limite en 1818.

Le conflit aura une influence certaine sur l’avenir du Canada en faisant naître chez beaucoup de ses citoyens « une vague conscience de leur nationalité » (R. Lacour-Gayet).


Le développement des oppositions

Un avenir définitivement séparé des États-Unis, mais également une « personnalité » propre s’affirmant avec le développement des oppositions intérieures, telle devait être l’évolution du Canada : à Montréal, comme dans le Haut-Canada, le pouvoir réunit autour de lui une clientèle de privilégiés, grands propriétaires terriens, négociants et administrateurs ; ici c’est le « Family Compact », là la « clique du château ». Dans les deux régions se détachent des leaders d’opposition qui vont jouer un grand rôle aux deux Assemblées. Louis Joseph Papineau*, le chef du « parti canadien », est élu en 1815 président de l’Assemblée de Montréal. D’abord grand admirateur de la monarchie anglaise, il en viendra, après 1830, à prôner « la colère et la haine contre les oppresseurs » [de son pays]. Dans le Haut-Canada, c’est William Lyon Mackenzie* (1795-1861), avec son journal, le Colonial Advocate, qui prend la tête de l’opposition à l’oligarchie locale (1824). Ici et là, les Assemblées cherchent à accroître leurs pouvoirs et à contrôler, notamment, les ressources financières du pays.


Premières crises

Une crise éclate à Montréal en 1827, après la onzième réélection de Papineau à la tête de l’Assemblée : le gouverneur, lord Dalhousie, refuse de le reconnaître. Mais une pétition de soutien à Papineau recueille 87 000 signatures. À l’ouest, dans le Haut-Canada, l’opposition se développe également avec l’élection de W. L. Mackenzie à la tête de l’Assemblée (1829). Enfin, en 1834, aux « quatre-vingt-douze résolutions », rédigées en partie par Papineau, répond comme un écho le « septième rapport du comité des remontrances », dû à la plume de Mackenzie : les deux documents exigent l’élection du Conseil législatif (la Chambre haute) et la responsabilité de l’exécutif devant l’Assemblée.