ou Aertsz, peintre néerlandais (Amsterdam 1508 - id. 1575).
Nous savons par Carel Van Mander, premier historien de la peinture des Pays-Bas, qu’Aertsen naquit à Amsterdam, où son père était fabricant de bas. Mais une grande partie de son activité se situe à Anvers, où sa présence est attestée vers 1525. Il y est inscrit à la corporation des artistes. Aertsen est donc placé dans un milieu urbain d’une activité prodigieuse. Dans la première moitié du xvie s., en effet, Anvers* est la ville d’Europe qui se développe le plus rapidement. Sa richesse commerciale s’accompagne d’un remarquable essor culturel, et l’on évalue à plus de quatre cents le nombre des artistes qui y travaillent à cette époque.
Le peintre a-t-il fait le voyage d’Italie ? Le fait que Vasari* parle de lui ne suffit pas à le prouver, l’historien italien ayant eu des correspondants aux Pays-Bas. En 1542, Aertsen épouse la tante du peintre Joachim Beuckelaer, son cadet et élève. Après 1556, il retourne à Amsterdam ; la mode, à Anvers, a sans doute tourné en la faveur trop exclusive de la nouvelle école maniériste, dominée par Frans Floris*.
On connaît entre vingt-cinq et trente tableaux de Pieter Aertsen, dont une dizaine non signés, mais attribués d’une façon assez sûre. Cette production est inégalement partagée entre les scènes de genre et la peinture religieuse ; encore celle-ci est-elle le plus souvent traitée dans un esprit qui l’apparente à la scène de genre. Les titres des œuvres d’Aertsen sont révélateurs : la Fermière, du musée de Lille (1543) ; les Cuisinières, des musées de Bruxelles, de Gênes et de Stockholm ; plusieurs Marchandes de légumes ; le Repas de paysans, la Danse des œufs, les Faiseurs de crêpes des musées d’Anvers, d’Amsterdam et de Rotterdam. On a fait de Pieter Aertsen un des premiers représentants du réalisme populaire et paysan. Il est bien vrai que, lorsqu’il peint le Christ chez Marthe et Marie, il s’intéresse d’abord à Marthe, la ménagère, et consacre une bonne part du tableau à la description de la compagnie. Cela ne signifie pas forcément qu’il subordonne la peinture religieuse à la peinture de genre. Depuis 1540 environ, les peintres des Pays-Bas avaient coutume d’inclure les scènes religieuses dans le contexte de la vie rurale. Dans le Portement de Croix, dans l’Ecce Homo, Aertsen montre qu’il conçoit la peinture religieuse à travers un réalisme cosmique qui s’approche parfois de celui de Bruegel*.
Le réalisme d’Aertsen l’oppose à une partie de la peinture flamande de son temps qui cherche à imiter l’Italie — ainsi font les peintres Jan Van Amstel (actif à Anvers entre 1524 et 1541) et Maarten Van Heemskerck (1498-1574) —, insiste souvent sur les musculatures et les perspectives architecturales. Un style de composition original par l’élongation des figures souvent posées de biais, par la nouveauté de la mise en page (et parfois aussi le peu de rigueur anatomique) a fait qualifier Aertsen de maniériste. Il s’en faut de beaucoup qu’il rejoigne l’intellectualisme littéraire dont se nourrit le maniérisme* italien. Grâce à lui, au contraire, la scène de genre — cuisinières représentées en gros plan, vigoureusement dessinées, aux coloris éclatants — et la nature morte — l’Étal de boucher du musée d’Uppsala — conquièrent leurs lettres de noblesse.
Cette indépendance apparente à l’égard de l’Italie a sans doute été la cause de l’oubli où fut longtemps plongée l’œuvre de Pieter Aertsen. Van Mander, sans remarquer ce qu’elle doit à l’influence de Venise, la méprisait de ne point imiter la manière romaine. De nos jours on ne pense plus que toute bonne peinture, au xvie s., venait d’Italie. L’œuvre de Pieter Aertsen réaffirme l’existence d’un génie pictural proprement nordique, au reste magnifiquement exprimé par son contemporain Bruegel.
E. P.