Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Boulez (Pierre)

Compositeur français (Montbrison 1925).


Il travaille au conservatoire de Paris, notamment dans la classe d’O. Messiaen, puis s’initie au dodécaphonisme classique chez R. Leibowitz. Cependant, il étudie les hautes mathématiques, ce qui le marquera d’une empreinte profonde et fécondera un tempérament gouverné par une lucidité et une puissance organisatrice exceptionnelles.

En 1946, avec la Sonatine pour flûte et piano, la Première Sonate pour piano et la cantate Visage nuptial (René Char), il prend une position post-webernienne, mais déborde totalement le sérialisme classique, tendance que poursuivra la Deuxième Sonate pour piano (1948-49), où se manifeste une sauvagerie raffinée doublée de la rigueur d’une frénésie maîtrisée, déjà toute la dualité boulézienne. Le Livre pour quatuor (1948-1950) vient montrer, avec un lyrisme subtil, une tendresse altière et une poésie intense, que Boulez se situe aussi dans la lumière du génie debussyste. Sous l’influence du Mode de valeurs et d’intensités de Messiaen, c’est ensuite la dure ascèse du sérialisme intégral avec la cantate le Soleil des eaux (René Char) et Polyphonie X (1951). La détente se produira aussitôt avec le Premier Livre de « Structures » pour deux pianos (1952) et surtout avec le Marteau sans maître pour voix d’alto et six instruments (1955) [René Char], œuvre où se transcende le « debussysme » et le « webernisme » de Boulez, et où s’incorporent quelques conceptions auditives venues du gamelan indonésien et de la musique du théâtre nō. Cette partition donnera lieu à un nombre incalculable d’imitations plus ou moins heureuses, notamment dans la crise de « pointillisme » qui sévira dès lors jusqu’au maniérisme dans la jeune musique de l’époque.

En 1954, Boulez crée les concerts du Domaine musical (qu’il dirigera jusqu’en 1967), abandonne les fonctions de directeur musical et chef d’orchestre de la Compagnie Madeleine Renaud - Jean - Louis Barrault, qu’il occupait depuis huit ans, et se fixe en Allemagne, où il est pris en charge par Heinrich Strobel, directeur musical de la radio de Baden-Baden.

La Troisième Sonate pour piano (1956) inaugure chez lui la technique de « l’œuvre ouverte », en devenir, et fait intervenir certaines éventualités aléatoires. Poésie pour pouvoir (1958), d’après Henri Michaux, combine deux orchestres et des bandes magnétiques en une impressionnante sculpture sonore et stéréophonique. Le Deuxième Livre de « Structures » pour piano (1961) explore le domaine des résonances harmoniques. Pli selon pli pour voix et grand orchestre (1958-1962), sorte de portrait sonore de Stéphane Mallarmé, est, sur soixante minutes, l’œuvre symphonique la plus étendue et la plus poussée de son auteur. Cette expérience orchestrale raffinée se poursuit avec Figures, Doubles, Prismes (1958-1966), dont la richesse souligne l’ampleur de l’évolution réalisée depuis la synthèse décantée du Marteau sans maître. Cette évolution et ces acquisitions devaient ensuite se poursuivre avec Éclat (1965), brève pièce pour orchestre, et Domaines pour clarinette solo et vingt et un instruments (1968).

Ainsi Boulez s’affirme et se confirme le créateur le plus important de la jeune musique : nul compositeur français, depuis Debussy, n’avait eu une influence aussi décisive. Mais, indépendamment de cette fonction historique et dialectique (voir ses livres théoriques et polémiques : Penser la musique aujourd’hui, Relevés d’apprenti, Par volonté et par hasard), sa musique exprime liberté et maîtrise dans un univers poétique.

Boulez a fait soudainement une fulgurante carrière de chef d’orchestre : création du Wozzeck de Berg à l’Opéra de Paris (1963), cours de direction d’orchestre et analyse musicale de Bâle (depuis 1960), régénération de l’œuvre de Wagner à Bayreuth (depuis 1966) et nomination comme chef des Philharmonies de New York et de Londres (depuis 1969-70). Il est directeur de l’I. R. C. A. M. (Institut de recherche et de coordination acoustique-musique) au centre Georges-Pompidou (1975).

C. R.

Boulgakov (Mikhaïl Afanassievitch)

Romancier et dramaturge russe (Kiev 1891 - Moscou 1940).


Fils d’un professeur de théologie, Mikhaïl Boulgakov, d’abord médecin de campagne, s’installe en 1918 dans sa ville natale, dont il est chassé en 1919 par la guerre civile. Attiré par la littérature, il abandonne la médecine pour travailler à Vladikavkaz (1919-1921), puis à Moscou, dans les services culturels locaux ou gouvernementaux, tout en publiant, sous des pseudonymes divers, reportages et feuilletons dans différents journaux.

Il débute par des récits humoristiques, dans lesquels un sujet fantastique, source de situations cocasses ou tragi-comiques (Diavoliada [la Diaboliade], 1924), souvent bâti sur l’hypothèse d’une découverte scientifique sensationnelle (Rokovyïe Iaïtsa [les Œufs fatals] ; Sobatchie serdtse [Cœur de chien], 1925), sert à mettre en relief, sous leurs formes et leurs dénominations nouvelles, les tares d’une société arriérée, traditionnellement dénoncées par la satire russe de Gogol à Saltykov-Chtchedrine (dont il se réclame) : tyrannie et formalisme bureaucratiques, ignorance et grossièreté des mœurs. Une fantaisie débridée dans l’invention des sujets s’allie à la justesse de l’observation satirique et à la froide ironie d’un style sobre et précis. Traité sur le mode satirique, le thème de la révolution et de la culture est abordé en même temps sur le mode épique dans le roman Bielaïa Gvardia (la Garde blanche, 1923-24 ; publié partiellement en 1925), qui décrit la débâcle des armées blanches telle que Boulgakov l’a vue à Kiev en 1918. Sans indulgence pour ses chefs, il peint au contraire avec sympathie les deux frères Tourbine, jeunes intellectuels persuadés de défendre contre les démons du chaos et de la destruction les valeurs de culture incarnées par leur univers familial.

Jouée avec un immense succès en 1926 sous le titre de Dni Tourbinykh (les Jours des Tourbine), l’adaptation théâtrale de ce roman révèle chez Boulgakov un sens remarquable du dialogue et de la construction dramatique, confirmé par Beg (la Fuite, 1928), tragi-comédie inspirée par les tribulations de l’émigration, et par les comédies satiriques Zoïkina Kvartira (l’Appartement de Zoïka, 1926) et Bagrovyï ostrov (l’Ile pourpre, 1929), qui ridiculise la censure théâtrale. Toutes les œuvres de Boulgakov, jugées « contre-révolutionnaires », exposent ce dernier aux attaques des critiques « prolétariens », qui obtiennent l’interdiction ou le retrait de toutes ses pièces, à l’exception de Dni Tourbinykh, retirée de la scène en 1929, mais reprise en 1932. Constatant, dans une lettre adressée en 1930 au gouvernement soviétique, que toute activité littéraire lui est désormais interdite, il demande l’autorisation de s’exiler ou, à défaut, l’attribution d’un emploi dans un théâtre. L’intervention de Staline (qui favorise la reprise de Dni Tourbinykh) lui permet d’entrer au théâtre d’Art en qualité d’assistant-metteur en scène (et, occasionnellement, d’acteur).