Terme qui désigne tantôt un certain degré d’aisance, de confort ou de bonheur (dans ce cas, le bien-être, qui apparaît comme étant éminemment relatif, peut seulement être apprécié selon des critères subjectifs), tantôt un ensemble de biens matériels à la jouissance desquels le bien-être est lié (dans ce cas, le bien-être, phénomène quantitatif qui se prête à la mesure, semble fort proche de la notion de richesse).
Ces deux optiques sont-elles radicalement opposées ? Dans l’affirmative, on verrait se juxtaposer deux approches différentes : l’une sociologique, sur les diverses conceptions du bien-être, celui-ci variant selon les niveaux de vie et les pays ; l’autre économique, sur les éléments matériels constitutifs d’un degré de satisfaction des besoins de l’existence. Est-il, au contraire, possible de jeter un pont entre la conception subjective et la conception objective du bien-être individuel et le bien-être collectif ?
C’est à cette question que tentèrent de répondre voici quelques décennies les économistes du « welfare ».
La notion d’« économie de bien-être » (welfare economics) semble s’être affirmée par réaction contre une conception de l’économie encore largement fondée sur la notion d’« économie de la richesse » (wealth economics). Cette tentative, qui se donnait pour but de découvrir des fondements proprement économiques à la politique sociale, allait se développer dans deux voies différentes : le bien-être économique (economic welfare) et le bien-être humain (human welfare).
Les premières recherches sur le bien-être économique ont été menées par Arthur Cecil Pigou (1877-1959) dans son ouvrage Economics of Welfare (1920). Pour cet élève d’Alfred Marshall, il s’agissait de concilier l’individualisme de la théorie classique, à laquelle il demeurait fidèle, et la nécessité d’améliorer l’état social. À cet effet, il se proposait de substituer à la notion de richesse (wealth) celle de bien-être (welfare), défini, selon la science économique de l’époque, en des termes marginalistes : l’accroissement maximal des utilités des individus. Autrement dit, dans cette conception, la production ne doit pas se borner à répondre aux exigences de la demande solvable ; elle doit satisfaire les besoins fondamentaux constitutifs du bien-être.
La logique d’une telle recherche conduit nécessairement à apprécier, sinon à mesurer, les besoins réels des individus, donc à réintroduire dans le champ de la science économique des jugements normatifs et des préoccupations finalistes.
La fidélité que manifestait Pigou envers la théorie classique ne pouvait que le retenir d’aller aussi loin. Il ne lui restait donc qu’à recourir à la monnaie : le bien-être que la théorie économique peut intégrer est, indépendamment de toute appréciation sur les fins de l’économie, le bien-être économique, c’est-à-dire la partie du bien-être qui peut être mise en relation avec l’étalon de mesure qu’est la monnaie.
Le bien-être ainsi conçu voit sa réalisation subordonnée à trois conditions : un accroissement du volume moyen du revenu national afin d’étendre le plus possible la sphère où le bien-être se réalise ; une répartition plus égalitaire des revenus, permettant un accroissement de la consommation et la satisfaction des besoins les plus urgents ; une régularisation du revenu national dans le temps, excluant les fluctuations les plus fortes.
Le marginalisme de Pigou résolvait le problème du passage de l’individuel au global (le « no-bridge » des économistes) en établissant une équivalence entre quantité de satisfaction et quantité de monnaie. Une telle solution, qui consistait à contourner le problème par « une objectivation des valeurs par le marché » (F. Perroux), ne pouvait échapper à la critique. Aussi bien, d’autres recherches furent-elles entreprises. C’est ainsi que J. R. Hicks (The Foundations of Welfare Economics, 1939) et N. Kaldor (Welfare Propositions in Economics, 1939) proposèrent de caractériser le bien-être économique à partir d’un choix entre les divers optimums de production, l’un d’eux étant susceptible de maximiser les satisfactions.
Le domaine des jugements normatifs et des fins de l’économie que Pigou s’était interdit fut abordé par le socialiste John Atkinson Hobson (1858-1940), qui allait opposer au bien-être économique le bien-être humain. L’étalon des valeurs devait, selon Hobson, être trouvé non pas dans la monnaie, mais dans l’homme lui-même, « conçu comme un organisme psychologique ». Ce qu’il convenait de déterminer, c’était, dans l’ordre des satisfactions, moins les satisfactions à atteindre que celles à proscrire, parce que néfastes (la production d’alcool par exemple), et, dans l’ordre des coûts, moins le coût en fatigue (désutilité) que le coût humain (les conditions de travail par exemple). Au total, Hobson aboutissait, selon l’expression d’Homan (Essai sur la pensée économique anglo-saxonne, 1935), à dresser un véritable « catalogue des maux produits par l’action actuelle du régime économique ». Ainsi, Hobson apparaissait-il engager nettement la science économique dans le domaine de la pensée normative et finaliste.