Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bernoulli (les) (suite)

Jean Ier

(Bâle 1667 - id. 1748). Primitivement destiné au commerce par son père conseiller d’État à Bâle, il est formé aux mathématiques par son frère Jacques. Lors d’un voyage en France en 1691-1692, il se lie avec les mathématiciens amis de Malebranche (1638-1715), et plus particulièrement avec Guillaume de L’Hospital, marquis de Sainte-Mesme (1661-1704), auquel il donne des leçons de calcul différentiel et de calcul intégral. Elles sont à l’origine d’un manuel resté très longtemps en usage, l’Analyse des infiniment petits (1696), rédigé et signé par L’Hospital, mais dont le fond appartient à Jean Bernoulli. Celui-ci vit d’une pension que lui verse le marquis jusqu’à ce que, par l’entremise de ce dernier et surtout de Christiaan Huygens (1629-1695), il soit nommé professeur de mathématiques à l’université de Groningen (1695). Puis, à la mort de son frère, il lui succède à Bâle. Ses qualités pédagogiques sont telles que Jean Le Rond d’Alembert (1717-1783) dit dans son éloge : « Je lui dois presque entièrement le peu de progrès que j’ai fait en géométrie », et il est le maître de Leonhard Euler. Si Leibniz est l’inventeur du mot fonction, dans son sens mathématique, Jean Bernoulli est le premier à avoir donné de cette notion essentielle une définition dégagée de considérations géométriques (1718).

Les discussions scientifiques entre les deux frères, qui touchèrent à tous les problèmes de mathématiques agités parmi les savants d’avant-garde, sont restées célèbres. Leur aspect polémique excessif entretenait la chronique scandaleuse, et, lorsque l’Académie des sciences de Paris les admit comme correspondants, elle les rappela à plus de modération. Tous deux étaient restés fidèles, en philosophie, aux conceptions cartésiennes, et n’adoptèrent jamais les idées de Newton. Jean, par son caractère excessif, envenima d’ailleurs les rapports entre disciples de Leibniz et disciples de Newton. Cependant, les deux frères contribuèrent au progrès de la mécanique, et ce fut Jean qui, au dire de Lagrange, le plus prestigieux mécanicien du xviiie s., aperçut le premier la généralité et l’importance du principe des vitesses virtuelles.


Daniel Ier

(Groningen 1700 - Bâle 1782). Il commence par étudier la médecine et accompagne son frère aîné Nicolas II (1695-1726), professeur de droit à Berne, lorsque celui-ci est appelé en 1725 à Saint-Pétersbourg. Mais Nicolas meurt peu après leur arrivée. Membre de l’Académie de Saint-Pétersbourg, Daniel obtient en 1732 le prix de l’Académie des sciences pour une étude du problème des deux corps, qui est la première traduction analytique de la théorie de Newton. Rentré à Bâle en 1733, il enseigne alors l’anatomie, la botanique, la physique et la philosophie. Contrairement à son oncle et à son père, de l’animosité duquel il a souvent à souffrir, il est un newtonien convaincu. En 1738, il publie une remarquable Hydrodynamica, englobant l’hydrostatique et l’hydraulique, et fondée sur le principe de la conservation de l’énergie cinétique. On trouve dans cet ouvrage une première ébauche de la théorie cinétique des gaz, théorie qui jouera au siècle suivant un rôle si important, et un théorème, dit aussi « théorème de Bernoulli », exprimant la conservation de l’énergie mécanique dans l’écoulement d’un fluide incompressible parfait. Dans l’étude des cordes vibrantes, qui souleva tant de discussions entre d’Alembert, Euler et Lagrange, Daniel Bernoulli introduit les fonctions circulaires. Ses conceptions conduisent aux séries trigonométriques, ou séries de Fourier, qui, par les difficultés qu’elles soulèvent au xixe s., font faire à l’analyse ses plus grands progrès et conduisent Georg Cantor (1845-1918) à la théorie des ensembles. En anatomie, on doit à Daniel Bernoulli des études de mécanique respiratoire et le principe d’un calcul correct du travail cardiaque. Ses expériences d’électrostatique, en 1760, présentent, elles aussi, quelque intérêt.

J. I.

Bernstein (Eduard)

Théoricien socialiste allemand (Berlin 1850 - id. 1932).


De mauvaise complexion physique, Eduard Bernstein devient employé de banque. C’est par le pacifisme qu’il s’oriente, en 1870-71, vers le socialisme ; mais, rapidement, il témoigne de sentiments unitaires. Devenu, à Lugano, secrétaire du banquier socialiste Karl Höchberg, il entre en relation avec Benoît Malon, puis à Zurich avec Kautsky.

Durant les années 1879-1888, Bernstein est l’un des principaux rédacteurs du Sozialdemokrat, qui paraît en Suisse ; lors de la lutte de Bismarck contre les socialistes, il évolue vers un marxisme résolu. Expulsé de Suisse, il s’établit en Grande-Bretagne, et s’oriente vers le révisionnisme. Influencé par les fabiens anglais et par le mouvement ouvrier britannique, invoquant certaines remarques d’Engels, il conteste, au nom de la méthode marxiste, quelques-unes des conclusions de Marx. La concentration ne lui paraît ni aussi générale ni aussi rapide que l’annonce le Manifeste de 1848 ; selon lui, l’action ouvrière, sous ses diverses formes, empêche les prolétaires d’être de plus en plus malheureux ; la politique coloniale et l’intervention de l’État présentent des aspects positifs.

Des articles parus dans Die Neue Zeit sont réunis en un volume, que Kautsky, Plekhanov, Rosa Luxemburg et Bebel condamnent. Rentré en Allemagne après la chute de Bismarck, Bernstein ne l’emporte pas dans les congrès du parti ; mais ses idées imprègnent l’action parlementaire de la social-démocratie et, plus encore, l’action syndicale. Élu député de Breslau en 1902-1906 et en 1912-1918, il rejoint les socialistes indépendants pendant la Première Guerre mondiale ; mais il revient en 1919 chez les socialistes majoritaires. Sous-secrétaire d’État aux Finances dans le gouvernement provisoire de novembre 1918, il condamne le bolchevisme comme une parodie du marxisme. Il meurt quelques semaines avant l’avènement de Hitler. Nombre de ses idées se retrouveront dans le programme de Bad Godesberg adopté par la social-démocratie en novembre 1959.