Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bernin (le) (suite)

L’esthétique du Bernin

Existe-t-il dans cette œuvre considérable un fil conducteur, une théorie d’ensemble qui permette de parler d’une esthétique propre au Bernin ? L’artiste, qui pourtant se piquait de littérature, n’a laissé aucune œuvre théorique. Mais ses liens avec la Compagnie de Jésus, la ferveur de sa foi catholique sont suffisamment connus. Contemporain de la seconde phase — triomphante autant que militante — de la Contre-Réforme, le Bernin en a donné, au même titre que Rubens et par des voies différentes, la plus haute expression artistique. Les moyens dont usait le jeune Gian Lorenzo au début de sa carrière dans les groupes mythologiques du cardinal Borghèse seront repris et perfectionnés, non plus pour ravir les yeux des épicuriens humanistes, mais pour émouvoir les grands et le peuple, les clercs et les femmes par la représentation des mystères sacrés. D’où la nécessité de mettre en jeu toutes les ressources de l’art (jeux de lignes, oppositions de matières, contrastes lumineux, études d’expressions, déformations saisissantes), mais aussi l’obligation de représenter ce qui, par essence, échappe au domaine du perceptible : l’union à Dieu, la béatitude céleste, l’extase. Une fois ce but défini, le Bernin fait preuve d’une étonnante liberté dans le choix des formes : qu’importent les canons lorsque seul l’effet produit sur le spectateur sert de critère. L’Antiquité n’est qu’un répertoire où l’on puise à loisir, et aucune division trop stricte des genres n’empêche le sculpteur d’emprunter certains procédés aux peintres ; à ce titre, l’influence du caravagisme sur le Bernin ne doit pas être sous-estimée.

La recherche primordiale de l’effet a cependant un corollaire, qui est l’un des points faibles du Bernin. Le plus souvent, ses compositions sont conçues en fonction d’un point de vision privilégié, hors duquel ne manquent pas d’apparaître des faiblesses, voire des négligences et surtout d’étonnantes déformations. Paradoxalement, cette œuvre toute de dynamisme et de mouvement impose à son admirateur une attitude statique. Le spectateur se sent plus libre devant les réalisations architecturales : la colonnade de Saint-Pierre est conçue en fonction d’un certain parcours ; toutefois, le projet, longtemps étudié, d’un « troisième bras » fermant la place à l’est aurait réalisé ce monde à la fois immense et clos où le Bernin semble toujours vouloir enfermer son œuvre.

Comme architecte, le Bernin, à la différence de son contemporain et rival Borromini*, se contente de puiser dans le vocabulaire du siècle précédent sans inventer d’éléments nouveaux. La comparaison entre les deux églises voisines, San Carlo alle Quattro Fontane et Sant’Andrea al Quirinale, est significative à ce titre.

Souvent placé à la tête de très vastes chantiers, le Bernin disposait d’un atelier nombreux. Ce recours constant à des aides, de valeur inégale, explique certaines faiblesses d’exécution, ici ou là. Mais ces élèves (Giuliano Finelli [1601-1657], Antonio Raggi [1624-1686], Ercole Ferrata [1610-1686]) contribuèrent à diffuser à la fin du xviie s. et au début du siècle suivant le style « berninesque », et l’art baroque romain.

J. R. G.

➙ Baroque / Rome.

 F. Baldinucci, Vita di Gian Lorenzo Bernini (Florence, 1682 ; rééd., Milan, 1948). / M. de Chantelou, Journal de voyage du cavalier Bernin en France (Gazette des beaux-arts, 1885). / M. Reymond, Le Bernin (Plon, 1911). / H. Brauer et R. Wittkower, Die Zeichnungen des Gian Lorenzo Bernini (Berlin, 1931 ; 2 vol.). / R. Pane, Bernini architetto (Venise, 1953). / R. Wittkower, Gian Lorenzo Bernini, the Sculptor of the Roman Baroque (Londres, 1955). / I. Lavin, Bernini and the Crossing of Saint Peter’s (New York, 1968).

Bernoulli (les)

Famille de mathématiciens suisses, qui joua durant tout le xviiie s. un rôle de premier plan.



Jacques Ier

(Bâle 1654 - id. 1705). Étudiant en théologie, il se prend de passion pour les mathématiques, qu’il apprend seul. Après six années de voyage en France, aux Pays-Bas et en Angleterre, il obtient en 1687 la chaire de mathématiques de l’université de Bâle. Formé aux mathématiques modernes par la lecture de Descartes, il découvre les méthodes infinitésimales dans les œuvres de John Wallis (1616-1703) et d’Isaac Barrow (1630-1677). Lorsque Leibniz* publie, en 1684, dans sa revue des Acta eruditorum, son premier essai de calcul infinitésimal, Bernoulli saisit immédiatement l’importance des nouvelles notations malgré la brièveté du texte. Ayant adopté le point de vue de Leibniz, il en devient, avec son frère Jean, le zélateur, et, à ce sujet, il faut se rappeler que, si l’expression différentielle est de Leibniz, celle d’intégrale est due à Jacques Bernoulli.

À son nom est attachée une courbe, la lemniscate de Bernoulli, et ses travaux sur cette courbe sont à l’origine de l’étude des fonctions elliptiques, qui joueront au xixe s. un rôle très important. Il se passionne pour une autre courbe, la spirale logarithmique, au point d’exiger qu’elle soit gravée sur sa pierre tombale. Par les problèmes qu’il pose à ses émules, ou que ceux-ci lui posent — et parmi eux il faut surtout compter son frère Jean —, il fonde le calcul des variations, que systématiseront plus tard Leonhard Euler (1707-1783) et Louis de Lagrange (1736-1813). En calcul différentiel, les équations de Bernoulli rappellent encore son souvenir ; l’étude des séries est pour lui un domaine de prédilection, et les nombres de Bernoulli sont restés célèbres.

Dans le calcul des probabilités, c’est à l’automne 1689 qu’il découvre la loi des grands nombres, ou théorème de Bernoulli. Son Ars conjectandi, qui résume ses travaux en ce domaine, ne sera cependant publié par son neveu Nicolas Ier (1687-1759) qu’en 1713, huit ans après son décès. Nicolas, lié également d’amitié avec Pierre Rémond de Montmort (1678-1719), pose à ce dernier un problème resté célèbre, que Montmort publie dans la seconde édition de son Analyse des jeux de hasard, en 1714. C’est le Paradoxe de Saint-Pétersbourg, ainsi appelé parce que Daniel Ier Bernoulli lui consacre une étude parue en 1738 dans les Commentaires de l’Académie de Saint-Pétersbourg.