Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Berkeley (George) (suite)

La pensée de Berkeley, qualifiée d’« immatérialisme », nie l’existence de la matière, affirme que tout ce qui existe est idée. Mais, cette étiquette une fois posée, elle n’en reste pas moins grevée de bon nombre de difficultés d’origine diverse. C’est d’abord une pensée qui paraît souvent décousue, étant liée à des occasions de réponse fournies par le contexte culturel de l’époque : la cohérence n’en apparaît pas à la simple lecture cursive. C’est d’autre part une pensée prise presque entièrement dans un réseau polémique, qu’elle attaque ou se défende. Mais, de plus, cette atmosphère polémique au sein de laquelle elle s’est développée l’a, à son tour, déformée, et, très vite, de faciles caricatures ont défiguré cette philosophie, dont le principe contredisait le sens commun (quoiqu’elle n’en appelât pourtant qu’à lui contre les sophismes des philosophes), quand on n’allait pas jusqu’à accuser son auteur de vouloir simplement étonner son époque par des paradoxes incohérents ou même de ne pas savoir ce qu’il disait. Toutes ces difficultés préliminaires font que ses commentateurs sont encore à disputer s’il y a ou s’il n’y a pas une philosophie de Berkeley, ou s’il y en a une et non pas deux, car d’aucuns voient dans la Siris une remise en question des œuvres antérieures.

L’immatérialisme n’est pas un simple idéalisme. « Mes vues ne changent pas les choses en idées, dit Berkeley ; elles changent plutôt les idées en choses. » En fait, il commence pourtant, comme beaucoup de ses contemporains, par changer les choses en idées, dans une démarche à la fois idéaliste et sensualiste : les choses ne sont pas distinctes des qualités sensibles dont la combinaison les définit ; donc elles ne sont pas distinctes des sensations correspondantes, c’est-à-dire de modalités de l’esprit, d’idées. D’où le « Nouveau Principe » esse est percipi aut percipere (tout ce qui existe n’existe que dans la mesure où il est objet de perception, à l’exception, toutefois, de l’acte de percevoir), à quoi se joint la formule percipi est concipi (il n’y a pas de différence entre ce qui est perçu et ce qui est conçu, entre sensibilité et entendement). Formules qui, cependant, ne seraient que de plats paradoxes si on ne les envisageait pas dans la perspective de Dieu : sans quoi l’on pourrait en conclure que ce que nous cessons de percevoir retombe de ce fait sur-le-champ dans l’inexistence. Mais, en réalité, l’assurance bien ancrée, et à juste titre, dans le sens commun qu’il ne suffit pas de s’endormir pour que le monde disparaisse demande simplement de remonter à Dieu, qui, percevant les choses (les concevant), garantit leur être durable.

Si, toutefois, les choses sont ainsi dématérialisées et transformées en idées, elles n’en conservent pas moins l’objectivité sur laquelle Berkeley insistait en disant que sa philosophie transformait surtout les idées en choses (choses évidemment immatérielles). Ce second mouvement est à la fois celui auquel Berkeley tenait le plus et celui dont la réalisation est la plus contestable, au point que de nombreux commentateurs l’ont pratiquement négligé. En effet, après avoir distingué l’âme (sujet du percipere) et les idées (qui composent le percipi), distinction si radicale qu’elle exclut la possibilité d’une idée de l’âme, après avoir affirmé également l’existence dans l’âme de ces idées (esse est percipi), douées, par ailleurs, d’une réalité objective et ramenées à des qualités sensibles, Berkeley — ayant affirmé que la qualité n’est qu’un mode du moi (de l’âme) — est amené à faire de l’idée également un mode de ce moi et donc, le mode ne se concevant pas séparé de la substance, à nier l’indépendance des idées par rapport au moi qu’il avait d’abord affirmée.

D. H.

 T. E. Jessop, Bibliography of George Berkeley (Londres, 1934). / J. O. Wisdom, The Unconscious Origin of Berkeley’s Philosophy (Londres, 1953). / M. Guéroult, Berkeley (Aubier, 1956). / M. M. Rossi, Saggio su Berkeley (Milan, 1956). / A. L. Leroy, George Berkeley (P. U. F., 1959). / J. Pucelle, Berkeley, ou l’Itinéraire de l’âme à Dieu (Seghers, 1967).

Berlin

Ancienne capitale de l’Allemagne, aujourd’hui partagée entre Berlin-Ouest (2 063 000 hab.), d’une part, et Berlin-Est (1 089 000 hab.), capitale de la République démocratique, d’autre part.



L’histoire de la ville


Des origines à Frédéric II

Rien ne prédisposait les bords de la Sprée à recevoir un jour la capitale de l’Allemagne. Le milieu physique (sables, landes et eaux de la Marche de Brandebourg) était, à l’origine, inhospitalier. La ville doit plus à l’histoire qu’à la géographie. Les premiers occupants, apparus seulement à l’époque protohistorique (le xe s. environ), ont vraisemblablement été des pêcheurs slaves ; vers 1230, l’agglomération reçoit des margraves du Brandebourg le statut urbain, en même temps que sa jumelle et rivale Cölln. Dès le xive s., les deux cités deviennent un centre commercial important sur la voie Magdeburg-Szczecin (Stettin) et Magdeburg-Poznań, cependant que le commerce avec Hambourg les fait entrer dans la hanse dite « germanique » (ou plutôt baltico-atlantique). Consciente de son importance économique, Berlin entre souvent en conflit avec son souverain, un Hohenzollern depuis 1415 (solennellement investi de ses nouvelles fonctions en 1417 à Constance), mais ne parvient pas à se rendre totalement indépendante et doit accepter que le souverain réside dans ses murs (à partir du milieu du xve s.). Cette symbiose profite finalement à la ville, mais celle-ci n’en développe pas moins un esprit d’indépendance fort peu « prussien », grâce auquel peuvent se fondre les éléments divers de l’ethnie berlinoise, très particulière — les éléments germaniques venus de l’ouest et du nord (la langue de base est le niederdeutsch), et les éléments germano-slaves venus de Silésie ou de Poméranie —, après que les conquêtes des Électeurs (puis rois) eurent accru leur domaine oriental (xviiie et xixe s.).