Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Barbares (suite)

Depuis leurs raids victorieux du iiie s., les Barbares sont conscients de la fragilité d’un Empire miné de l’intérieur par les querelles intestines de leurs dirigeants et au sein duquel un grand nombre de leurs frères sont déjà installés à des titres divers. Sans doute, certains d’entre eux y ont-ils pénétré pacifiquement : esclaves vendus par des marchands, paysans à la recherche de terres ou soldats à la poursuite de la fortune, tels les Riparioli du Rhin ou les Lêtes établis à l’intérieur de l’Empire. Leur statut de mercenaires n’empêche d’ailleurs pas les plus illustres et les plus romanisés d’entre eux de se hisser jusqu’aux marches du trône, tel le Germain Arbogast († 394), qui confère la pourpre impériale au rhéteur Eugène (392-394), ou tel le Vandale Stilicon (v. 360-408), parvenu commandant suprême des armées d’Occident (magister utriusque militiae) et admis à l’honneur d’épouser Serena, nièce de l’empereur Théodose Ier. Plus grave est pour l’Empire l’installation des Barbares à titre de fédérés en vertu d’un contrat (fœdus) qui les autorise à s’implanter d’abord aux frontières, puis, plus tard, à l’intérieur de l’Empire, en restant sous l’autorité exclusive de leur chef à la seule condition que celui-ci n’utilise cette dernière que pour le seul bien de Rome, dont la souveraineté reste théoriquement intacte sur le territoire concédé.

Accordé aux Goths dès 332, aux Alamans en 374 et aux Wisigoths en 376, un tel régime, qui leur remet le tiers ou les deux tiers des terres du territoire considéré ainsi que la propriété indivise des pâtures et des bois, ne pouvait qu’aboutir au démembrement de l’Empire et cela d’autant plus facilement que l’évolution des techniques de combat leur donnait, malgré leur faiblesse numérique, une incontestable supériorité sur les Romains. Armés d’arcs (Huns) ou d’épées et de très longues lances (Vandales, Alamans), les cavaliers barbares sont montés sur des chevaux plus rapides que ceux des Romains ; quant aux fantassins, ils l’emportent aisément sur les Romains grâce à des armes dont la qualité et l’efficacité exceptionnelles nous ont été révélées par la fouille des cimetières barbares : haches à un seul tranchant (francisques), glaives courts ou scramasaxes à un seul tranchant et surtout épée longue à deux tranchants des grandes invasions, dont la résistance est due à la superposition de huit à dix lames de fer doux sur lesquelles sont plaqués des montants d’acier trempé, cémentés et extradurs. Dans ces conditions, un siècle suffit à la première vague de ces peuples pour submerger en quatre étapes l’Empire romain d’Occident.


Les grandes étapes des invasions

La première de ces étapes est marquée par la poussée gothique, qui se produit sur le Danube. Sous la pression des Huns, qui détruisent l’Empire ostrogoth de l’actuelle Russie du Sud vers 375, 200 000 Wisigoths franchissent le Danube en 376 et s’établissent en Thrace, où l’empereur Valens leur accorde le statut de fédérés, mais leur interdit d’accéder à la Méditerranée. Victime de son refus, le souverain disparaît lors de la bataille d’Andrinople, remportée, le 9 août 378, par la cavalerie gothique, désormais maîtresse des Balkans, qu’elle ravage pendant vingt-trois ans, c’est-à-dire jusqu’au jour où les successeurs de Valens, Théodose et surtout Arcadius, réussissent à l’éloigner vers l’Illyricum, puis vers l’Italie, où les Wisigoths s’emparent finalement de Rome en 410 avant d’aller s’établir en 413 en Narbonnaise, puis en Aquitaine, toujours à titre de fédérés.

À cette date, la deuxième étape des invasions barbares en Occident est déjà commencée. Profitant en effet du rappel des troupes du Rhin par Stilicon, désireux de défendre l’Italie, les Vandales Silings et Hasdings, les Suèves et les Alains franchissent le Rhin près de Mayence le 31 décembre 406, bientôt suivis par les Burgondes, qui s’installent entre Worms et Spire en 413, puis par les Alamans, qui s’établissent en Alsace.

Peu nombreux, ces Barbares ne séjournent pas longtemps en Gaule. Dès 409, les Vandales sont établis en Espagne ; en 429, ils sont à Carthage, tandis que les Suèves sont rejetés dans l’Espagne du Nord-Ouest et que les Burgondes sont finalement, à titre d’hôtes, installés par les Romains en Sapaudia en 443. Malgré la rapidité de leur passage, « la Gaule tout entière a brûlé comme une torche », écrit un contemporain, qui souligne ainsi le caractère particulièrement dévastateur du raid de 406.

Au cours de la troisième étape des grandes invasions, les Germains laissent l’initiative des opérations aux Huns* d’Attila*, qui pénètrent dans l’Empire d’Orient entre 440 et 450, puis dans l’Empire d’Occident : en 451, la Gaule du Nord est ravagée jusqu’à l’échec du Campus Mauriacus ; en 452, l’Italie est également victime de leurs raids dévastateurs, qui prennent fin avec la mort de leur chef en Pannonie en 453.

Enfin, à l’extrême fin du ve s. et au début du vie, une quatrième vague d’invasions, œuvre des Ostrogoths, des Francs, des Angles, des Jutes et des Saxons, achève de donner à l’Occident son nouveau visage ethnique et politique. Libérés, à la mort d’Attila, de la tutelle des Huns, établis ensuite comme fédérés en Pannonie, puis en Mésie inférieure (v. 470), les Ostrogoths, trop menaçants pour Constantinople, sont, en 488, finalement détournés par l’empereur Zénon vers l’Italie, où ils détruisent en moins de quatre ans les derniers vestiges de la présence politique romaine, à laquelle ils se substituent sous l’autorité de leur roi Théodoric Ier, pour étendre finalement leur domination de l’Italie du Sud à la Pannonie et à la Provence.

Parallèlement, la conquête franque s’accélère entre 486 et 534 sous la direction de Clovis et celle de ses fils, finalement maîtres de toute la Gaule après la victoire remportée par eux au détriment du « roi des Romains » Syagrius à Soissons (486), des Alamans vers 496, des Wisigoths à Vouillé en 507, des Francs de Cologne vers 509 et des Burgondes en 534.

Moins bien connues, les migrations maritimes de l’Europe du Nord-Ouest déferlent sur la Bretagne entre 450 et 500, et aboutissent à l’implantation des Angles, des Jutes et des Saxons.