Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bach (suite)

Au clavecin, au violon et à la flûte, qu’il réunit parfois, il faut aussi ajouter trompette, cor, hautbois, basson, ce qui permet à Bach de partir à la découverte d’un monde symphonique. Il cherche ici sa voie entre deux programmes : le concert à la française, qui débute par une ouverture et se poursuit par des danses, et le concerto tripartite à l’italienne. Il donne d’ailleurs le nom d’ouverture à ses quatre suites d’orchestre (ut majeur, si mineur, majeur, majeur), qui mettent côte à côte une grande ouverture lullyste à deux ou trois panneaux et les danses stylisées ou populaires qui obéissent à l’instrumentation choisie dès le départ. Musique de danse ou musique pure : il oscille constamment entre ces deux possibilités, et il affirme sa préférence pour un rythme un peu lourd, continu, et qui n’accepte pas la fantaisie des Français. Cette fantaisie, il l’a plutôt réservée aux six Concerts pour divers instruments, qu’il écrivait pour l’orchestre du margrave de Brandebourg (d’où leur faux titre de « Concertos brandebourgeois »), et qui obéissent aux lois suivantes : soit une opposition, dans l’esprit du rondeau, entre trois ou quatre instruments solistes (concertino) et un tutti de cordes ; soit un largo mélodique en forme de lied ou d’adagio de sonate qui vient marquer un temps de repos entre les deux allégros rythmés. Ici ou là, des prouesses sont exigées de deux flûtes, de trois hautbois, de deux cors, d’une trompette, d’un violon piccolo, de deux altos dialoguant en canon, d’un clavecin, qui se voit pour la première fois imposer une grande cadence de soliste dans le cinquième de ces concerts. Il est vrai que la même virtuosité a été demandée à la flûte dans la deuxième suite d’orchestre, qui, d’une manière très paradoxale, pourrait être tenue pour un concerto de flûte.

D’une certaine façon relèvent de l’œuvre profane, enfin, certaines pièces d’orgue : concertos qui sont bien souvent des transcriptions de triptyques similaires donnés généralement au violon par des Italiens ou des Allemands, sonates en trio écrites à l’intention de Wilhelm Friedemann Bach, et que celui-ci pouvait aussi bien exécuter sur le clavecin-pédalier, enfin grands préludes et fugues, ou toccatas et fugues, qui permettent à Bach d’adapter à ce puissant instrument qu’est l’orgue un éloquent message à deux ou trois thèmes dans un style soit concertant, soit continuellement fugué : musique de concert qui, à l’exception d’un grand diptyque (triple prélude et fugue en mi bémol), pourrait se situer en marge de la liturgie aussi bien que dans le culte même, qu’elle pourrait ouvrir ou fermer. Nous touchons ici aux rives de la musique religieuse.


Bach et l’orgue

La musique religieuse de Bach comporte un message purement instrumental, aux côtés de grandes partitions chorales sur paroles latines ou paroles allemandes. Il faut voir dans les chorals pour orgue qu’il a intitulés préludes de chorals des commentaires des principaux cantiques spirituels chantés au culte. Les uns sont groupés en recueils, les autres font partie d’un grand reliquat où l’on trouve, un peu pêle-mêle, des œuvres de jeunesse, des pages qui seront remaniées plus tard, ou des œuvres isolées, définitives.

S’il est difficile de dater exactement tous ces chorals du reliquat, qui s’étendent probablement sur toute la vie, il est assez aisé de situer dans le temps les trois grands recueils que Bach a signés. Le premier, dit l’Orgelbüchlein, remonte à l’époque de Weimar (v. 1708-1717) ; le deuxième — chorals du Dogme ou du cathéchisme de Luther — appartient à la troisième partie de la Klavierübung (1739). Quant au troisième groupe de dix-huit chorals faussement appelés « chorals de Leipzig », il semble offrir une sélection des œuvres les plus développées de Bach à l’orgue : commentaires probablement destinés à la communion, dont les premiers, témoignant d’une certaine maladresse, remontent à l’époque d’Arnstadt, et dont le dernier (Devant ton trône, je vais comparaître) a été dicté par Bach sur son lit de mort à son gendre et élève Altnikol. Autant Bach, dans le premier de ces recueils, se plaît à une concision parfaite, autant cette brièveté reparaît dans les petites versions sans pédale des chorals du Dogme, autant ailleurs Bach, qui ne semble pas pris par le temps, développe à son aise les cinq ou six épisodes d’un cantique, le choral pouvant être soit figuré, soit fugué, ou orné, ou simplement contrapuntique. Il lui arrivera même d’écrire des partitas ou variations sur un thème de choral. Certains de ces commentaires, qui recherchent la symétrie parfaite, l’équilibre souverain, relèvent de l’esthétique de Pachelbel. D’autres reflètent une écriture proche de celle des maîtres du Nord, de Reinken à Buxtehude. La version ornée évoque la prière de Bach (O homme, pleure tes grands péchés), et elle s’impose à la communion comme une sorte de grand poème lyrique qui emprunte à la mélodie française ses tremblements, ses pinces, ses trilles, quitte à soutenir cette mélodie d’une harmonie où la dissonance et le chromatisme, ainsi que le retard, viennent à chaque instant jouer leur rôle expressif. En utilisant certains textes d’origine grégorienne, Bach nous a donné des exemples achevés de la paraphrase lyrique.


Bach et l’art vocal

Parmi les œuvres religieuses écrites sur paroles latines, distinguons le Magnificat et la Messe en « si ». Le Magnificat, probablement composé en 1723, au moment où Bach se présentait à Sankt Thomas de Leipzig, et destiné aux vêpres de Noël, est conçu comme une grande cantate italienne sans récitatif. Et si l’on ajoute que le choral n’a pas ici sa place et que Bach a supprimé, dans sa version définitive, certaines arias qui n’avaient rien à voir avec le texte du cantique de la Vierge, l’on admettra que cette partition unique en son genre doit autant à la France et à l’Allemagne qu’à l’Italie. À la France, elle emprunte ses chœurs et son orchestre à cinq voix ; à l’Italie, la qualité de ses ariosi ; à l’Allemagne, la rigueur de certains éléments fugués. L’évocation du Magnificat grégorien dans un verset, les jubilations alléluiatiques du Gloria Patri viennent compenser la raideur de certaines fugues. Et comme les Italiens, Bach se plaît parfois à peindre d’un geste sonore des mots qui font image (Quia respexit humilitatem, Omnes generationes, Dispersit superbos, Et misericordia, Esurientes).