Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bach (suite)

Les différents recueils constituent, en revanche, une somme d’une extraordinaire richesse, dont le propos obéit parfois à un point de vue didactique. Sous le titre de sonate, il a groupé des préludes ou petites ouvertures, des allégros fugués, des largos lyriques et des danses. Il a donné le titre d’Inventions (à 2 voix) et de Symphonies (à 3 voix) à des exercices de style destinés aux petites mains, et qui constituent un extraordinaire catalogue de ses recherches d’écriture. Non loin, et découlant de ces recherches, voici trois grands recueils qui sont des gerbes de danses stylisées, et qui se présentent à nous sous forme de suites ou de partitas : six suites françaises, six suites anglaises, six partitas, à quoi il faut ajouter une grande ouverture dans le style français, suivie de danses en si mineur.

Dans ces recueils, le prélude s’affirme de plus en plus éloquent, complexe, écrit sur un ou deux thèmes ; l’allemande relève du monde contrapuntique, la sarabande se fige dans un rythme ternaire aux ornementations précieuses et aux harmonies subtiles. Puis se succèdent les danses d’origine française, qui aboutissent à des gigues de style fugué. Le prélude peut même changer de titre : preambulum, toccata, sinfonia, ouverture, etc.

À ces fresques, il faut assimiler un recueil de pièces de concert auxquelles il donne le titre de toccata (ut majeur, ut mineur, fa dièse mineur), et qu’il conçoit comme une série alternée de mouvements vifs et lents, où le récitatif et la fugue ont une place éminente. On aperçoit à quel point il tient à cette dualité « prélude et fugue ». Il le prouvera en deux recueils intitulés le Clavecin bien tempéré, par lesquels, en suivant l’ordre chromatique de la gamme, il tient à prouver que le tempérament égal permet de composer dans tous les tons. Il y a, dans ces quarante-huit diptyques, des leçons de composition, d’écriture, de style qui lui permettent d’insister auprès de ses élèves sur l’utilité du développement, le bien-fondé d’un programme tonal rigoureux, l’écriture fuguée à deux, trois ou quatre voix, avec tout son arsenal de canons, de strettes et de renversements.

Allant plus loin dans le sens pédagogique, Bach a donné une somme de son enseignement clavecinistique dans les célèbres variations qu’il a écrites pour son élève Goldberg, dans lesquelles il travaille trente fois un thème de sarabande sur basse ostinato dont il avait enrichi, jeune, le petit livre dédié à sa femme Anna Magdalena. Enfin, quelques épisodes fugués de l’Art de la fugue paraissent destinés au clavecin.

Si la ligne de maints thèmes imposés au clavecin paraît relever de l’esthétique violonistique, c’est que Bach, jouant fort bien du violon, cherche à faire profiter l’instrument à clavier de virtualités dont bénéficie l’instrument aux quatre cordes frottées. La littérature dont il dote ce dernier est d’ailleurs aussi riche que celle du clavecin. Ce sont des partite, ou suites, et des sonates pour violon seul qui accumulent, pour l’interprète, toutes les difficultés possibles et qui doivent le conduire sans défaillance jusqu’à une exécution polyphonique sur cet instrument monodique. La chaconne de la partita en mineur demeure le sommet de son œuvre violonistique : un sommet qui s’explique autant par la virtuosité exigée de l’interprète que par son tempérament sensible, lyrique, et par ses dons d’endurance. En marge de ces exercices, uniques dans l’histoire de la musique, Bach a conçu trois types de sonates : la sonate à trois, qui répète le système italien des deux dessus et de la basse chiffrée, la sonate pour violon seul et basse chiffrée, la sonate pour clavecin obligé et violon. Ces différentes sonates comportent en général quatre mouvements alternés lents et vifs, et exploitent un style qui va du récitatif arioso jusqu’à la fugue. Le recueil des six sonates pour clavecin obligé et violon témoigne et de la souplesse de l’écriture polyphonique et de la puissance du souffle (chaconne initiale de la sonate en fa mineur). Mais le violon dépassait, chez Bach, le domaine de la sonate. Il en fournit la preuve dans deux concertos à un violon et deux concertos à deux violons de style vivaldien, en trois parties, dans lesquels l’écriture de style concertant entre le tutti et les solistes va de pair avec une utilisation rationnelle de la forme de l’allégro, du lied, du rondeau. Le largo du concerto en mineur pour deux violons dépasse ici les plus belles promesses. C’est sans doute par l’intermédiaire du concerto que Bach assimile au mieux l’esprit italien, et ce claveciniste-violoniste a même poussé le paradoxe jusqu’à transcrire pour un, deux, trois ou quatre claviers avec orchestre les concertos de violon italiens ou allemands, ce qui l’a poussé à une expérience unique dans son œuvre : un Concert dans le goût italien pour clavecin seul, qui est une réplique, au clavier, des tentatives vivaldiennes, même si l’aria ornée du milieu a du mal à chanter avec l’ardeur qu’autorise l’archet du Vénitien. Non loin de cette œuvre très classique, le clavecin prendra sa revanche chez Bach avec une Fantaisie chromatique et fugue d’une liberté et d’une audace de langage harmonique, d’une virtuosité qui dépasse tout ce qu’il avait écrit.

Certaines des sonates de violon ont-elles pu être exécutées par un soliste comme la flûte ? C’est possible, bien qu’ici encore Bach nous apporte le résultat d’efforts non négligeables. S’il semble n’utiliser la flûte à bec que dans les œuvres religieuses de jeunesse, c’est à la flûte traversière qu’il consacre le meilleur de son message. Le répertoire est encore vaste ici : d’une part une sonate pour flûte seule sous forme de suite en quatre mouvements chorégraphiques ; d’autre part des sonates pour flûte et basse chiffrée qui lui permettent de jouer tantôt du caractère élégiaque, tantôt du caractère puissant de ce grêle instrument ; enfin un certain nombre de sonates pour clavecin obligé et flûte (mi bémol, si mineur), qui vont encore plus loin dans le domaine de l’indépendance entre la flûte et le clavecin, ou au contraire du regroupement contrapuntique à obtenir des deux instruments qui s’opposent. Dans le même ordre d’idées, Bach a écrit trois sonates pour viole de gambe et clavecin, dont la troisième n’est peut-être autre qu’une transcription de concerto (sol mineur).