Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
Z

Zola (Émile) (suite)

Parmi les adaptations au théâtre des romans de Zola, seuls l’Assommoir et Nana rencontrèrent un véritable succès. Tout pour l’honneur, après avoir rencontré au Théâtre-Libre un succès d’estime, fut joué sept fois à Bruxelles au théâtre Molière (avec la participation d’Antoine lui-même), en janvier 1888. Jacques Damour, à la fin de 1887, entra au répertoire de l’Odéon pour quelques soirées. Germinal, malgré ses démêlés avec la censure, qui en empêcha pendant trois ans la représentation (tandis que la pièce, en 1886, était jouée aux États-Unis), fut un échec complet à Paris et un demi-succès à Bruxelles, au théâtre Molière, en 1889. Les adaptations postérieures eurent une existence encore plus éphémère. Mais Nana eut plus de cent représentations en 1881 ; l’Assommoir en eut près de trois cents en 1879 ; il fut joué en province par deux troupes distinctes pendant trois mois et fut repris au Châtelet en 1885 et au théâtre de la République en 1893 ; en Angleterre, son adaptation par Charles Reade (Drink) fut jouée plus de cinq cents fois.

La critique reprocha aux comédies de Zola leur manque d’esprit et de gaieté, et à ses drames l’incertitude de leurs caractères, la longueur de leurs tirades d’analyse, leur complaisance dans la violence verbale et la peinture outrée des névroses, leurs maladresses de construction. Parmi les plus sévères citons Paul de Saint-Victor, Francisque Sarcey. D’autres, comme Jules Claretie, Théodore de Banville, Paul Foucher, Henri Chabrillat étaient plus indulgents et relevaient dans Thérèse Raquin la vigueur de la donnée et la puissance des effets de passion et de terreur. Mais il est certain que Zola n’a pas craint, dans ses drames, de recourir aux conventions du théâtre traditionnel, aux dépens de ses principes affirmés de vérité et de logique, et des qualités d’observateur, de peintre et de poète qu’attestent ses chefs-d’œuvre romanesques.

Si Zola ne semble pas avoir mesuré d’assez près les difficultés qui touchaient à la forme de l’œuvre dramatique, il voulait, de toute son énergie, en renouveler la substance. Plus que par ses pièces, c’est par ses études théoriques et critiques, regroupées pour l’essentiel dans Nos auteurs dramatiques et le Naturalisme du théâtre (1881), et par ses préfaces qu’il a exercé une profonde influence sur l’évolution du théâtre et de la mise en scène après 1880.

Pour lui, tout est faussé dans le théâtre contemporain : la scène, les goûts du public, les exigences de la critique. « Compliquer une situation d’épisodes parallèles, épicer avec quelques types pittoresques, tout brouiller pour tout démêler, mettre le public dans la confidence, de façon à ne pas lui être désagréable en le surprenant par trop », voilà la recette de la pièce bien faite. « On entasse sans le moindre scrupule les faits les plus ridicules, les impossibilités les plus matérielles. On se moque bien de l’analyse des personnages, de l’étude des caractères, de la logique de l’action générale [...]. La critique dramatique en est arrivée à ne plus constater que le jeu plus ou moins bien graissé des ressorts. » Zola s’efforce de discréditer la comédie d’intrigue (Sardou, Labiche, Gondinet), la pièce à thèse (Feuillet, Dumas fils), le drame historique (Hugo et ses disciples, Hennery). Il marque plus d’indulgence pour Émile Augier. Il rend hommage à Racine et à la tragédie classique. Et il souhaite un théâtre qui se détache des personnages tout faits et des mécanismes artificiels pour revenir à l’analyse exacte des passions et reprendre la formule classique, élargie à la représentation totale et vraie de la vie contemporaine. Il réclame une action fondée sur la confrontation des tempéraments, une langue naturelle, qui soit comme un « résumé de la langue parlée », et la recherche d’une minutieuse vérité dans les décors, les costumes, les mouvements et la diction. « Le besoin du fait matériel est devenu de plus en plus impérieux. Tandis que les spectateurs d’autrefois se plaisaient à l’étude simplifiée des caractères, à la dissertation dialoguée sur un sujet, les spectateurs d’aujourd’hui exigent l’action elle-même, le personnage allant et venant dans son milieu naturel. » À cela, Sarcey, Dumas fils, Lemaitre, Weiss, Lapommeraye, critiques traditionalistes, opposaient l’impossibilité d’identifier l’art à la nature, l’impuissance de la scène à jamais dire tout ce que disent les interdits de la bienséance, les nécessités du spectacle et les lois de l’illusion scénique.

Les idées de Zola ont inspiré Henry Becque, Lucien Descaves, Oscar Méténier, les auteurs de « comédies rosses », qui ont dépeint avec férocité les comportements de la bourgeoisie. Mais, malgré ses espérances, il ne s’est pas trouvé en France un grand dramaturge naturaliste. C’est dans la mise en scène, avec Antoine et le Théâtre-Libre, que l’action de l’auteur des Rougon-Macquart s’est fait sentir de façon durable.


Le critique, le chroniqueur et le polémiste

Mes haines, au titre éclatant et provocateur, est le premier recueil d’études critiques publié par Zola (1866). Il réunit des chroniques qui avaient paru en 1865 dans le Salut public de Lyon, sur Germinie Lacerteux, Gustave Doré, Proudhon, Courbet, Barbey d’Aurevilly, Erckmann-Chatrian, Dumas fils, Taine, etc. Certains de ces articles tournaient au manifeste, et Mes haines marque bien à cet égard le point de départ du naturalisme : Zola y affirme sa faveur pour les « fortifiantes brutalités de la vérité », sa confiance dans le proche triomphe de l’art d’analyse, mais aussi le rôle indispensable d’un « tempérament » personnel. D’année en année, jusqu’en 1875, à travers ses articles de critique littéraire (réunis dans les Œuvres complètes sous les titres de Marbres et plâtres, de Deux Définitions du roman, de Livres d’aujourd’hui et de demain, de Causeries dramatiques), il développera et approfondira ces thèmes, en portant sur les œuvres de la littérature contemporaine des jugements que la postérité a généralement ratifiés. Il en est de même pour la peinture, avec ses Salons, où il proclame son admiration pour Courbet, Manet, Monet, Pissarro, Sisley, Bazille.