Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

vision (suite)

Pigments animaux

Les bâtonnets des Vertébrés contiennent une rhodopsine tout à fait analogue à celle de l’Homme, le même rétinal étant lié à une opsine propre à chaque espèce ; d’où des variations dans la position du maximum d’absorption (entre 478 et 528 nm). Chez les Poissons, il existe un pigment différent, la porphyropsine, dont le maximum d’absorption se place entre 523 et 562 nm. Ce pigment contient un « rétinal2 », ou déhydrorétinal, qui diffère du précédent par la présence d’une valence supplémentaire entre deux carbones du noyau cyclique, avec départ de 2H, ce qui, pour une même opsine, déplace les spectres de 20 nm environ vers les grandes longueurs d’onde. Certains Poissons présentent à la fois de la rhodopsine et de la porphyropsine, celle-ci étant mieux adaptée à la transparence des eaux douces et la première à l’eau de mer. On connaît actuellement plusieurs centaines de pigments visuels de bâtonnets, et on les désigne par la position de leur λm (absorption maximale) avec un indice inférieur 1 ou 2 selon le type de rétinal du pigment. La parenté chimique de tous ces pigments se traduit par la règle du nomogramme de Dartnall : avec une échelle d’abscisses en fréquences (inverses des longueurs d’onde), tous les spectres d’absorption sont identiques à une translation près. Comme l’anatomie, la photochimie révèle une extraordinaire unité de plan dans l’œil des Vertébrés.


Électrophysiologie

En 1849, Émil Du Bois-Reymond (1818-1896) décrivit le potentiel de repos, de l’ordre de 6 mV, qui existe entre la cornée et le fond de l’œil ; en 1865, Frithiof Holmgren (1831-1897) constata que se superposait à ce phénomène permanent une brusque variation, dite potentiel d’action, au moment où l’on éclaire la rétine. Ces électrorétinogrammes (erg) ont donné lieu depuis cinquante ans à un nombre énorme de recherches ; ce sont des effets globaux de toute la rétine, faciles à enregistrer — si bien que les cliniciens s’en sont emparés —, mais d’interprétation malaisée.

Beaucoup plus importante pour la physiologie est la technique des microélectrodes (T. Tomita, 1950), qui permet de recueillir le potentiel dans une seule cellule nerveuse de la rétine. On peut ainsi enregistrer la réponse des cônes, des bâtonnets, des cellules de relais de la rétine (bipolaires, ganglionnaires, etc.) [v. œil] et même, dans le cerveau, déceler l’arrivée du message visuel. Dans le cas des ganglionnaires par exemple, Haldan Keffer Hartline (né en 1903, prix Nobel en 1967) a montré que la réponse consistait en bouffées d’ondes de potentiel très brèves, toutes identiques (« spikes »), et dont seule la fréquence varie avec l’intensité de la stimulation ; chaque pointe de potentiel, d’une fraction de milli-volt, dure moins du millième de seconde et se propage le long des fibres du nerf optique avec une vitesse de 30 m/s environ chez l’Homme. Les réponses de la ganglionnaire peuvent être de divers types ; certaines ganglionnaires répondent pendant tout le temps que dure l’excitation lumineuse, les volées de « spikes » étant serrées au début, après l’allumage (il y a toujours un petit retard, dit latence), puis se stabilisant en fréquence ; on les appelle réponses on ; d’autres ne répondent qu’après l’extinction et continuent dans l’obscurité avec une fréquence qui décroît et finit par s’arrêter (type off) ; enfin, certaines ne répondent, brièvement, qu’après l’allumage et l’extinction (type on-off).

Sur l’Homme, l’électrophysiologie a permis de retrouver les résultats subjectifs de mesure de la sensibilité spectrale, scotopique et photopique, et on a pu contrôler sur l’animal les résultats du conditionnement ou d’y suppléer quand un dressage n’est pas possible. Le codage du message lumineux, c’est-à-dire la fréquence des « spikes », n’est nullement une fonction linéaire de l’intensité de la lumière ; cette fréquence serait plus voisine d’une loi logarithmique ; cela donne une base à la loi G. Th. Fechner (1860), selon laquelle « la sensation est proportionnelle au logarithme de l’intensité physique du stimulus ». On a constaté aussi que les cellules ganglionnaires du type on-off répondent non seulement à l’allumage et à l’extinction de la lumière, mais aussi à ses variations brusques d’intensité et donc servent à prévenir l’animal que quelque chose change dans son environnement.


Limites d’emploi de l’œil

L’œil est un récepteur remarquablement sensible : quand les bâtonnets sont bien adaptés à l’obscurité, un éclair lumineux est perçu, pour la lumière de 500 nm, quand quelques dizaines seulement de photons de cet éclair entrent dans l’œil ; le nombre des photons réellement efficaces est au moins cinq fois moindre, les autres n’étant pas absorbés par la rhodopsine, si bien que ce nombre utile est de quelques unités seulement. En un sens, la sensibilité de l’œil est presque limitée par la structure granulaire de la lumière : nous ne voyons pas individuellement les photons, mais peu s’en faut. (Il en est de même de l’oreille, le tympan étant, dans les meilleures conditions, sensible à des variations de pression du même ordre que les fluctuations de cette pression dues au fait que l’air n’est pas un fluide continu et qu’il se compose de molécules discrètes.) Chez certains animaux, cette sensibilité peut encore être augmentée par la présence, derrière la rétine, d’un tapis réfléchissant qui double la probabilité de capture des photons en les faisant traverser deux fois les bâtonnets. Une autre méthode, chez les Poissons des grandes profondeurs notamment, est la présence de plusieurs couches superposées de bâtonnets ou encore une accumulation de rhodopsine telle dans chaque bâtonnet que tous les photons soient capturés.

L’optique de l’œil intervient dans cette sensibilité, et, en particulier, la pupille, ce trou circulaire percé dans l’iris et qui sert de diaphragme, s’ouvre complètement en faible lumière, jusqu’à un diamètre qui peut atteindre 10 mm ; la distance focale de l’œil étant de l’ordre de 16 mm, on voit que l’objectif est très ouvert, pour parler le langage des photographes.