Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Vignon (Claude) (suite)

Installé à Paris, le peintre évolua vers des compositions plus aérées et des couleurs plus claires (Crésus [?], 1629, musée de Tours). Il retourna sans doute à Rome plusieurs fois, comme expert et peut-être comme marchand. De deux mariages successifs, il eut de nombreux enfants (dont deux peintres : Claude François [1633-1703] et Philippe [1638-1701]) et fut sans doute poussé par la nécessité à cette facture expéditive qui le caractérise et à laquelle, d’ailleurs, l’inclinait son tempérament. Il ne semble pas que sa réception à l’Académie (1653), où il enseigna, ait modifié son style. Des œuvres tardives — la Circoncision de 1652 (Greenville, États-Unis) ou le Lavement des pieds de 1653 (Nantes, musée des Beaux-Arts) — expriment de nouveau l’atmosphère onirique des toiles de sa jeunesse.

Il est difficile de délimiter exactement l’influence de Vignon, artiste célèbre en son temps. Signalons, cependant, qu’elle s’est sans doute exercée sur le jeune Rembrandt* par l’intermédiaire de l’estampe.

E. P.

Vigny (Alfred de)

Écrivain français (Loches 1797 - Paris 1863).


Assigner aux jeunes gens de l’avenir une confrontation par décennie, c’est s’en remettre, pour sa survie, au plus impitoyable des juges. Tel est pourtant le pari engagé par Vigny avec la postérité dans la dernière strophe du dernier poème de son dernier recueil. Le contrat avec l’Esprit pur n’a pas toujours été reconduit avec la même bonne grâce, mais nous disposons, depuis quelques années, de documents plus complets qui nous permettent de modifier notre « lecture » de Vigny, en ajoutant à la liste traditionnelle de ses écrits le texte de nombreuses lettres, celui de ses Mémoires et de ses carnets les plus intimes. Ces dernières découvertes font quelque peu vaciller l’image de l’ange blond ou du cygne, autant que celle de l’occupant solitaire de la tour d’ivoire. Une critique éclairée a su ramener cependant à leur juste place des épanchements érotiques, des préoccupations de marchand de cognac et un zèle policier dont on a exagéré l’importance en les isolant d’un ensemble vécu. Il se trouve que Vigny avait lui-même prévu et désamorcé l’offensive. En fils adoptif de la Charente, le maître du Maine-Giraud met une robustesse toute paysanne à définir le destin comme une « fermentation naturelle des faits et des actes ». Aristocrate, amant, soldat et poète malheureux, il sait qu’on ne nous a pas laissé le moyen de choisir notre voie et qu’il faut assumer la totalité de l’existence : « Il y a une force plus puissante que celle des hommes, c’est l’enchaînement des choses de la vie » (Journal d’un poète, 1860).

Le fait de croire à la vertu d’un jugement posthume lorsque, dans le meilleur des cas, on n’a jamais eu avec ses contemporains que des relations de politesse distinguée peut trahir une intrépide foi en son génie ou une plate inconscience de ses limites. Mais il semble que Vigny ait échappé autant à la vaine suffisance qu’à l’héroïque orgueil. Cette confiance en la justice de l’avenir est l’inévitable prolongement d’une sincérité absolue appliquée aux « choses de la vie » ; c’est la conviction que, tôt ou tard, la réalité intégrale de l’expérience et la franchise de l’engagement ne peuvent pas ne pas recevoir la sanction de leur authenticité. Vigny, homme d’ordre et de méditation, n’en est pas moins homme de progrès. Si par sa patiente observation de clinicien il se situe dans le prolongement de la réflexion classique sur la nature humaine, par ses angoisses psychiques et la violence de sa contestation métaphysique il s’insère très fortement dans notre époque. Chaque sondage ramène au jour l’évidence de nouvelles correspondances : Vigny, Freud et les passions secrètes, Vigny, Kafka et le thème du Grand Procès, Vigny, sa thérapeutique de la rêverie et Bachelard, Vigny et le huis clos de Sartre (« Qu’est-il besoin d’enfer, n’avons-nous pas la vie ? »), Vigny, Sisyphe, l’absurde et Camus... Et comment ne pas relever ces réflexions que l’on croirait venues de Valéry : « Bain de l’âme, ô repos et travail à la fois : j’écoute les pas harmonieux des idées à travers les sphères de tous les mondes et dans toutes les constellations du passé et les rêves étoilés de l’avenir » ou encore : « La pensée seule, la Pensée pure, l’exercice intérieur des idées et leur jeu entre elles, est pour moi un véritable bonheur » (Journal d’un poète, 1858).

Ce qui aboutit à la « Marche de l’Esprit », que Vigny nomme ainsi bien avant Ánguelos Sikelianós, et son idéal de communion delphique part d’une constatation fondamentale, celle du « grand » et mystérieux « procès » qui nous a condamnés à la réclusion, sans recours en grâce possible. Le juge est invisible, inerte et sourd : « Condamnés à mort, condamnés à la vie, voilà deux certitudes. Condamnés à perdre ceux que nous aimons et à les voir devenir cadavres, condamnés à ignorer le passé et l’avenir de l’humanité et à y penser toujours ! Mais pourquoi cette condamnation ? Vous ne le saurez jamais. Les pièces du Grand Procès sont brûlées : inutile de les chercher » (Journal d’un poète, 1834).

Incapable d’admettre qu’un Dieu prétendu juste et bon ait pu engendrer un monde où se tienne le germe du mal et où meurent les innocents, Vigny refuse pour les hommes la responsabilité du péché. Il érige en majesté les souffrances humaines et trouve la résolution de ses conflits dans un « désespoir calme » et un « scepticisme pieux » qui mènent à la divinisation de la conscience. Ainsi se concilient les éléments, en apparence irréductibles, de ce que notre époque appellera la sainteté laïque.

Dans ce schéma s’inscrivent essentiellement trois groupes d’œuvres. Pour le premier temps de l’enquête s’élabore, de 1822 à 1832, le recueil des Poèmes antiques et modernes. Vigny s’y souvient de ses lectures ; la Bible et Homère, Milton, le roman noir anglais, Swedenborg, Chénier, Byron, Chateaubriand l’aident à recenser les pièges que la destinée tend aux hommes. On voit Dieu se détourner inexplicablement de ceux qu’il a élus (« Moïse », « Éloa », « le Déluge ») ou condamner le monde moderne à la nuit (« Paris », « les Amants de Montmorency »).