Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Vignole (le) (suite)

À Rome, après avoir élevé la façade extérieure de la porte du Peuple en 1561, il succède à Michel-Ange* sur le chantier de Saint-Pierre et ajoute les petites coupoles latérales. À Assise, à Pérouse, il bâtira des églises. Mais son apport véritable à l’art religieux réside d’abord dans deux chapelles romaines (Sant’Andrea sulla Via Flaminia, 1554 ; Sant’Anna dei Palafrenieri, au Vatican, projet de 1567 réalisé à partir de 1572), toutes deux de plan ovale et en rupture avec le principe renaissant d’unité organique par l’absence de lien entre l’extérieur et l’intérieur. Ce caractère est encore plus marqué à l’église du Gesù (commencée en 1568), où le Vignole revient au plan en longueur. Non pas celui qui fut adopté par Alberti* à Sant’Andrea de Mantoue, avec de grandes chapelles butant visiblement la nef, mais un plan générateur d’un espace unifié, où les chapelles basses n’ont pas de rôle actif. En façade, un ordre unique est prévu ; le Vignole n’est donc pas responsable des ordres que superposera Giacomo Della Porta (v. 1540-1602), non plus que du décor intérieur de l’édifice. La grande église jésuite de Rome va servir, deux siècles durant, d’exemple conforme aux principes énoncés par le concile de Trente*.

Dans une tout autre voie, le Vignole devait connaître un succès encore plus durable. Dans l’esprit de Serlio* et de Palladio*, il publie en 1562 une Règle des cinq ordres d’architecture, maintes fois rééditée et adaptée jusqu’à nos jours. Avec lui, la simplicité triomphe, aussi bien dans les rapports modulaires que par une expression graphique prenant le pas sur les commentaires vitruviens de ses devanciers. Malheureusement, la méthode visuelle favorise le poncif, et des générations d’élèves — ou de professeurs — ne verront dans « le Vignole » qu’une morphologie élémentaire, un recueil de formules, aussi arbitraires que celles de la scénographie (passionné par l’étude de la perspective, l’artiste lui consacra un autre traité, édité en 1583 par Egnazio Danti).

Le renom exemplaire dû au Gesù, et plus encore au traité des ordres, vaut au Vignole de faire figure de légataire de la Renaissance ; cela pourrait suffire à sa gloire, mais laisserait dans l’ombre tout ce qui, dans son œuvre, appartient déjà à l’esprit baroque.

H. P.

 G. K. Loukomski, Jacques Vignole, sa vie, son œuvre (Vincent, Fréal et Cie, 1927). / P. Esquié, Vignole (Massin, 1946). / M. Walcher-Casotti, Il Vignola (Triestre, 1960 ; 2 vol.). / G. Labrot, le Palais Farnèse de Caprarola. Essai de lecture (Klincksieck, 1970).

Vignon (Claude)

Peintre et graveur français (Tours 1593 - Paris 1670).


On est loin d’avoir identifié la centaine de tableaux que lui attribuait peu après sa mort l’historien Guillet de Saint-Georges. Certaines œuvres ne nous sont connues que par des eaux-fortes d’un style très libre dues à l’artiste lui-même : ainsi les Corps de saint Pierre et de saint Paul dans le même sépulcre (1620). Pour ce qui est des étapes de sa vie, les incertitudes restent nombreuses. Son séjour à Rome se situe sans doute entre 1616 (année de sa réception dans la communauté des peintres de Paris) et 1627 (année de son entrée en charge dans ladite communauté), mais on a aussi avancé la date de 1610. Vignon étudia sans doute avec Georges Lallemand († 1635), dont l’Adoration des Mages du musée de Lille a longtemps été attribuée à Vignon.

La première œuvre signée et datée que l’on connaisse est le Martyre de saint Matthieu (1617, musée d’Arras), qui suppose la connaissance du tableau homonyme du Caravage* à Saint-Louis-des-Français. La violence du mouvement et des jeux de lumière (sans ténébrisme toutefois) ainsi que les types populaires s’en rapprochent, alors que la composition compacte fait penser à Hendrik Terbrugghen (1588-1629).

À Rome, où il vécut sans doute jusqu’en 1624, Vignon connut Simon Vouet*, avec qui il semble avoir entretenu d’étroites relations. Apprécié du milieu des mécènes, il gagna le prix d’un concours organisé par le cardinal Ludovico Ludovisi, neveu de Grégoire XV, pour une toile représentant les Noces de Cana (disparue de Potsdam en 1945). De cette période romaine datent beaucoup des œuvres de Vignon actuellement connues : l’Adoration des Mages (1619, Dayton Art Institute, États-Unis), dont le style scintillant est très caractéristique ; le Portrait de jeune homme (v. 1615-1618, Althorp House, près de Northampton) précédemment attribué à Domenico Fetti et dont la curieuse facture correspond aux remarques de Roger de Piles : Vignon mettait ses teintes en place « sans les lier » ; le David avec la tête de Goliath (v. 1620-1622, collection privée, États-Unis), caractéristique par le brio théâtral que Vignon applique à un sujet tragique, parant David d’une coiffure pleine de fantaisie ; etc. Le Jeune Chanteur du Louvre (1622 ou 1623) fut un moment attribué à Fragonard, ce qui est un signe de la liberté et de l’audace de sa facture, qui inspire aujourd’hui des rapprochements moins osés avec des Hollandais comme Terbrugghen et Dirck Van Baburen (v. 1590-1624).

Dans son ensemble, l’œuvre de Vignon témoigne d’une grande diversité de sources, ce qui ne facilite pas la tâche de l’historien. Outre l’influence de Vouet, il faut noter particulièrement celle des peintres vénitiens, tel Domenico Fetti (v. 1589-1624), dont on pourrait retrouver les contrastes de couleurs et les empâtements dans l’Adoration des Mages de Dayton et dans la toile du même sujet de l’église Saint-Gervais-Saint-Protais à Paris.

Grand voyageur, et quelque peu aventurier, l’artiste se rendit plusieurs fois en Espagne ; la seconde fois entre 1625 et 1628, sur l’ordre de la reine Marie de Médicis, avec mission de lui fournir des « tableaux et ouvrages de marbre ». Il semble que ces contacts aient fortement marqué sa manière. Plus tard, en retour, un Valdés Leal* devra, semble-t-il, une partie de son style à des œuvres de Vignon vues dans son pays.