Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Viêt-nam (suite)

Le Nam-tiên ou la marche vers le Sud

Le Dai Viêt parvient à réaliser une unité nationale et une homogénéité administrative qui vont lui permettre d’élargir l’espace territorial nécessaire à sa nombreuse population rurale concentrée dans les deltas. Les Viêts (ou Kinhs) s’emploient donc à trouver de nouvelles terres de colonisation aux dépens des Chams, soit par intégration, soit, le plus souvent, par la guerre.

Le royaume de Champa*, fondé en 192, et qui s’étend sur la façade maritime péninsulaire, est soumis aux assauts du colonialisme viêt ; celui-ci progresse par l’épée et la charrue pour s’emparer des petites plaines côtières. Cette marche vers le Sud, fait dominant de l’histoire vietnamienne, va se poursuivre jusqu’au xviiie s., emportant dans son courant ses cohortes d’émigrés, paysans sans terres, vagabonds, déserteurs et brigands, qui se substituent inexorablement aux autochtones, refoulés vers les hautes régions déshéritées.

Les colonies agricoles (dôn-diên) des Kinhs repoussent peu à peu les limites méridionales de l’État viêt, qui, après la disparition du Champa, se heurte aux Khmers, qui occupent l’ancien royaume de Fou-nan.


La sauvegarde de l’indépendance nationale

Dans la Chine des Song, les partis de la reconquête du Dai Viêt n’ont pas capitulé, et l’échec de la politique réformiste et socialisante de Wang Anshi (Wang Ngan-che) amène l’empire à préparer une nouvelle invasion. Le général vietnamien Ly Thuong Kiêt prend les devants par terre et par mer, et bat les Chinois sur leur propre territoire (1076). L’année suivante, une contre-offensive chinoise, soutenue par les Chams et les Khmers, est brisée. Cet échec de la Chine laisse pour un certain temps le Dai Viêt en paix.

Aux derniers Ly, quelque peu amollis, sans réaction devant des jacqueries et, par ailleurs, sans héritiers mâles, succèdent les Trân (1225-1413). La centralisation monarchique s’accentue, accroissant considérablement l’autorité des lettrés fonctionnaires, perfectionnant la législation et affirmant la puissance du Dai Viêt.

Mais, à partir du xiiie s., un autre péril menace le Dai Viêt : les Mongols*, alors maîtres d’un empire universel, sont aux portes du pays. En 1257, les armées de Kūbīlāy khān* exigent le passage à travers le Dai Viêt pour tourner la Chine des Song par le sud. À la suite du refus des Trân, les Mongols envahissent le pays, dont ils saccagent la capitale, Thang Long, sur le fleuve Rouge. Après quelques défaites, les Vietnamiens réagissent et repoussent l’ennemi, coupé de ses bases arrière et mal adapté au climat tropical. Après avoir liquidé les derniers Song et fondé la dynastie des Yuan (1279), Kūbīlāy khān lance à partir de 1283 de vastes opérations navales et terrestres pour envahir toute la péninsule indochinoise. Mais l’empereur Trân Nhân Tông (1279-1293) et son généralissime Trân Hung Dao, usant de la tactique de la terre brûlée et de la guérilla générale, harcèlent l’occupant, entré dans le delta du fleuve Rouge. Dès l’année suivante, le Dai Viêt est libéré. En 1287, une nouvelle invasion mongole est arrêtée grâce à une victoire navale remportée sur le fleuve Bach Dang. Ce succès marque la fin de l’expansion mongole dans cette partie du monde.


La vie culturelle sous les Ly et sous les Trân

La stabilité étatique et l’expansion nationale permettent un réel essor culturel tant sur le plan de la pensée et des lettres que sur celui des arts.

La société vietnamienne repose sur deux structures traditionnelles, représentées par la famille et la commune. La famille patriarcale est une cellule homogène régie initialement par une antique religion domestique, le culte rendu aux ancêtres. Cette religion s’est étendue au village protégé par un génie tutélaire commun.

Sur ce système socio-religieux vont venir se greffer deux doctrines, le bouddhisme* et le confucianisme*.

La première, d’origine indienne, entre au Viêt-nam aux alentours du ier s., et, dès le xe s., de nombreuses sectes bouddhiques s’intègrent dans les cours impériales avec leur doctrine de détachement matériel et de spéculation extatique, leurs livres sacrés et leur liturgie. La seconde, issue de Chine, faite d’obligations sociales et morales au nom d’un ordre social idéal, s’introduit aisément dans la société très hiérarchisée du Dai Viêt.

La culture confucéenne s’affirme, et apparaissent bientôt des écoles doctrinales renforçant les lettrés dans leur influence et leur autorité.

Bouddhisme et confucianisme finissent par s’affronter au xiiie s. dans des conflits strictement idéologiques ; le premier est bientôt évincé par le second, devenu doctrine d’État grâce au soutien des lettrés, rivaux de l’aristocratie nobiliaire.

La littérature, très influencée par la Chine, à laquelle elle emprunte les idéogrammes, se dégage lentement. Architecture, sculpture, peinture, céramique, théâtres constituent les réalisations les plus notoires de cette période féodale.


La crise du féodalisme

En 1400, l’un des plus prestigieux généraux, Lê Qui Ly, vainqueur des Chams, s’empare du pouvoir et prend le titre dynastique de Hô après avoir renversé les Trân. Les légitimistes s’efforcent de restaurer leur clan, mais la vacance du pouvoir favorise une intervention chinoise qui va faire tomber le Dai Viêt, pour plus de vingt ans (1406-1428), sous la domination rigoureuse des Ming (lourde fiscalité, institution de la gabelle, corvées, sinisation forcée).

Cette occupation suscite une vive résistance. Un paysan aisé, Lê Loi, aidé d’un brillant lettré devenu son conseiller politique et militaire, Nguyên Trai (1380-1442), galvanise les populations et organise la guérilla. Il finit par infliger aux troupes chinoises une série de défaites qui les obligent à refluer par-delà leurs frontières.

L’indépendance reconquise, la nouvelle dynastie Lê opère une importante réforme agraire : partage général des terres et confiscation de celles des propriétaires ayant pactisé avec l’ennemi, abaissement des fermages, garantie de la propriété privée et du travail libre des paysans. Ces mesures récompensent les masses rurales, qui ont constitué le gros de la résistance, et annihile la suprématie de l’ancienne aristocratie. Le travail libre des paysans efface un servage déguisé sur les grands domaines et entraîne une stimulation de la production privée.

Sous le règne de Lê Thanh Tông (1460-1497) est rédigé le code Hông Duc, qui systématise les textes législatifs et judiciaires, et qui, en dépit de son inspiration féodaliste et confucéenne, marque un pas réel vers un principe d’organisation progressiste.