Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Véronèse (le)

En ital. Il Veronese, surnom de Paolo Caliari, peintre italien (Vérone 1528 - Venise 1588).


Avec Titien* et le Tintoret*, le Véronèse est l’une des trois principales figures de l’école vénitienne du cinquecento. Cependant, il venait d’une cité de la Terre Ferme, important foyer de l’art romain, roman, gothique et de la Renaissance. Il se forma au sein de l’école locale, une école éclectique, où le goût de la couleur rencontrait l’influence de Raphaël*, de Michel-Ange*, du Corrège* et du maniérisme*. On en perçoit l’écho dans le premier tableau important du Véronèse, une Vierge à l’Enfant trônant au-dessus de deux saints et de deux donateurs, aujourd’hui au Museo di Castelvecchio de Vérone.

Mais le peintre ne devait pas longtemps se contenter d’un milieu malgré tout provincial. Il se rendit à Venise* et s’y fit une place dès 1553 en travaillant, dans le palais des Doges, à la décoration des plafonds à compartiments du Consiglio dei Dieci. Les six toiles de sa main, à sujets mythologiques ou allégoriques (quatre demeurées en place, deux aujourd’hui au musée du Louvre), laissent reconnaître encore des emprunts à Michel-Ange et aux maniéristes. En 1556-57, le Véronèse collabora à une autre grande entreprise vénitienne, le plafond principal de la Libreria di San Marco ; sa part consiste en trois toiles (l’Honneur, les Mathématiques, la Musique), remarquables par leur composition adaptée à un format circulaire, par l’audace des raccourcis, par le raffinement d’un coloris inspiré de Titien. En 1555, il avait commencé à San Sebastiano, l’église des Hiéronymites de Venise, une série de travaux qui devait l’occuper pendant quinze ans et lui permettre d’affirmer sa personnalité. Peintes en 1556, les trois grandes toiles du plafond de la nef, aux sujets tirés de l’Histoire d’Esther, font déjà pressentir la maturité de son art avec l’aisance de leur perspective conçue pour une vision oblique, le déploiement de leurs architectures feintes, la vigueur et la luminosité de leur coloris.

Les Pèlerins d’Emmaüs (Louvre), de 1560 environ, inaugurent un type de composition en largeur, à grand déploiement de figures, incorporant des portraits et des scènes de genre. C’est un prélude aux immenses toiles peintes pour des réfectoires de communautés, et représentant des festins fastueux dans le cadre d’architectures inspirées de Sansovino* et de Palladio* : d’abord le Repas chez Simon des Santi Nazario e Celso de Vérone (Galleria Sabauda de Turin) ; en 1562-63, les Noces de Cana de San Giorgio Maggiore de Venise (Louvre), dont l’ampleur et la richesse en détails sont exceptionnelles ; dans une composition plus articulée, en 1572, la Cène de saint Grégoire du sanctuaire du Monte Berico, près de Vicence, puis le Repas chez Simon le Pharisien des Servites de Venise (offert à Louis XIV, Versailles) ; en 1573, enfin, le Repas chez Lévi des San Zanipolo de Venise (Accademia), dont les détails profanes valurent au Véronèse d’être inquiété par l’Inquisition.

Autour de 1560-61, la carrière du peintre connut un brillant épisode avec la décoration à fresque de la villa Barbaro, bâtie à Maser sur les plans de Palladio. Aux parois du vestibule cruciforme et de cinq pièces avoisinantes, des portiques en trompe l’œil encadrent soit des paysages d’une fantaisie poétique, soit des figures simulant des statues ou, au contraire (les musiciennes du vestibule), enlevées en vives couleurs. Les compartiments des voûtes et les lunettes, à sujets mythologiques ou allégoriques, font triompher la perspective plafonnante et un coloris aussi éclatant que lumineux, surtout dans la composition céleste et tournante de la salle centrale, où les divinités de l’Olympe sont assemblées au-dessus de faux balcons qu’animent des figures de la vie quotidienne, tour de force d’un illusionnisme qu’illustrent aussi, dans le vestibule et aux deux extrémités de l’enfilade des pièces, des personnages en trompe l’œil apparaissant devant des portes simulées.

On place vers 1565 quatre allégories provenant d’un plafond (National Gallery, Londres), aux raccourcis audacieux. En 1566, le Véronèse peignit dans sa ville natale le grandiose retable du maître-autel de San Giorgio in Braida, un Martyre de saint Georges, et, pour la même église, Saint Barnabé guérissant un malade (musée de Rouen). Le brillant Mariage mystique de sainte Catherine, ancien retable de Santa Catarina de Venise (Accademia), date de 1570 environ. Peint en collaboration avec Benedetto Caliari (1538-1598), frère de Paolo, au maître-autel de Santa Giustina de Padoue, le Martyre de sainte Justine (1575) rappelle celui de saint Georges par son ample composition à deux registres. Au palais des Doges de Venise, le plafond à compartiments de la sala del Collegio reçut entre 1575 et 1577 des peintures allégoriques dont les figures se détachent sur un ciel intensément lumineux. Vers la même époque, l’Adoration des Mages, grande toile en hauteur (Santa Corona de Vicence), offre des tons d’un registre plus grave, dans une atmosphère de mystérieux crépuscule, alors que la suite des tableaux mythologiques peints pour l’empereur Rodolphe II, aujourd’hui dispersés (deux à la collection Frick, un au Metropolitan Museum de New York et un au Fitzwilliam Museum de Cambridge), rappellent l’inspiration des « poèmes » de Titien.

A partir de 1580 environ, l’intervention très large des aides explique des inégalités d’exécution : ainsi dans le Triomphe de Venise, grand ovale à composition étagée qui occupe un compartiment du plafond de la sala del Maggior consiglio, au palais des Doges. Cette dernière période a vu naître cependant des ouvrages très personnels, d’un coloris intense, tels le Sacrifice d’Isaac (musée du Prado), Judith et Holopherne (Palazzo Rosso de Gênes) et surtout le dernier du maître (1587), Saint Pantaléon guérissant un enfant (San Pantaleone de Venise), d’inspiration noble et émouvante.