Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Venise (suite)

Cette période a vu aussi se fixer le type vénitien du palais conçu à la fois comme un entrepôt, avec débarcadère, une maison de commerce et une habitation patricienne. La façade sur le canal forme une sorte de triptyque avec deux tours, qui deviendront deux massifs aux percées assez peu nombreuses, de part et d’autre d’un corps central ajouré d’arcades superposées. L’ossature de brique se dissimule sous des placages de marbres souvent polychromes et assemblés en figures géométriques. Ainsi se présentent encore sur le Grand Canal, plus ou moins restaurés, les palais jumeaux Loredan et Farsetti, la Ca’ da Mosto, le palais Palmieri, devenu au xviie s. le « fondaco dei Turchi ».


Venise gothique

Commencée au milieu du xiiie s., la construction de l’église des Dominicains, Santi Giovanni e Paolo (« San Zanipolo »), puis de celle des Franciscains, Santa Maria Gloriosa dei Frari, marque l’abandon des formules byzantines et romanes au profit de la voûte à croisée d’ogives et d’un style lié au gothique péninsulaire. Ces deux majestueux vaisseaux de brique, à ornements de pierre blanche et de marbre, deviendront les nécropoles des doges et des Vénitiens illustres, San Zanipolo surtout. Parmi les autres églises, la Madonna dell’Orto se signale par sa façade gracieuse, Santo Stefano par sa couverture en carène lambrissée.

Dans tout cela, seuls des détails révèlent l’originalité du gothique proprement vénitien, amalgame d’éléments nordiques et orientaux. Sa floraison va du deuxième quart du xive s. au milieu du xve. Il se définit moins par la structure que par son décor mouvementé, nerveux, riche et cependant léger grâce à la prépondérance des vides sur les pleins, souvent polychrome. Deux édifices, l’un religieux, l’autre civil, ont joué un rôle déterminant. Saint-Marc doit au gothique vénitien l’insolite couronnement de sa façade et de ses flancs : une alternance de grands arcs en accolade et d’édicules à pinacles, avec d’abondantes sculptures ornementales ou figuratives, auxquelles ont travaillé des maîtres florentins et lombards. À l’intérieur, Jacobello et Pier Paolo Dalle Masegne élevèrent en 1394 l’iconostase avec ses nobles statues.

Mais c’est dans l’art profane que le gothique vénitien a donné toute sa mesure, et d’abord dans le palais des Doges (Palazzo Ducale), reconstruit à partir de 1340 environ. On doit à une première campagne le corps de bâtiment donnant sur la lagune et formant, sur la Piazzetta, l’amorce de la façade en retour d’équerre. L’élévation, d’une vive originalité, inverse le rapport habituel des masses : c’est en effet la moitié inférieure qui est le plus évidée, au moyen d’un portique et d’une loggia à arcades, alors que la moitié supérieure, en faisant prévaloir la muraille sur les ouvertures, met en valeur l’assemblage de ses marbres bicolores. Entrepris à la fin du xive s. par des maîtres dont un grand nombre étaient originaires de Lombardie, le magnifique décor sculpté comprend notamment les deux groupes d’angles représentant l’un Adam et Ève, l’autre l’Ivresse de Noé. À la seconde campagne, commencée en 1424, revient l’achèvement de l’aile donnant sur la Piazzetta. Elle reproduit l’élévation de la plus ancienne et laisse le même rôle à la sculpture, mais à la contribution des maîtres lombards s’ajoute celle des Toscans, dont on reconnaît la force plastique dans le groupe d’angle représentant le Jugement de Salomon. On doit à Giovanni et à Bartolomeo Bon, pour l’essentiel, l’exubérant décor de la porte d’honneur, dite « porta della Carta » (vers 1440), ainsi que le « portique Foscari », qui s’ouvre sur la cour.

Sur la voie triomphale que forme le Grand Canal, les palais des patriciens témoignent aussi de la floraison gothique. Leur structure dérive du type primitif : entre deux parties plus massives, des arcades superposées forment un écran d’une grâce nerveuse. Ainsi se présentent les palais Foscari, Giustinian, Pisani-Moretta, etc. La « Ca’ d’oro », palais de Marino Contarini (1421-1440), se signale par sa décoration particulièrement luxueuse. Sur les rii et les campi, les palais sont aussi en grand nombre, mais généralement plus simples.

À Saint-Marc, deux cycles de mosaïques datant du milieu du xive s. (baptistère et chapelle Sant’Isidoro) font apparaître un croisement d’influences byzantines et gothiques. À la même époque, on retrouve cette hésitation dans le style du premier maître connu de l’école vénitienne de peinture, Paolo Veneziano (Couronnement de la Vierge, galeries de l’Académie). Lorenzo Veneziano († v. 1379) se révèle mieux dégagé de l’emprise byzantine et plus proche de l’esprit gothique dans son Mariage mystique de sainte Catherine (Académie). Venise, alors, semble ignorer la révolution opérée par Giotto* à Padoue, la ville voisine, malgré l’écho qu’en apporte Guariento en venant peindre en 1360, dans le palais ducal, la fresque (détruite) du Paradis. Le milieu vénitien paraît mieux disposé envers le gothique* fleuri et courtois, dit « international », celui de Gentile da Fabriano et de Pisanello*, également appelés l’un et l’autre pour peindre des fresques au palais ducal (début du xve s., détruites). Représentant vénitien de ce style, Michele Giambono est l’auteur d’une partie des scènes de la vie de la Vierge ornant en mosaïque la chapelle des Mascoli à Saint-Marc (entre 1430 et 1450). Le gothique international trouvera un dernier refuge dans l’école dite « de Murano », fidèle à la préciosité arbitraire des couleurs et à la somptuosité décorative. On doit à la collaboration d’Antonio Vivarini († v. 1484), qui en est le chef, et de Giovanni d’Alemagna († v. 1450) le grand triptyque de la Vierge (1446) encore en place dans l’ancienne Scuola della Carità, dont le local est devenu l’Académie.


La première phase de la Renaissance

Venise tarda beaucoup à prendre part au mouvement de la Renaissance*. Elle n’avait pu cependant ignorer tout à fait l’exemple de Padoue, laboratoire des nouveautés artistiques et relais de l’esprit toscan en Italie du Nord. Dès 1425, Paolo Uccello* était venu dessiner des mosaïques pour San Marco, où la décoration de la chapelle des Mascoli rappelle en partie son style ; Andrea* del Castagno avait peint en 1442 les fresques de la chapelle San Tarasio à San Zaccaria, peu avant que Donatello* ne sculptât le Saint Jean-Baptiste des Frari, statue d’un âpre réalisme.