Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
U

utopie (suite)

Cependant, en dehors de ces expériences fugaces ou restreintes, l’histoire offre aussi des constructions durables à l’échelle étatique, que l’on est en droit de considérer comme des utopies réalisées. La tragique expérience anabaptiste* (1534-35) de la ville de Münster, qui a inspiré un roman historique à Marguerite Yourcenar, mérite au moins une mention à défaut d’une étude approfondie impossible dans nos cadres restreints. Deux autres expériences plus durables ont retenu l’attention des sociologues : l’État des Jésuites au Paraguay et l’Empire inca, dont Louis Baudin, dans la Vie quotidienne au temps des derniers Incas (1955), a signalé les analogies avec l’utopie de Thomas More.

La tradition attribue à l’Inca Pachacútec l’organisation de cet Empire ; véridique, cette tradition classerait ce souverain parmi les plus grands brasseurs d’humanité de l’histoire, aux côtés d’un Shi Huangdi (Che Houangti) [que la Chine populaire vient de reconnaître comme un précurseur] et d’un César. L’œuvre de Pachacútec a fait couler beaucoup d’encre, et le débat est loin d’être terminé : modèle socialiste (L. Baudin), État totalitaire (R. Karsten), à moins que ce soit l’un et l’autre. C’était, en tout cas, pour employer l’expression de René Dumont, une « société de survie » destinée à permettre la perpétuation de l’espèce humaine dans des conditions naturelles et démographiques difficiles. C’était aussi une société essentiellement hiérarchique, à laquelle l’idée d’égalité devait être proprement incompréhensible. C’était enfin — tous les témoignages concordent sur ce point — l’une des sociétés les moins féministes de toute l’histoire : la femme — et en particulier la femme du peuple — s’y trouvait littéralement dégradée au rang d’objet. Il y régnait un ordre, une honnêteté matérielle, un respect de la hiérarchie qui font un peu penser à la Chine populaire. Nul ne souffrait de faim au Pérou, et le sort réservé aux vieillards pouvait susciter la jalousie de leurs homologues européens de l’époque. Toutes les énergies étaient au service de la productivité ; même les aveugles étaient utilisés pour des travaux appropriés à leur état. Comme l’écrit Louis Baudin : « [...] l’Indien du xve s. tirait certains avantages de cette situation ; il lui devait un ordre, une assurance contre la famine et contre l’invasion, la tranquillité de l’esprit, l’installation dans une totale passivité. Inutile de s’occuper d’autrui : l’État se chargeait de tout, des vieillards et des incapables », et le P. Cobo de noter qu’« il [l’Indien du Pérou] ignore la notion même de charité, puisque l’État est censé s’occuper de tout ». Le P. José de Acosta signale, de son côté, que « le Péruvien est à la fois esclave et heureux » ; un siècle plus tard, les jésuites du Paraguay offriront ce même « bonheur » à leurs ouailles. On sent à l’œuvre une constante anthropologique profonde, qui, sous d’autres cieux, a donné le monachisme et, sur le plan clinique, la schizophrénie*. « Vue avec les yeux de l’homme du xxe s., la vie quotidienne au temps des derniers Incas donne l’impression d’avoir été réglée une fois pour toutes comme un mécanisme d’une attristante perfection. L’absolu et le définitif régnaient sans conteste. L’homme-masse n’avait rien à apprendre, rien à prévoir, rien à désirer. Il n’y avait pour lui ni repliement intérieur, ni rayonnement. L’Inca et son conseil constituaient, à eux seuls, le cerveau de cette immense-personnalité collective. Tel apparaît l’Empire pour nous ; gigantesque, mais où tout est localisé, moment grandiose, mais qui se répétait identique à lui-même, rêve réalisé d’une immensité sans étendue et d’une durée sans succession. Monotonie lassante et tristesse invincibles » (Louis Baudin).

Et l’on songe dès lors aux paroles de Nicolas Berdiaev : « Les utopies sont réalisables ; la question est de savoir comment empêcher leur réalisation. »

J. G.

 E. Bloch, Geist der Utopie (Francfort, 1918 ; nouv. éd., 1964) ; Freiheit und Ordnung. Abriss der Sozialutopien (New York, 1946) ; Das Prinzip Hoffnung (Leipzig, 1954-1956, 3 vol. ; trad. fr. le Principe Espérance, Gallimard, 1976, 2 vol.). / K. Mannheim, Ideologie und Utopie (Bonn, 1929, 4e éd., Francfort, 1965 ; trad. fr. partielle Idéologie et utopie, Rivière, 1965). / S. R. Karsten, la Civilisation de l’Empire inca (en finlandais, Helsinki, 1938 ; trad. fr., Payot, 1972). / R. Ruyer, l’Utopie et les utopies (P. U. F., 1950). / L. Baudin, la Vie quotidienne au temps des derniers Incas (Hachette, 1955 ; nouv. éd., 1963). / G. Duveau, Sociologie de l’utopie et autres « essais » (P. U. F., 1961). / M. Haubert, la Vie quotidienne au Paraguay sous les Jésuites (Hachette, 1967). / A. Laroui, l’Idéologie arabe contemporaine (Maspero, 1967). / J. Servier, Histoire de l’utopie (Gallimard, 1967). / C. Rihs, les Philosophes utopistes. Le mythe de la cité communautaire en France au xviiie siècle (Rivière, 1970). / R. Scherer, Charles Fourier ou la Contestation globale (Seghers, 1970). / H. Desroche, Sociologie de l’espérance (Calmann-Lévy, 1973). / R. Dumont, l’Utopie ou la Mort (Éd. du Seuil, 1973). / G. Lapouge, Utopie et civilisations (Weber, 1973). / R. Vacca, Demain, le Moyen Âge (trad. de l’ital., A. Michel, 1973). / J. Gabel, Idéologies (Anthropos, 1974). / F. Laplantine, les Trois Voix de l’imaginaire (Éd. universitaires, 1974). / « L’Utopie ou la Raison dans l’imaginaire », numéro spécial d’Esprit (1974).

Utrecht

Province et v. des Pays-Bas.



La situation géographique

La province d’Utrecht, la plus petite des Pays-Bas (1 328 km2), mais très peuplée (850 000 hab.), comporte deux types très différents de paysages : un arc de collines morainiques s’étendant de l’IJsselmeer au Lek sépare deux zones de terres basses et de polders, dont la plus étendue, à l’ouest, appartient au « cœur vert » du Randstad* Holland. Les progrès rapides de l’urbanisation ont créé une agglomération quasi continue, comprenant des communes de développement récent (Zeist, Soest, Baarn) et deux villes historiques importantes, Amersfoort (88 000 hab.), centre régional industrialisé du nord-est de la province, et Utrecht (275 000 hab. pour la commune).