Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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U. R. S. S. (Union des républiques socialistes soviétiques) (suite)

Avec Gogol commence la phase véritablement religieuse et morale de la littérature. Alors que Pouchkine affirmait la liberté créatrice de l’homme, Gogol et de nombreux écrivains à sa suite, jusqu’à Tolstoï, s’interrogent sur la valeur de cette activité créatrice. Brûlant de dépasser un art qui vise seulement le beau, ils assignent à la littérature la charge de contribuer au salut du peuple ; ce motif moral et religieux est déjà présent chez Lermontov.

À mesure que le xixe s. avance et que naît une génération issue de classes sociales différentes, le point de vue « utilitaire » prédomine. La lutte politique préoccupe seule les esprits et l’on juge les écrivains selon leur appartenance aux partis. La réalité est supérieure à l’art ; la littérature devient une arme de combat, elle dénonce l’oppression et se fait, au nom du peuple, réquisitoire contre le mensonge de la civilisation. La continuité s’affirme somme toute entre Gogol, Tolstoï, Dostoïevski, Belinski, Bakounine, Tchernychevski, Pissarev et bien d’autres. La continuité d’une littérature morale, où dominent la recherche de la vérité dans le réalisme et l’attente d’une vie supérieure.


Slavon et langue vulgaire

Si Pouchkine marque le véritable départ de la littérature russe, il marque aussi l’aboutissement d’une longue période d’apprentissage pendant laquelle se sont lentement forgés les instruments linguistiques. On peut s’étonner de la pauvreté littéraire de l’ancienne Russie : il faut en chercher la cause dans les bouleversements politiques, mais surtout dans la traduction en slavon des Saintes Écritures, par Cyrille* et Méthode au ixe s. Le slavon d’église, constitué par un dialecte bulgare mêlé de vocabulaire et de syntaxe grecs, devient la langue littéraire de la Russie et se différencie de plus en plus de la langue parlée. L’expression littéraire se coupe donc à la fois de la source populaire et de la tradition gréco-latine. Il faut attendre la seconde moitié du xviie s. pour que la langue russe vulgaire soit utilisée à des fins littéraires par l’archiprêtre Avvakoum.

Du xe au xiiie s., Kiev est le centre culturel de la Russie, et l’Église, la principale puissance, sert de ciment entre éléments dispersés. Au xiiie s., l’invasion mongole plonge la Russie dans la nuit barbare et la civilisation se réfugie dans la cité marchande de Novgorod. Au xve s. enfin, le prince de Moscou, chassant les Tatars, impose sa puissance à toute la Russie, et Moscou devient le berceau de l’orthodoxie. Son petit-fils, Ivan IV le Terrible, se fait couronner tsar, tandis que de violents conflits éclatent entre pouvoir politique et pouvoir religieux. Tel est le support historique à partir duquel prend naissance la littérature russe.

Cette littérature est essentiellement religieuse, d’inspiration byzantine, faite d’hagiographies, de chroniques, comme la Chronique de Nestor, d’annales anonymes, rédigées par des moines ou des laïques érudits : le métropolite Hilarion ouvre, au xie s., une école de traducteurs et de copistes. À côté de ces textes, écrits en slavon et réservés à quelques lettrés, se développe une tradition orale, beaucoup plus intéressante parce que née du peuple, les bylines, ou fables héroïques, qui mettent en scène des bogatyri, héros d’origine souvent paysanne, protecteurs de la veuve et de l’orphelin et défenseurs des villes.

Enfin, dominant ces temps de féodalité, phénomène étrangement isolé, une épopée russe, écrite et non chantée, apparaît comme l’élément le plus original de la littérature ancienne : le Dit de la campagne d’Igor. Cet extraordinaire texte, sans doute écrit au xiie s., et découvert au xviiie s., dont il ne reste hélas qu’une copie, car le manuscrit a été brûlé pendant l’incendie de Moscou, raconte en slavon l’expédition du prince de Novgorod contre les Polovtsy (Qiptchaqs) et témoigne de procédés rythmiques et poétiques remarquablement élaborés.

À l’époque d’Ivan le Terrible, de nombreuses chansons relatent des exploits guerriers, tandis que la lutte sourde qui oppose le gouvernement aux évêques donne naissance à un nouveau genre de littérature polémique dont fait partie la correspondance entre Ivan IV et Andreï Mikhaïlovitch Kourbski. Mais les évêques étant muselés et la sécularisation allant croissant, la floraison artistique et spirituelle s’étiole. Une exception : au xviie s., l’archiprêtre Avvakoum, fils d’un humble curé de campagne, défend la pure tradition orthodoxe contre l’invasion des rites grecs introduits par l’archevêque de Novgorod. Déporté en Sibérie, il écrit sa fameuse Vie (1672-1675) dans la langue russe vulgaire, qu’il mêle de slavon et à laquelle il rend fraîcheur, finesse et même souvent truculence...


Un esprit nouveau

La réforme de Pierre le Grand met la Russie en contact avec l’Occident. Le commerce, l’industrie, la science, les arts, l’architecture profitent de ce grand souffle d’air, point la littérature, qui perpétue encore les traditions de l’ancienne Russie, ecclésiastiques pour l’essentiel. Cependant, plusieurs éléments nouveaux vont élargir et modifier l’inspiration et préparer le terrain à l’éclosion littéraire.

Pierre le Grand adopte un nouvel alphabet où les lettres du slavon sont remplacées par des lettres latines et impose la langue russe comme langue littéraire, une langue quelque peu hétéroclite, mêlée de réminiscences slavonnes et de mots d’origine latine, allemande, polonaise, italienne et française. Cette nouvelle langue contribue à creuser le fossé entre les classes nobles et le peuple. Et jusque tard dans le xixe s., la littérature sera le privilège des aristocrates. Importée de Pologne, la technique de la rime et de la prosodie fait son entrée en Russie et on assiste, au début, à une floraison de poèmes d’amour en vers syllabiques. Enfin, l’absolutisme policier déclenche une vague de réaction, d’écrits pamphlétaires, de nouvelles satiriques et politiques, dont le réalisme croissant exercera une forte influence au siècle suivant : la littérature du xviiie s. commence par la satire.