Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tzara (Tristan) (suite)

La contradiction permanente de Tzara qui le mène toujours au-delà de la négation radicale effectuée demande quelques explications. Il s’en expliquera dans le Surréalisme et l’après-guerre (1947). Tzara n’a pas prétendu qu’il voulait détruire pour le seul plaisir de détruire avec un esprit malin. Il désirait seulement retrouver l’« essentielle nudité de la conscience », pour pouvoir ensuite reconstruire, sur des bases totalement nouvelles. S’il préconisait le chaos, il ne voulait pas administrer le néant. « Il est certain que la table rase dont nous faisions le principe directeur de notre activité n’avait de valeur que dans la mesure où autre chose devait lui succéder. » Et le poids du passé était tel que l’énergie dévastatrice de dada n’était jamais suffisante pour le supprimer.

Malgré les affirmations de sa jeunesse, qui allaient jusqu’à nier la nécessité de l’œuvre d’art, toujours suspecte de véhiculer, à son insu, des mots d’ordres anciens, Tzara fit pourtant une œuvre de poète, digne de l’attention la plus littéraire. En 1931, il fait paraître l’Homme approximatif, que Jean Cassou a pu qualifier d’« extraordinaire poème primitif ». Sans souci de forme a priori, Tzara tente de reconstituer le magma informel de la réalité malgré l’obstacle de la langue, qu’il triture pour essayer d’abolir toute distinction entre la vie et la poésie. Débarrassé par dada des contraintes et des conventions, il peut laisser libre cours à un lyrisme d’autant plus florissant qu’il fut longtemps réprimé par l’ironie corrosive de dada. Il s’interdit de définir et dit au fur et à mesure, retrouvant le jaillissement de la parole s’organisant selon l’ordre d’une logique intérieure qui ne laisse rien au hasard des formulations stéréotypées. Cet « homme approximatif » se cherche, et, en même temps, recherche le langage capable de formuler la réalité, la transformant par la suppression des barrières établies entre le poème et la vie. Où boivent les loups (1932), l’Antitête (1933) rendent également compte de cette « poésie activité de l’esprit », directement liée à la vie, défaisant de son piédestal la poésie traditionnelle. La poésie n’est plus alors un « moyen d’expression » ; elle est la vie elle-même, du moins une pression constante pour que la réalité devienne effectivement réelle et se dérobe à l’idéologie régnante. Jusque-là, la poésie n’a été la plupart du temps que le reflet de la bourgeoisie ; elle doit devenir une « activité de l’esprit » qui permettrait son effondrement. Mais, à l’encontre de Sartre, Tzara ne se fait pas le défenseur d’un art engagé : « Il n’y a pas d’engagement du poète envers quoi que ce soit », et encore : « La poésie n’a pas à exprimer une réalité. Elle est elle-même une réalité. Elle s’exprime elle-même. Mais pour être valable, elle doit être incluse dans une réalité plus large, celle du monde des vivants. »

Malgré sa rupture avec Breton, qui avait entraîné dans sa suite les dadaïstes pour établir le surréalisme*, Tzara n’a jamais complètement rompu avec ses anciens amis. Le 15 décembre 1929, le nom de Tzara figure dans la Révolution surréaliste. Il collabore également au Surréalisme au service de la révolution. Mais, à partir de 1935, il s’engage activement dans l’action politique, alors que Breton s’est séparé du parti communiste (1933). Cette fois, la rupture avec les surréalistes est définitive. Tzara s’occupe en 1937 du secrétariat du Comité pour la défense de la culture espagnole (il a été profondément affecté par la mort de Lorca). Alors que dada — sauf à Berlin — s’était refusé à tout engagement politique par crainte de se compromettre, Tzara prend conscience de la nécessité de cet engagement pour opérer un changement radical de la société.

Jusqu’à sa mort, en 1963, Tzara ne cesse de faire paraître des recueils de poèmes dont les principaux sont : Midis gagnés (1939), la Fruité (1947), Parler seul (1950), la Face intérieure (1953), poursuivant cette recherche inlassable de la réalité réelle, vécue, retournant aux sources d’un langage qui serait capable de l’organiser sans la défigurer.

M. B.

➙ Breton (André) / Dada (mouvement) / Surréalisme.

 R. Lacôte, Tristan Tzara (Seghers, 1962).