Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

Tunisie (suite)

• 1878 : au congrès de Berlin, la Grande-Bretagne — qui a obtenu Chypre — reconnaît les intérêts particuliers de la France en Tunisie et retire son consul à Tunis. Bismarck laissera la France prendre sa part de l’Empire ottoman « moribond ». Le heurt des intérêts français et italiens en devient plus violent : les consuls Roustan et Maccio rivalisent d’initiative. Le bey, après avoir semblé favoriser la France, penche, à la fin de 1880, vers les Italiens. Jules Ferry* se décide alors à agir.

• Prenant prétexte d’une incursion de Kroumirs en territoire algérien (30-31 mars 1881), le ministre français décide (4 avr.) une expédition punitive, conduite par le général J. A. Bréart, qui atteint Tunis, sans combat, après trois semaines de marche.

• 12 mai 1881 : le traité du Bardo impose au bey de Tunis un protectorat, garanti par la présence à Tunis d’un résident français, responsable de la diplomatie et de l’armée. Une révolte de tribus est réprimée par la force (1881-82). En 1882, un nouveau bey, ‘Alī ibn Ḥusayn (1882-1902), est installé.

P. P.


La Tunisie contemporaine


La Tunisie sous protectorat français (1881-1956)


Le protectorat

Le traité du Bardo garantit la souveraineté interne du bey et l’intégrité de son territoire ainsi que les droits des grandes puissances en Tunisie. Autrement dit, il reconnaît le bey, le régime des capitulations et les traités inégaux. L’organisation de ce régime hybride, source de difficultés, est dévolue à Paul Cambon (1843-1924), ministre résident à partir de 1882, puis premier résident général (1885-86), homme aux qualités exceptionnelles. C’est lui qui instaure véritablement le protectorat : formule souple, puisqu’elle laisse au bey une apparence de souveraineté et dégage la Tunisie, en matière législative et budgétaire, de l’emprise du Parlement français. Cambon place auprès du bey et du Premier ministre un secrétaire général chargé de contrôler leurs décisions (1883). En outre, des directeurs techniques se substituent en fait aux ministres tunisiens.

Après une courte période d’administration militaire (1883-84), la France met en place des contrôleurs civils venus d’Algérie, qui, peu à peu, supplantent localement les caïds. Réduisant ainsi au minimum l’initiative tunisienne, elle assure l’ordre, l’assainissement financier et, par contrecoup, rend possible une reprise économique : mise en place du réseau ferroviaire, mise en valeur des phosphates de Gafsa, plantation des olivettes de Sousse et de Sfax. Un équipement sanitaire et hospitalier se développe ; en 1893 est créé l’institut Pasteur de Tunis.


La naissance du mouvement nationaliste

L’occupation de la Régence met l’élite tunisienne en contact plus étroit avec l’Europe et avive le courant réformiste, qui, dans le dernier tiers du xixe s., particulièrement en Égypte, préconise la purification de l’islam et la conciliation de la religion musulmane avec les idées modernes.

C’est dans cet esprit moderniste que sont fondées, en 1896 et en 1905 respectivement, deux associations tunisiennes. La première, la Khaldounia — du nom de l’historien ibn Khaldūn —, fondée par Bachīr (Béchir) Sfar, a pour but d’initier les musulmans aux sciences modernes et de ranimer le culte de la civilisation arabe. La seconde, l’Association des anciens élèves du collège Sadiki, établissement fondé en 1875 par le ministre réformateur Khayr al-Dīn (Khérédine, v. 1825 - 1889) suivant les exigences de la pédagogie occidentale, est, sur l’initiative d’un avocat d’origine turque, ‘Alī Bāch Ḥanba, destinée à promouvoir la culture moderne. De cercles culturels, ces deux associations se transforment en mouvements politiques. Devenues le lieu de rencontre de jeunes Tunisiens de formation traditionaliste, elles contribuent à la prise de conscience nationale de l’élite tunisienne.

En 1907, Bachīr Sfar et ‘Alī Bāch Ḥanba fondent le parti évolutionniste, plus connu sous le nom de parti des jeunes Tunisiens. Ils prennent la défense des intérêts des autochtones dans un journal rédigé en français, le Tunisien. En 1909, ils sont rejoints par le cheikh ‘Abd al-‘Azīz al-Tha‘ālibī (Tahalbi), qui assure l’édition en arabe du journal.

Le parti des jeunes Tunisiens profite, pour se manifester, de l’invasion de la Tripolitaine voisine par les troupes italiennes en 1911. La même année éclate l’émeute sanglante dite « du Djellaz » (7 nov.). La répression est très dure : l’état de siège ne sera levé qu’en 1921 ; sept condamnations à mort sont prononcées contre des manifestants. En février 1912, les autorités françaises expulsent les dirigeants du parti des jeunes Tunisiens.


Le parti tunisien

Décapité, le parti des jeunes Tunisiens vivote pendant six ans dans la clandestinité. Après la Première Guerre mondiale, il se transforme occultement en parti tunisien. Ce dernier, fort des quatorze points de Wilson, juge les conditions favorables pour engager une action en faveur d’une Constitution (en ar. Dustūr [Destour]).

En avril 1919, il profite du séjour du président des États-Unis à Rome pour attirer son attention sur la Tunisie et lui demander dans un mémoire les mesures qu’implique l’application de ses principes dans ce pays.

Au mois de juin de la même année, Tha‘àlibī part pour Paris, où il publie un pamphlet intitulé la Tunisie, martyre, réclamant pour la Tunisie un pouvoir législatif, ou conseil suprême, composé de soixante citoyens tunisiens élus au plus large scrutin et devant lequel les beys héréditaires seront responsables. Il reprend l’essentiel du pacte fondamental promulgué par Muḥammad bey en 1857 et de la Constitution octroyée au peuple tunisien par Muḥammad al-Ṣadūq en 1861 sous la pression des grandes puissances.


Le parti destourien

En juin 1920, le parti tunisien cède la place au parti libéral constitutionnel (al-Ḥizb al-Hurr al-Dustūrī), ou Destour, qui publie un manifeste réclamant l’« émancipation du peuple des liens de l’esclavage » et l’« octroi d’une Constitution acceptée par le bey, lui accordant le droit de se gouverner exclusivement par lui-même » sous l’autorité de la dynastie ḥusaynide. Cette Constitution existant depuis 1861, il s’agirait simplement de l’adapter aux conditions nouvelles. Encore faut-il prouver juridiquement que le régime du protectorat n’a pas mis fin à l’existence de cette Constitution. La consultation juridique du 10 juillet 1921 de Joseph Barthélemy, professeur de droit constitutionnel à la faculté de droit de Paris, en donnant un fondement juridique à la revendication du jeune parti destourien, renforce le mouvement national en Tunisie. Des troubles éclatent alors. Pour y mettre fin, les autorités du protectorat arrêtent le cheikh Tha‘ālibī. Quoique accusé de complot contre la sûreté de l’État, le chef du Destour, après neuf mois de détention, obtient un non-lieu.