Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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tropical (relief) (suite)

La monotonie du fourmillement des collines densément boisées est parfois rompue par l’affleurement d’une dalle rocheuse généralement convexe ou par la protubérance d’un dôme dénudé. Ces roches nues s’usent avec une extrême lenteur. La raideur de leurs pentes favorise le ruissellement des eaux de pluie et entrave l’infiltration : la roche ne s’imbibe que superficiellement et est soumise aussitôt après l’averse à une active évaporation, puisque rien ne la protège des rayons solaires. L’altération y est donc très réduite et n’agit que le long des diaclases ainsi que dans les fissures ouvertes par les tensions liées aux forts contrastes thermiques diurnes. Qu’il s’agisse de désagrégation granulaire, de desquamation ou d’exfoliation, les débris sont toujours détachés en faible quantité.


Les milieux de savane

Des pluies moins abondantes et concentrées dans une moitié de l’année, des contrastes thermiques saisonniers plus accusés et une végétation moins luxuriante, protégeant beaucoup moins efficacement le sol, expliquent que les paysages géomorphologiques des régions de savane se différencient assez nettement de ceux des régions forestières. Trois traits dominants caractérisent le système morphogénétique.

• Une altération ménagée. Le volume d’eau percolant dans les sols et atteignant le front d’altération est bien moindre que sous forêt. L’altération progresse donc beaucoup plus lentement, d’autant qu’elle n’est active que pendant une partie de l’année. C’est pourquoi le manteau d’altérites est bien moins épais qu’en milieu forestier. Sa nature est aussi quelque peu différente : on y observe davantage de résidus rocheux en forme de boules et l’on note parmi les sables la présence de quelques minéraux autres que le quartz, qui ont résisté à l’hydrolyse. L’insuffisance du drainage explique aussi que l’alumine se recombine en totalité à la silice pour former de la kaolinite et que seuls les oxydes de fer s’individualisent dans le profil. Enfin, les solutions se concentrent d’autant plus qu’elles sont soumises en saison sèche à une forte évaporation ; de ce fait, la formation de montmorillonite est favorisée dans les fonds plats et tend même à envahir le bas des versants.

• Une pédogenèse dominée par le cuirassement. L’accumulation du fer dans les profils et son cuirassement sont, en effet, caractéristiques des milieux de savane. Sans doute, tous les reliefs ne sont-ils pas cuirassés : la nature des roches, plus ou moins riches en fer, ainsi que la topographie jouent un rôle déterminant dans la répartition des cuirasses dans les paysages. Mais, même là où il n’y a pas de cuirasse, le fer s’accumule, conduisant à la formation de sols ferrugineux (v. sol). Libéré par l’altération en saison humide, il est entraîné par les eaux, soit parce que, réduit par des bactéries, il est rendu soluble, soit parce qu’il entre dans des complexes mobilisables ; mais, en saison sèche, il précipite en s’oxydant et se fixe aux argiles. Il ne peut, dès lors, plus guère être remis en mouvement.

Sur les hauteurs bien drainées, où le soutirage des ions par les solutions est actif, tout le fer accumulé provient des roches altérées sur place : il y a accumulation relative ; au voisinage de la forêt, l’humidité encore élevée permet même l’existence d’alumine libre, qui entre dans la composition des cuirasses alumino-ferriques culminantes. Sur les pentes ou dans les parties basses, au fer accumulé sur place s’ajoute celui qui est apporté par le lessivage oblique : il y a donc accumulation absolue.

Le cuirassement proprement dit suppose une profonde dessiccation du profil. Il est donc favorisé là où le battement des nappes phréatiques est accusé : surfaces planes au drainage incertain, rebords de plateaux, fonds mal drainés, berges de marigots. La nature des matériaux dans lesquels le fer s’individualise semble aussi jouer un rôle important dans l’induration. En revanche l’abondance du fer n’est pas déterminante : certains horizons très riches en fer ne sont pas indurés, alors que d’autres dont la concentration en fer reste moyenne sont très fortement cuirassés. On observe, enfin, que le vieillissement des cuirasses en augmente la dureté.

• Un ruissellement actif. Le recouvrement du sol par la savane tend à entraver le ruissellement. Mais, en saison sèche, le tapis de graminacées se dessèche et laisse le sol dénudé en grande partie. Aussi, lorsque surviennent les premières pluies, le sol n’est pas protégé. Si, de plus, un feu est passé sur le sol avant les pluies, comme il est fréquent dans ces régions, les argiles, portées à de hautes températures, sont rendues moins perméables. Le tassement des particules superficielles par l’impact des gouttes de pluie, enfin, réduit encore les possibilités d’infiltration. Le ruissellement s’organise donc assez vite : c’est un ruissellement diffus qui balaie toute la surface des versants et qui décape les horizons superficiels des sols. Bien que cette action reste limitée dans le temps, le bilan annuel de l’ablation est important. S’y ajoute parfois une certaine déflation éolienne en saison sèche, particulièrement après les feux de brousse.

La combinaison d’une altération libérant des débris fins à un ruissellement apte à prendre ceux-ci en charge, même sur des pentes très faibles, engendre un modelé caractérisé par la juxtaposition de versants raides et de glacis inclinés de quelques degrés seulement. Les versants reculent en conservant une certaine raideur (de 20 à 45°), tandis qu’à leur pied l’érosion aréolaire du ruissellement façonne des glacis dont le cuirassement souligne la rigidité. Ces modalités expliquent la vigueur des reliefs résiduels, les inselbergs.

Mais, en fait, on observe le plus souvent plusieurs niveaux de glacis étagés en contrebas de vieilles plates-formes d’érosion cuirassées. On ne saurait donc expliquer la morphogenèse des paysages de ces régions sans faire appel à des alternances de creusement et de planation latérale. Les études récentes menées notamment en Afrique et à Madagascar montrent que les régions de savane ont connu des changements de climat à plusieurs reprises au cours du Quaternaire. Durant des phases chaudes et humides (les pluviaux), ces régions ont été soumises à une intense altération, semblable à celle qui se produit actuellement dans les milieux forestiers hyperhumides. Pendant des phases chaudes et sèches (les interpluviaux), dont le climat devait être plus sec que l’actuel, les cours d’eau entaillaient leur lit, et le ruissellement, s’attaquant aux altérites, modelait des glacis. Ceux-ci sont d’autant mieux conservés qu’ils ont été cuirassés lorsque, l’humidité redevenant plus élevée et la saison sèche plus courte, les conditions actuelles de la morphogenèse étaient réalisées. Au cours du déblaiement des altérites, les roches qui avaient mieux résisté à l’altération et constituaient des cryptoreliefs noyés dans le manteau d’altération se sont trouvées dégagées : ainsi s’explique la relative fréquence des dômes rocheux qui dominent les glacis des régions de savane. L’énergie de relief et l’aspect de ces dômes sont d’ailleurs fort variables : ceux-ci sont parfois de simples convexités rocheuses à peine saillantes (ruwares), parfois d’énergiques dômes, mais aussi d’autres fois des reliefs ruiniformes (castle kopje), voire de simples amoncellements de blocs (tors).

Situées entre les milieux forestiers et les milieux arides, les régions de savane conservent donc les marques de morphogenèses participant de l’un et l’autre de ces milieux, et leur doivent l’essentiel des traits de leur modelé.

R. L.