Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

tropical (relief) (suite)

Ce double processus tend à individualiser divers horizons dans le manteau d’altérites : au-dessus de la zone en cours d’altération, une zone tachetée, formée d’argiles bariolées d’aspect compact et de consistance plastique, fait transition à un horizon généralement très argileux et uniformément ocre ou rouge ; près de la surface, enfin, l’horizon, lessivé, offre une consistance plus sableuse et une couleur moins vive, qui tend à s’assombrir au voisinage de la litière de feuilles en décomposition. C’est un profil ferralitique typique (v. sol).

Divers facteurs peuvent influencer l’altération.

En premier lieu la nature de la roche mère. Sur les granites et les gneiss, riches en silice et pauvres en cations basiques, le milieu n’est pas assez alcalin pour permettre une rapide évacuation de la silice. La formation de kaolinite est donc favorisée, conduisant à d’épaisses argiles ferralitiques. Sur les roches basiques, au contraire, l’alcalinité des eaux dans la zone profonde active le lessivage de la silice et ralentit d’autant la néogenèse de kaolinite ; on tend vers une ferralite d’épaisseur réduite.

En second lieu la topographie. En station horizontale ou à très faible pente, l’évacuation des eaux est malaisée, ce qui favorise les argiles ferralitiques. Sur les pentes, le drainage est beaucoup plus efficace ; les altérites sont donc moins argileuses et plus riches en sesquioxydes. Dans les bas-fonds très mal drainés, enfin, les solutions se concentrent en silice et en cations apportés par le lessivage oblique des versants, ce qui conduit à la néogenèse d’argiles riches en silice (montmorillonite).

L’épaisseur des altérites témoigne de la faible efficacité des processus d’évacuation des débris sur les versants. L’écran végétal réduit considérablement le rôle du ruissellement, lequel revêt un caractère épisodique et n’agit que de façon discontinue dans l’espace et suivant des modalités particulières : plus que des filets d’eau, ce sont des films d’eau débordant de flaques. En fait, une bonne partie des eaux atteignant le sol échappe au ruissellement en s’infiltrant dans les altérites. Ces eaux infiltrées évacuent d’importants tonnages de matières en solution, ce qui provoque des phénomènes de tassement dont le résultat est un lent déplacement d’ensemble des altérites vers le bas du versant. D’autre part, lors des averses suffisamment abondantes, le sol se gorge d’eau superficiellement et tend à glisser par petites lentilles liquéfiées qui bavent sur la pente ; cette solifluxion se marque sur les versants qui sont découpés par de petits gradins hauts de quelques centimètres. L’impact des gouttes de pluie, le travail des animaux fouisseurs, la chute des arbres... contribuent également à la lente descente des particules sur les pentes.

À la suite de pluies répétées et prolongées, le manteau d’altération, profondément imbibé, peut s’ébouler en masse. Le décollement peut se produire au contact d’un horizon argileux et crée une niche d’arrachement en arc de cercle dominant un amoncellement chaotique. Il peut aussi se faire au contact de la roche saine, particulièrement sur les roches basiques, où ce contact est franc : tout le sol descend alors en paquet, comme se vide la benne d’un camion, et met la roche à nu. Les éboulements sont évidemment des processus d’ablation très efficaces, surtout sur les pentes fortes, où ils sont plus fréquents. Mais leur action reste limitée dans l’espace, et, de façon générale, le déblaiement des débris par les autres processus décrits est extrêmement lent.

Au pied des versants, les débris ainsi acheminés sont d’autant plus facilement pris en charge par les cours d’eau qu’ils sont peu abondants et de faibles dimensions. Les tout petits organismes, qui ne sont alimentés que lors des pluies par les eaux ruisselant sur les versants ainsi que par l’égouttement des sols dans les heures qui suivent une averse, ne connaissent qu’un écoulement intermittent ; leur action est donc réduite et consiste à étaler les débris limono-sableux sur des fonds plats. Les grandes rivières charrient au contraire des masses considérables de débris, avec lesquels elles construisent d’immenses plaines de remblaiement. Mais il est frappant de noter que ces mêmes rivières sont incapables de réduire les rapides qui en accidentent le parcours, même les fleuves les plus puissants comme le Congo ou l’Amazone. C’est que la charge fournie par les versants est sablo-argileuse et ne comporte qu’exceptionnellement des galets qui se désagrègent d’ailleurs très vite en sable. Aussi les eaux manquent-elles d’abrasif pour inciser les roches résistantes : les sables permettent tout au plus de polir les roches compactes, au mieux de creuser des marmites dans les roches de médiocre résistance ; mais, au total, le creusement est très lent. Dans l’intervalle des rapides, les eaux s’écoulent sur d’épaisses altérites ; elles y façonnent des lits à pente très faible, qu’elles débordent lors des crues en inondant de vastes platitudes marécageuses.

L’ensemble de ces processus modèle des reliefs d’une grande monotonie : d’immenses étendues offrent un paysage de collines que nuancent seulement la vigueur et la forme des pentes. Sur les granites et les gneiss, les pentes sont raides (de 25 à 35°) et convexes : les collines ont l’aspect de demi-oranges (meias laranjas du Brésil) et semblent posées sur des fonds plats, tantôt élargis en alvéoles tantôt resserrés entre les collines. Sur les schistes, les formes sont beaucoup plus adoucies : les pentes faibles (de 5 à 20°) et largement concaves dessinent un paysage de croupes fuyantes. Les roches basiques, au contraire, résistent mieux à l’altération et apparaissent souvent en saillie avec des pentes très raides. C’est dans les calcaires, enfin, qu’on observe les pentes les plus abruptes, particulièrement dans les karsts à tourelles, où des pitons dominent par des flancs subverticaux entièrement drapés de végétation des plaines d’une platitude remarquable.