Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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travail (sociologie du) (suite)

On remarqua que beaucoup d’agents de maîtrise, peu après leur formation, revenaient à leurs anciennes pratiques. En réalité, ils ne sont pas entièrement libres d’adopter les comportements qu’ils ont appris ; on remarque qu’ils tendent à adopter spontanément vis-à-vis de leurs subordonnés le mode de commandement qu’ils éprouvent de la part de leurs supérieurs. Il entre sans doute dans cela plus de sagesse qu’il n’y paraît. D. Pelz a montré que le critère définitif est le pouvoir d’influence dont dispose un agent de maîtrise auprès de la direction. Si celui-ci est grand, le mode de commandement démocratique est incontestablement supérieur au style autoritaire et plus satisfaisant pour les subordonnés. Mais, lorsque ce pouvoir est faible ou nul, ce mode de commandement, éveillant chez les travailleurs des attentes auxquelles l’agent de maîtrise ne peut répondre, augmente au contraire l’insatisfaction.

L’une des leçons de ce travail — s’inscrivant, faut-il y insister, dans la lignée des relations humaines — est de mettre un terme à cette illusion qui séduisit les dirigeants : pouvoir de changer les attitudes et les comportements des subalternes sans avoir à mettre en question leurs propres comportements ni leur organisation. Elle révèle, pour peu qu’on pousse dans cette direction, le potentiel contestataire d’un courant de recherche dont on n’a trop souvent retenu que le côté manipulatoire.


La sociologie des organisations

On a commencé à parler de sociologie des organisations dans les années 50. La sociologie des organisations porte aussi bien sur les hôpitaux, les prisons ou des associations volontaires que sur les entreprises. Mais c’est du côté de l’entreprise que la demande en sociologie est la plus forte et c’est à partir de la connaissance sociologique accumulée à son sujet que la sociologie des organisations s’est d’abord et essentiellement développée.


Les organisations

Par-delà l’extrême diversité des courants, on peut reconnaître à la sociologie des organisations un certain nombre de traits communs l’opposant aux démarches antérieures. Il y a d’abord l’abandon de l’opposition — qui avait fait l’originalité et la fécondité des relations humaines — entre logique des sentiments et logique de l’efficacité. Cela est particulièrement net dans l’analyse de type « stratégique », qui redonne aux dirigés le statut de décideurs « rationnels ».

En second lieu, alors que les relations humaines, en dépit de leur projet, étudièrent plutôt les groupes primaires que l’organisation, c’est bien d’organisation qu’il s’agit ici. Cependant, même lorsqu’il arrive aux sociologues des organisations de devenir prescriptifs, ce n’est pas exactement à l’organisation au sens où l’entendent les organisateurs classiques. On peut dire, si l’on tient à conserver le terme de formel, qu’ils s’intéressent en quelque sorte aux modalités de constitution du formel, ou, s’ils ne se préoccupent que de fonctionnement, que leur analyse n’est possible que dans un formel considéré comme totalement social.

Enfin, alors que les théories administratives classiques et les relations humaines avaient cru pouvoir en faire l’économie, la sociologie des organisations accorde à l’environnement et aux fins des entreprises une importance décisive. Les premières cherchaient, en effet, quelques principes universels valables pour toutes les organisations indépendamment des buts qu’elles se proposaient ; les secondes, on vient d’en voir un exemple dans le cas des modes de commandement, quelques lois concernant le fonctionnement des groupes indépendamment de l’environnement dans lequel ces groupes opèrent. La sociologie des organisations non seulement propose de ce fait la réponse à quelques problèmes restés jusque-là sans solution, mais déplace le champ de l’analyse lorsqu’elle s’intéresse alors aux mécanismes par lesquels une organisation définit et redéfinit ses buts, lorsque, au lieu d’analyser l’entreprise comme organisation, c’est-à-dire comme outil (plus ou moins) rationnel servant à mobiliser les énergies en vue d’une fin donnée d’avance, elle l’étudié comme institution, selon la terminologie de Ph. Selznick, c’est-à-dire comme organisme s’adaptant et changeant, comme le produit naturel de besoins sociaux, de pressions. Dès lors se trouve obligatoirement posé un problème toujours contourné, dissimulé dans les perspectives antérieures, celui du pouvoir.


La bureaucratie*

Une mention spéciale doit être faite ici aux très nombreuses études sur la bureaucratie, thème privilégié de recherches pendant une quinzaine d’années. Ces études jouèrent en effet, pour la définition de ce courant, le même rôle stratégique que, pour les relations humaines, les études sur le fonctionnement du salaire au rendement.

Max Weber* a défini la bureaucratie par un certain nombre de ses traits (matérialisation de la loi en un système de règles abstraites, définition de sphères spécifiques de compétence, hiérarchie des fonctions, importance de la formation spécialisée, etc.). Il faisait en même temps de ce type d’organisation idéal, auquel visèrent les organisateurs classiques, le système le plus efficace, en définitive parce qu’il est le plus impersonnel. La critique de la bureaucratie est inscrite dans l’acte de naissance des relations humaines : la bureaucratie est le formel. Des recherches montrèrent à l’envi qu’une organisation bureaucratique ne fonctionnait pas selon ses propres règles et qu’il était impossible et non souhaitable qu’il en fût autrement. Mais les conclusions pratiques étaient que dans de tels systèmes les règlements devaient être suffisamment souples pour permettre les initiatives des individus et des groupes. Ainsi, les relations humaines se trouvaient réduites aux vœux pieux pour solutionner le problème face auquel leur façon de questionner semblait les prédisposer à être le plus perspicaces. L’une des caractéristiques de la bureaucratie n’est-elle pas justement son inaptitude à laisser place à de telles initiatives ?