Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

Tīmūr Lang (suite)

Les vieilles croyances préislamiques qui affleurent constamment dans la société djaghataïde du xive s. sont aussi celles de Tīmūr Lang : comme les anciens Turcs, il organise des débats entre théologiens, s’intéresse aux pouvoirs des derviches et des sorciers, mais il se réjouit quand il peut dévoiler leur imposture. On pourrait citer nombre de ses attitudes qui relèvent de l’ancien chamanisme. Quant à son respect pour l’islām, il ne se dévoile guère quand ses soldats profanent les mosquées, détruisent les sanctuaires !

Ce qu’il y a de créateur en Tīmūr apparaît moins clairement que ce qu’il y a de destructeur, mais peut lui être égal. Deux faits lui paraissent essentiels : pacifier les territoires, soutenir l’économie d’échanges. Et il parvient en effet à mettre fin au brigandage et aux luttes intestines. Il met en place un solide système de communications (relais postaux). Il veille à ce que les villes détruites se relèvent. Par contre, on lui reproche à juste titre de se montrer incapable d’organiser ses conquêtes, et cette incapacité explique en partie pourquoi bien des campagnes doivent être recommencées, pourquoi son empire est de si courte durée.

Il a épousé, entre autres, deux femmes chinoises et possède un harem. Sa famille est vaste et il veut que tous les siens soient apanages. Il lègue le pouvoir suprême à Pīr Muḥammad, le fils aîné de son fils aîné, mais ses autres descendants ne lui en laissent que l’illusion : l’empire de Tīmūr se disloque presque aussitôt que né. Il reviendra aux héritiers de son quatrième fils, Chāh Rukh († 1447), de promouvoir cette « renaissance tīmūride » que les épouvantables dévastations du conquérant rendent bien nécessaire et assez imprévisible.

Tīmūr préfère traiter avec ses ennemis que les combattre et les tuer, cependant il use de la terreur non seulement pour montrer sa puissance et par goût, mais aussi comme d’un moyen de gouvernement. Sa cruauté, même en faisant la part des exagérations, est bien réelle et laisse dans l’histoire un souvenir d’autant plus vif qu’elle répond à son goût pour l’ordre et pour le colossal. Sans doute son instruction est-elle rudimentaire, mais il a l’intelligence de s’en rendre compte et aime à s’entourer de littérateurs, de savants, d’artistes. Eux, et les représentants du « clergé » musulman, sont souvent les seuls à échapper aux massacres. Avec les femmes et les adolescents, ils sont déportés à Samarkand*, dont ils font un grand centre culturel et qu’ils parent de monuments que nous pouvons encore en partie admirer.

De haute stature, le corps déformé par les blessures, la tête forte et le teint coloré, Tīmūr est certainement un stratège de génie et un homme de grand courage. C’est aussi un politique avisé, à la manière dont sont politiques les hommes de guerre. Bien que soldat dans l’âme, il négocie, il use de tous les moyens pour arriver à ses buts : exploitation des sentiments des autres, propagande, menaces, avertissements généreux, pourparlers. Hypocrite, calculateur, assez souple pour plier quand il le faut, il a la réputation d’être juste, bien qu’impitoyable, mais sait aussi se laisser aller à des élans de générosité calculée ou à une clémence spontanée. Il hait avant tout le désordre, l’anarchie. Il châtie sévèrement les abus de pouvoir, la corruption, les fraudes. Il se refuse aux dégrèvements, aux passe-droits. Homme du Moyen Âge, il dépasse son temps par la force de son caractère positif : s’il consulte les astrologues, il n’accepte leurs prévisions que si elles sont conformes à ses désirs. Son activité est inlassable. On lui donne à sa mort le titre, pour le moins surprenant, de Djannat Makān, « Habitant du Paradis ».

J.-P. R.

➙ Mongols.

 R. Grousset, l’Empire des steppes. Attila, Gengis Khan, Tamerlan (Payot, 1948). / A. A. Semenov, Journal de la campagne de Timour en Inde (en russe, Moscou, 1958).

Les principales campagnes de Tīmūr

1363

Tīmūr criasse les Mongols.

1371

Début de la guerre du Khārezm.

1379

Prise d’Ourguentch. Annexion du Khārezm.

1381

Soumission de Harāt. Campagne du Khorāsān.

1383

Campagne du Sistān. Prise de Kandahar.

1384

Conquête du Māzandarān.

1386

Conquête de l’Iran occidental. Prise de Van et d’Erzurum.

1387

Prise d’Ispahan, de Chirāz. Attaque de la Transoxiane par Tugtamich, khān de Qiptchaq.

1389

Campagne sur l’Ili et le lac Balkhach.

1391

Campagne contre la Horde d’Or (Russie du Sud).

1392-1396

Guerre de cinq ans : Mésopotamie, Caspienne, Géorgie. Ruine de la Horde d’Or (Qiptchaq).

1398

Campagne en Inde. Prise de Multān, Delhi.

1399-1400

Prise de Kachgar, Yarkand, Aksou, Koutcha.

1400

Prise de Tiflis. Campagne contre les Mamelouks : prise d’Alep, Ḥamā, Homs, Baalbek, Damas.

1401

Deuxième prise de Bagdad et sac.

1402

Bataille d’Ankara. Conquête de l’Anatolie. Prise de Brousse et de Smyrne.

1404

Départ pour la Chine.

Tinguely (Jean)

Artiste plasticien suisse (Fribourg 1925).


Sa famille s’installe à Bâle en 1927. Il suit irrégulièrement de 1941 à 1945 l’enseignement de l’École des beaux-arts et s’intéresse surtout à Klee, Schwitters, Tanguy, Miró, Dalí. Il débute par une peinture abstraite qu’il abandonne rapidement. Vers 1951, il s’oriente vers les constructions en métal, bois, papier et il utilise des moteurs pour mettre en mouvement des objets d’usage courant. Il est en 1953 à Paris, où il fabrique ses premières « métamécaniques », des reliefs animés (Meta-Malevitch, Meta-Kandinsky) qui sont exposés à la galerie Arnaud. En 1955, il participe à l’exposition « le Mouvement » chez Denise René et rencontre Yves Klein*, avec qui il présentera en 1958 « Vitesse pure et stabilité monochrome » chez Iris Clert. À la Biennale de Paris de 1959, Metamatic 17 exécute des dizaines de milliers de dessins. En 1960, Tinguely est un des cofondateurs du groupe des Nouveaux Réalistes (v. réalisme [nouveau]) et il présente son Hommage à New York, énorme machine-happening qui se détruira elle-même.