Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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théâtre (suite)

Les édifices d’intérêt culturel

Nous avons affaire ici à des architectures modifiables, chacun des états de la transformation opérée reconstituant une scène et des rapports scène-salle classiques : théâtre antique, théâtre élisabéthain, théâtre à l’italienne, théâtre en rond. Certains architectes et historiens considèrent cette dernière structure comme la cellule mère du théâtre. Prévus pour donner devant un public relativement nombreux (de 700 à 1 200 places) les grandes œuvres du répertoire dans leur cadre de présentation originelle, ces théâtres constituent le plus souvent le foyer principal de ces maisons de la culture dont un vaste programme de construction se trouve en voie de réalisation dans de nombreux pays.

Pierre Sonrel (né en 1903), architecte, et Camille Demangeat, scénographe, pour le théâtre de la maison de la culture d’Amiens (1965), ont prévu, par une rotation, qui peut être effectuée pendant le jeu, d’une partie du public et d’une partie de la scène, de faire passer le front de contact de l’avant-scène traditionnelle à la scène en éperon, à la scène projetée dans la salle ou à une scène centrale de forme circulaire. Au même architecte avait été confiée la reconstruction du théâtre de l’Old Vic à Londres en 1950 : l’orchestre grec, le dispositif élisabéthain en éperon ou une scène traditionnelle avec rampe peuvent être reconstitués. D’autres structures plus libres sont envisageables au service d’un répertoire moderne. Des principes analogues ont été appliqués par le même architecte à la salle devenue le Théâtre national de Strasbourg (1955).

Un projet — dû au scénographe René Allio et à l’Atelier d’architecture et d’urbanisme — pour le théâtre destiné à une future maison de la culture à Villeurbanne près de Lyon a été réalisé à Hammamet, en Tunisie. Les structures de toutes les architectures classiques peuvent être reconstituées par un ingénieux dispositif mécanique de cloisonnement. La partie réservée au public, traitée en amphithéâtre de forme elliptique, peut être réduite à volonté par un système de rideaux coulissant sur un gril.

Dans la même perspective, citons l’exemple fourni par le théâtre transformable automatique de l’université Harvard, dû à l’ingénieur George Azenour en 1960 : à partir d’un pupitre de commande électronique, un seul opérateur peut mettre en mouvement trente treuils électriques réunis et synchrones disposés autour du fond de scène et permettant de manœuvrer tous les éléments du décor. D’autre part, à partir de deux points de commande, deux opérateurs peuvent manœuvrer un système souterrain d’ascenseurs et de pivots permettant de donner en quelques minutes au théâtre l’une quelconque des trois formes possibles : scène à l’italienne, scène en éperon et scène centrale.

Il n’est pas surprenant que la faculté de reconstituer les cadres architecturaux des grands répertoires classiques soit également prévue dans des ensembles ambulants capables de s’implanter au cœur des centres populaires privés de théâtres fixes. C’est à ce besoin que répondent les conceptions dues, par exemple, à l’architecte espagnol Emilio Pérez Pinero, ou encore à l’architecte allemand Herbert Ohl ou au scénographe polonais Jerzy Gurawski.


Espaces nouveaux fixes ou mobiles

Les projets et les réalisations qui vont être passés en revue n’ont pas été conçus comme les précédents, en fonction de formes architecturales fixes, traditionnelles, instruments d’un répertoire vénérable, la nouveauté résidant dans la faculté de composer, précisément, ces différentes formes dans le cadre du même édifice : elles tendent à proposer de nouvelles possibilités d’aménagement de l’espace théâtral. Ici — sauf quelques cas expérimentaux —, l’instrument précède et (grief qui ne manque pas d’être formulé) attend un répertoire.

À une scène et à un auditorium séparés sont substitués :
— soit une scène ou une série de scènes entourant le public ;
— soit un auditorium entourant une scène ;
— soit une série d’îlots acteurs-spectateurs éparpillés.

Les exemples relevant des combinaisons architecturales prévoyant une scène centrale sont nombreux dans le monde et aux États-Unis notamment.

En faveur de cette solution sont invoqués les motifs suivants : retour à la source la plus ancienne et la plus spontanée de participation ; contacts plus directs entre acteurs et spectateurs ; perception pratiquement d’égale qualité des différents points de la salle.

En 1924, le « théâtre sans fin » de F. Kiesler prévoit des aires de jeu disposées sur une spirale centrale permettant d’utiliser l’espace dans les trois dimensions, le public entourant ce dispositif.

En 1930, avec le « théâtre simultané » des Polonais Szymon Syrkus (1893-1964) et Andrzej Pronaszko (1888-1961), les spectateurs se trouvent plongés dans la simultanéité des événements d’une action qui, répondant aux caractéristiques de la vie moderne et à l’évolution de nos modes de perception, se situe matériellement au milieu d’eux. Le laboratoire de théâtre Art et action reprendra ce même principe à l’Exposition internationale des arts et techniques de Paris de 1937. Mais l’aboutissement architectural d’un espace unique acteurs-spectateurs, préconisé après Appia par Syrkus, a inspiré plus récemment, pour des motifs identiques, des architectes ou plasticiens comme Agam (né en 1928), Claude Parent (né en 1923), un auteur comme Michel Parent et un metteur en scène comme Jean-Marie Serreau (né en 1915), à l’occasion de la conception d’un spectacle simultané entourant un groupe de spectateurs. Ce « théâtre à scènes multiples en contrepoint » a fait l’objet d’un premier essai à Dijon en 1963. Pour Serreau, le public sollicité par la multiplicité des événements de la vie moderne, imprégné des rythmes auxquels le soumettent le cinéma et la télévision, obéit à une nouvelle perception du spectacle. Toujours selon Serreau, il importe que le spectateur puisse être sollicité de façon hasardeuse, comme dans la vie, de tous les côtés à la fois, et qu’il construise son propre spectacle lui-même. Le public peut être entouré par des plateaux annulaires mobiles (théâtre de la maison de la culture de Grenoble). À l’inverse, des amphithéâtres rotatifs ont été conçus en Tchécoslovaquie, au château de Český Krumlov (Brems, scénographe) et, en Finlande, au théâtre de Tampere.

Ces dernières conceptions permettent au public d’être placé successivement devant différentes aires de jeu, dont le décor a été précédemment planté, et de donner aux spectateurs un sentiment physique de participation au déroulement du spectacle.