Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Terreur (la) (suite)

La Terreur aux armées

Pour présenter la Terreur aux armées, l’historiographie retient quelques images. Il y a d’abord celle du noble chassé des rangs de l’armée comme suspect. Cette épuration ne se déroula, en fait, que sous la pression des sans-culottes et s’interrompit quand le gouvernement révolutionnaire comprit la nécessité qu’il y avait de conserver ces techniciens, qui n’étaient pas tous « corrompus » par l’esprit ancien. La seconde image est celle des colonnes mobiles qui sillonnèrent les campagnes et pourchassèrent le déserteur et l’insoumis. Cette image se confond avec une autre : celle de la guillotine dressée dans les camps ou du peloton d’exécution fusillant le traître ou l’indiscipliné qui s’est livré au pillage. Ces clichés traduisent tous deux une réalité ; encore faut-il les comparer avec un autre : celui de l’humble sans-culotte ou jacobin venant éduquer politiquement ses « frères ». Cette éducation commence au village, se poursuit dans les camps, où, par la lettre des proches et le journal reçu, le soldat citoyen apprend le péril encouru et la volonté inébranlable de vaincre de la nation. La nation, par la force coactive de la Terreur, préserve les arrières de la troupe et lui permet d’être, même mal, habillée, nourrie et soignée. La Terreur forge ainsi chez des hommes prêts à se débander un moral de vainqueur ; des correspondances de soldats retrouvées aux Archives de la guerre montrent ainsi la mutation psychologique de jeunes requis qui, partant les fers aux mains entre deux haies de gendarmes, devinrent au front non seulement de bons soldats, mais des citoyens convaincus de la justice de la cause entreprise et de la nécessité de la Terreur.


Terreur et vertu

Les membres du gouvernement révolutionnaire, et parmi eux Robespierre le premier, comprennent le danger moral que courent les agents du pouvoir qui appliquent la Terreur. Robespierre est sensible aux excès d’un Jean-Baptiste Carrier et dénonce ceux qui, citoyens pervertis, emploient mal les armes données par la nation. Pour lui, comme pour beaucoup d’autres Montagnards, la Révolution doit affranchir l’homme des « influences qui l’empêchent de suivre son inclination naturelle à la vertu », à cette vertu qui est un des ressorts du gouvernement populaire et qui est le pendant de la Terreur. Robespierre l’exprime dans son discours sur le gouvernement révolutionnaire à la Convention : « Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur : la vertu sans laquelle la terreur est funeste ; la terreur sans laquelle la vertu est impuissante. La terreur n’est autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible ; elle est donc une émanation de la vertu ; elle est moins un principe particulier qu’une conséquence du principe général de la démocratie appliquée aux plus pressants besoins de la patrie. »

« Premier gouvernement d’ordre moral », a-t-on pu dire, le gouvernement révolutionnaire encourage d’abord les vertus familiales, qui sont d’ailleurs celles du sans-culotte : dévouement filial, fidélité et amour conjugal, mais aussi respect de la vieillesse, nécessaire quête de l’amitié dans cette plus grande famille qu’est la Patrie. Le luxe est pourchassé : il est la marque de l’aristocratie ; la simplicité des mœurs est prônée : elle est le signe du bon citoyen. Pour celui-ci la vertu, pour celui-là la Terreur. Mais, pour modeler cette âme commune, le temps manquera.


La fin de la Terreur

La Terreur, voulue par les sans-culottes, s’est retournée contre certains de ses membres qui jugeaient trop tiède encore le gouvernement de la Montagne. Leur condamnation ainsi que les mesures prises pour mettre un frein à la démocratie directe ont stupéfié les sans-culottes, qui n’en comprenaient pas la nécessité. La Terreur, d’autre part, si elle a permis un meilleur approvisionnement des villes, n’a pas totalement conjuré le spectre de la disette. Enfin, la sans-culotterie, face au gouvernement qui avait mis la Terreur à l’ordre du jour, était tiraillée par les intérêts divergents des petits propriétaires et des salariés qui la composaient. Cela explique la neutralité d’une partie importante de cette sans-culotterie au moment du drame de Thermidor.

Mais, parmi les « méchants » qui complotèrent pour renverser les robespierristes, il y eut aussi des terroristes. Certains craignaient de devoir rendre des comptes pour les excès commis ou le profit qu’ils avaient pu tirer de leur charge. D’autres étaient sensibles à la pression d’une partie de l’opinion publique, qui n’adhéra plus à la Terreur après que celle-ci eut produit ses conséquences militaires : la Terreur donna la victoire de Fleurus, et cette dernière la condamna.

Les thermidoriens s’empressèrent de détendre tous les ressorts du gouvernement révolutionnaire et d’annihiler la force coactive qu’avait été la Terreur. Le 1er août 1794, la loi du 22 prairial fut rapportée ; le Tribunal révolutionnaire fut réorganisé le 10, et la « question intentionnelle » fut instaurée : même convaincu d’acte contre-révolutionnaire, un prévenu pouvait être relâché s’il montrait qu’il n’avait eu aucune intention liberticide. Les comités révolutionnaires furent supprimés, les prisons s’ouvrirent et les suspects furent libérés.

La Terreur est une partie ineffaçable de notre histoire. Les hommes n’ont cessé, depuis lors, de s’interroger à son propos. Peut-on transformer radicalement la société en faisant l’économie de la violence et en évitant ce que certains ont appelé à tort un « régime policier » ? À étudier les circonstances et les hommes qui, en France, donnèrent naissance à la Terreur, en l’an II, l’historien est conduit à mettre en garde ses contemporains sur de fausses analogies.

J.-P. B.

➙ Convention nationale / Révolution française / Sans-culottes.