Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Terreur (la) (suite)

La Terreur politique

Créés dès le 21 mars, les comités de surveillance recherchent et arrêtent les suspects. Le 17 septembre, ils sont placés sous le contrôle du Comité de sûreté générale, formé de députés élus par la Convention. Cet organisme entrera en conflit d’autorité avec le Comité de salut public. À Paris, le Tribunal révolutionnaire, qui existe depuis le 10 mars, est remanié le 5 septembre. Les juges, l’accusateur public (Antoine Quentin Fouquier-Tinville [1746-1795]) sont choisis par la Convention. En province, les tribunaux criminels des départements jouent aussi le rôle de tribunaux d’exception, quand ils sont remplacés, comme dans les régions où sévit l’insurrection contre-révolutionnaire, par des commissions militaires. Pour ces tribunaux, la procédure est simplifiée : plus de jury d’accusation, plus de recours en cassation.

La Terreur varie certes en fonction des hommes qui l’appliquent. Dans le district de Saint-Pol, tel commissaire des comités fait arrêter 141 personnes qu’il jugeait suspectes, alors que tel autre, dans un canton voisin, n’en reconnaît pour tel que deux ou trois. Mais, plus encore, cette Terreur se modifie au gré des circonstances, selon les lieux. Les condamnations capitales les plus nombreuses se concentrent dans les deux zones où s’exerce aussi une « terreur blanche » : 52 p. 100 des condamnations à mort sont prononcés dans l’Ouest, 19 p. 100 dans le Sud-Est, alors que Paris n’en détient que 15 p. 100. Il n’y a aucune exécution dans six départements, moins de dix dans trente et un et moins de vingt-cinq dans quatorze.

L’intensité de la Terreur varie aussi avec les temps. La déchristianisation l’amplifie, le catholicisme étant regardé comme un des mobiles de la Contre-Révolution. Mais, à Paris, alors que, jusqu’en prairial (juin 1794), il y a eu 1 251 mises à mort, 1 376 personnes montent à l’échafaud, du 22 prairial (10 juin) au 8 thermidor (26 juill.). C’est l’époque où se multiplient dans Paris les attentats, notamment contre les chefs de la Révolution, Collot d’Herbois le 20 mai et Robespierre le 23. La loi du 22 prairial crée alors la Grande Terreur. Au tribunal révolutionnaire de Paris, qui reste le seul à juger les crimes politiques, toutes les garanties habituellement offertes par la justice disparaissent. « Le Tribunal révolutionnaire est institué pour punir les ennemis du peuple. Les ennemis du peuple sont ceux qui cherchent à anéantir la liberté soit par la force, soit par la ruse. La peine portée contre tous les délits dont la connaissance appartient au Tribunal révolutionnaire est la mort. S’il existe des preuves soit matérielles, soit morales [...], il ne sera pas entendu de témoins. La loi donne pour défenseurs aux patriotes calomniés des jurés patriotes, elle n’en accorde point aux conspirateurs. »

Dès lors, les « fournées » se succèdent à un rythme accéléré. Le Comité de sûreté générale, jaloux d’un pouvoir que lui dispute le Comité de salut public et hostile aux robespierristes, créateurs du culte de l’Être suprême, s’emploie, pour les discréditer, à mêler dans ces fournées innocents et coupables. Parmi ces derniers, les bourgeois, les artisans et les ouvriers, parfois touchés par la contre-révolution royaliste ou fédéraliste, parfois repris de justice, sont plus nombreux que les nobles ou les prêtres à gravir l’escalier qui mène à la guillotine.

La Terreur resta un acte de défense contre les ennemis de la République, et cette République qui instituait le despotisme de la liberté pour mieux sauver cette liberté visait aussi au maintien de l’unité. Elle était non seulement force répressive contre ses ennemis, mais aussi contrainte pour ceux qui la soutenaient. Elle exigeait de ceux-ci qu’ils sacrifient leur aventure individuelle à l’aventure collective de la nation. La Terreur fut tournée non seulement contre les aristocrates, mais aussi contre tous les « égoïstes » qui refusaient de comprendre qu’être libre est plus difficile et suppose plus de sacrifices qu’être esclave. La Terreur ne fut donc pas seulement externe ; elle eut des caractères internes, et le gouvernement révolutionnaire exigea de ceux qui l’avaient poussé à l’instaurer une obéissance complète. Il frappa les ultra-révolutionnaires, qui, en contestant son pouvoir, faisaient le jeu des aristocrates, toujours prêts à se servir des désunions. Par nécessité tactique, il fut amené à donner à la Terreur un contenu social (v. Convention nationale).


L’aspect économique et social de la Terreur

Pour le sans-culotte qui réclame la Terreur, l’ennemi est non seulement l’aristocrate, mais aussi la « sangsue du peuple », le riche, l’accapareur, l’agioteur. Si l’on dénombre peu de cas de condamnation pour ce motif, il est indubitable que le peuple en révolution réclama du gouvernement d’assurer, au besoin contre le riche possédant, « le droit à l’existence et l’égalité de jouissance ». On ne pouvait pas demander aux sectionnaires d’appliquer la Terreur au-dedans et au-dehors sans leur garantir que leur famille aurait de quoi se nourrir. Le maximum sur les denrées de première nécessité donna satisfaction à cette revendication.

Mais le gouvernement révolutionnaire marqua, un temps, la volonté d’aller plus loin. Désireux de séparer les sans-culottes des ultra-révolutionnaires comme Hébert, contre lesquels il retournait l’arme de la Terreur, il laissa espérer aux pauvres patriotes, par les lois de ventôse, une part des biens des suspects. Les mesures prises alors furent liées à la loi de prairial, qui accéléra la procédure contre les suspects.

Mais l’on sait comment ces lois de ventôse ne connurent qu’un début d’application, alors que les nécessités du moment amenèrent le gouvernement à appliquer un maximum des salaires qui annihilait les bienfaits du maximum des denrées et mécontenta les masses populaires, qui avaient voulu la Terreur.

Pourtant, la politique dirigiste et les légères atteintes au droit de propriété donnèrent un instant au peuple l’impression que la patrie était le bien commun de tous et renforcèrent l’énergie vaillante de ceux à qui l’on réclamait le sacrifice suprême.