Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

temps (suite)

La perception du temps

Dans le devenir, il faut, au départ, distinguer deux données fondamentales : la succession des événements et la durée de ces événements ou des intervalles entre les événements.

Percevoir le temps, c’est tout à la fois percevoir la succession et percevoir la durée.


L’adaptation à la succession

Tous les organismes s’adaptent à la succession des événements physiques. Tous, même les végétaux, ont des rythmes circadiens de nature endogène qui sont en phase avec les rythmes du nycthémère, grâce à l’action de synchroniseurs. Ainsi, quand un homme passe d’un travail de jour à un travail de nuit, le rythme circadien de sa température, mais aussi de tous ses métabolismes, s’inverse, tout en gardant la même période. Ces rythmes demeurent même quand l’homme est soustrait à toutes les influences connues du nycthémère par une isolation complète.

Par ailleurs, les travaux de l’école de Pavlov* ont montré, au début de ce siècle, que les conditionnements au temps étaient possibles. Ainsi, un chien nourri toutes les 30 minutes ne se met à saliver que vers la fin de chaque période de 30 minutes. La durée entre deux présentations de nourriture est le stimulus conditionnel. Cette découverte est très importante. En effet, la périodicité joue un grand rôle dans notre vie : rythme de l’activité et du sommeil, rythme des repas. Des conditionnements interviennent alors, et des signaux biologiques comme des sensations de fatigue ou de faim nous permettent d’anticiper par des réactions adaptées le moment où le besoin serait pénible. Ainsi, l’organisme humain apparaît comme une horloge biologique qui fournit de précieux repères pour l’orientation temporelle.

L’adaptation à la succession n’est pas limitée au cycle des rythmes biologiques. À une stimulation présente, nous pouvons répondre par une réponse immédiate. Mais une stimulation peut être aussi le signal d’un événement qui va suivre, et sa signification naît de la succession dont il est le premier terme. La cloche annonce le repas, un panneau de la circulation, une particularité de la route. Dans ces conditions, nous réagissons à la stimulation par une conduite d’anticipation adaptée au stimulus à venir.

Au plan psycho-biologique, les lois de cette adaptation ne sont autres que celles du conditionnement. Un stimulus ne devient signal d’un autre que si ce second stimulus détermine une réaction adaptative (consommation, évitement d’une douleur...) qui permet à l’organisme de se maintenir en vie. Pour que la succession devienne efficace, il faut que l’ordre se répète. Le conditionnement s’établit d’autant plus vite que le signal est plus proche temporellement du stimulus inconditionnel. Mais si le signal précède d’une durée fixe le stimulus inconditionnel, la réaction d’anticipation ne se produit qu’après une durée sensiblement égale à l’intervalle qui sépare les deux signaux. On parle alors de conditionnement retardé ou différé.

Cette forme d’adaptation à la succession joue un rôle constant dans nos activités, qui tiennent compte non seulement de ce qui est présent, mais de ce qui va se produire sur la base de l’expérience passée. Tout acte a ainsi un horizon temporel implicite. Chez l’homme, de plus, ces séquences ne sont pas seulement vécues, mais connues. Le passage au plan de la connaissance permet de prendre en compte des séquences beaucoup plus longues où les reconstructions du passé et les imaginations de l’avenir élargissent sans limites les perspectives temporelles. Tout ceci permet à l’être humain de déterminer ses conduites sur des objectifs à long terme.


La perception du temps


Le présent psychologique

Percevoir, c’est prendre connaissance d’une stimulation présente. Percevoir la succession ou la durée peut, en première analyse, être considéré comme une expression inadéquate. En raisonnant d’une manière formelle, on pourrait dire que le présent est un point où le devenir se transforme sans cesse en passé. Mais en réalité, il existe un présent psychologique, c’est-à-dire une brève période où des événements successifs apparaissent comme liés dans une relative simultanéité sans qu’intervienne la mémoire. Il y a un champ temporel comme il y a dans l’espace un champ du regard. Deux paramètres caractérisent le présent psychologique.

• La vitesse de succession. Pour que deux événements appartiennent au présent psychologique, il faut que l’intervalle qui les sépare ne dépasse pas 2 secondes environ. Les tic-tac de l’horloge s’enchaînent. S’ils se ralentissaient beaucoup, il n’y aurait plus que perception d’événements isolés. La perception de la musique comme celle d’une phrase n’est possible que si les éléments qui forment une unité significative (thème de la mélodie, pattern rythmique, phrase) sont liés entre eux. Si la succession est trop lente, il n’y a plus suite perceptive, mais construction mnémonique.

• Le nombre des éléments. Quand la succession est perçue (intervalle variant de 0,1 à 2 s), le champ temporel peut s’étendre à plusieurs événements sans toutefois dépasser six à sept si ceux-ci sont indépendants. Ainsi quand l’horloge sonne 3 ou 4 heures, il n’y a pas besoin de compter pour percevoir le nombre de coups. Il n’en est pas de même à midi.

Le nombre des éléments perçus dans une unité perceptive dépend de leur degré d’organisation perceptive (rythme par exemple) ou sémantique (une proposition).


La perception de la succession

Elle n’est possible que si deux stimulations sont temporellement discriminables. Le seuil de la discontinuité est d’environ 10 ms pour les stimulations auditives et tactiles, de 50 à 100 ms pour les stimulations visuelles. Si deux stimuli sont hétérogènes (lumière et son), le seuil de perception de la simultanéité à la succession varie entre 20 et 100 ms suivant l’entraînement des sujets.

La succession cesse d’être perçue lorsque deux stimulations n’appartiennent plus à un même présent psychologique.

Entre les limites inférieure et supérieure de la perception de la succession, il y a un intervalle optimal autour de 600 à 800 ms. Il est reproduit avec le plus d’exactitude, les intervalles plus petits étant surestimés et les plus grands sous-estimés. L’optimum de la succession correspondrait à une suite de perceptions sans recouvrement et sans discontinuité.