Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tchécoslovaquie (suite)

De 1945 à 1948, la Tchécoslovaquie a relevé rapidement son économie en mettant au point un mode de gestion démocratique original en Europe. Le 1er janvier 1947, elle lance un premier plan de modernisation de deux ans, selon un modèle démocratique. Les entreprises bénéficient d’une grande déconcentration de la gestion, et, à côté du contrôle de l’État, des conseils d’entreprises et des directions générales d’entreprises participent aux décisions. Malgré une mauvaise récolte en 1947, la modernisation de l’agriculture se poursuit.

En 1947, l’expérience de la démocratie tchécoslovaque est un succès. Mais la détérioration rapide de la situation internationale en remet en cause les principes. La Tchécoslovaquie a besoin d’un accord entre les États-Unis et l’U. R. S. S. Le lancement du plan Marshall montre la fragilité de l’indépendance tchécoslovaque. Le 4 juillet 1947, le cabinet tout entier se prononce pour l’adhésion au plan ; le 10 juillet, hâtivement convoqués à Moscou, Gottwald et Jan Masaryk doivent annoncer qu’ils le refusent.

L’automne de 1947 marque un durcissement général, avec, en septembre 1947, la création du Kominform. Les communistes tchécoslovaques s’inquiètent de l’échec de Fierlinger, qui perd la direction du parti social-démocrate. Alors qu’approchent les élections de mai 1948, ils peuvent craindre une certaine désaffection de leurs électeurs. Ils renforcent leurs effectifs, qui, en janvier 1948, atteignent 1,5 million de membres. Dès novembre 1947, Klement Gottwald évoque en termes voilés la riposte à un complot de la droite.

La crise éclate brutalement en février 1948. Pour mettre fin au noyautage accéléré de la police par les communistes, les ministres populistes, démocrates et socialistes nationaux donnent leur démission à Beneš le 20 février. Alors, les communistes appliquent un plan bien organisé de prise du pouvoir, révolutionnaire sous une apparence légaliste. Des comités d’action du Front national, constitués dans tout le pays dès le 21 février, désorganisent l’action des ministères, des entreprises et des partis non communistes eux-mêmes. Les communistes s’assurent le monopole de la radio et de la presse. Maîtres de la police, assurés de la neutralité des militaires, ils mobilisent des milices populaires en armes.

Le 25 février, Beneš, malade et isolé, cède et remet le pouvoir aux communistes. Pour l’opinion publique, ce n’est qu’un tournant (převrat) : en fait, c’est une véritable révolution qui fait désormais tomber la Tchécoslovaquie dans le camp socialiste des pays de l’Est et met fin à l’expérience démocratique.


De février 1948 au printemps 1968

Gottwald espère que la victoire des communistes rendra possible une transition pacifique au socialisme. Mais ses espoirs sont vite déçus.

En mars 1948, le parti communiste lance le slogan : 75 p. 100 de voix aux élections dans le cadre d’un libre scrutin. Mais, le 5 avril, revenant en arrière, le Comité central adopte la candidature unique : désormais, la victoire des candidats du Front national rénové sera assurée avec 89 p. 100 des suffrages. Le multipartisme disparaît : le 27 juin, Fierlinger opère la fusion du parti social-démocrate avec le parti communiste. Les autres partis du Front national se désagrègent, et seules subsistent leurs nouvelles directions, désignées par les communistes. Leurs membres cessent toute activité ou entrent au parti, dont les effectifs atteignent 2,6 millions de membres en août 1948. En juin 1948, la démission de Beneš livre aux communistes le dernier poste qui leur échappe encore, la présidence de la République. À la surprise générale, Gottwald se fait élire président et fait célébrer par l’archevêque de Prague, Mgr Josef Beran, un Te Deum en l’honneur de sa victoire.

En même temps, la rupture avec la Yougoslavie en juin 1948 amène un durcissement de la ligne du Kominform. Au plénum du 21-23 septembre 1948, Gottwald doit faire son autocritique : il a cru que la lutte des classes se terminait avec la conquête pacifique du pouvoir ; elle doit, au contraire, s’aggraver. Alors commence l’épuration brutale des non-communistes : 28 000 fonctionnaires sont limogés ; des milliers d’étudiants sont exclus des universités. Après des manifestations d’hostilité au régime lors des obsèques de Beneš, en septembre 1948, Gottwald fait voter en octobre une loi sur la défense de la République qui permet les internements sans jugement dans des camps de travail forcé. Ce sont alors des arrestations massives parmi les membres des anciens partis et les chefs de la résistance non communistes. En 1950, il y a en Tchécoslovaquie plus de 11 000 détenus politiques dans les prisons et les camps de concentration, dont le plus célèbre est la mine d’uranium de Jáchymov, en Bohême du Nord.

En même temps, l’économie tchécoslovaque, caractéristique d’une société industrielle avancée, est brutalement alignée sur le modèle soviétique. L’ancienne gestion démocratique de l’industrie est supprimée dès novembre 1947 au profit d’un modèle de planification complètement centralisé. Les directions régionales disparaissent, et, à partir de 1950, l’économie slovaque perd toute marge d’autonomie.

Le commerce extérieur tchécoslovaque doit être brusquement réorienté. De 1948 à 1953, la part des pays socialistes double et passe de 39 à 78 p. 100. Au contraire, le commerce avec les pays industrialisés de l’Ouest décline de 46 à 15 p. 100. L’économie se trouve brusquement désorganisée, et les branches techniquement avancées sont les plus touchées.

Encore en octobre 1948, le Comité central insiste sur la nécessité de ménager la paysannerie et de poursuivre l’« union de la classe ouvrière et des paysans ». Mais, en janvier 1949, une loi prévoit une socialisation rapide de la terre par formation de coopératives, les jednotné zemědělské družstvo (JZD). Dès avril 1949, la force est employée pour briser la résistance paysanne. Le secteur socialiste ne couvre que 42,6 p. 100 du sol en 1955, mais il s’accroît rapidement après 1956. La petite paysannerie disparaît, ce qui provoque une crise de l’approvisionnement en produits alimentaires.