Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tchécoslovaquie (suite)

L’alignement idéologique et politique sur l’U. R. S. S. est désormais total. Après la vague des procès contre les non-communistes, la Tchécoslovaquie se lance dans les grands procès staliniens contre les dirigeants communistes. Le mouvement est plus tardif que dans les pays voisins, Hongrie et Pologne, mais il va se poursuivre plus longtemps de 1950 à 1954 et durera même après la mort de Staline et de Gottwald, en mars 1953. Dès 1949, des experts soviétiques sont envoyés pour aider à monter les procès. En 1950, un ministère de la Sécurité, dépendant seulement du secrétariat du parti, prend en main les opérations. Les verdicts sont dictés aux tribunaux, qui n’assurent plus qu’une parodie de justice. Les accusés, épuisés moralement et physiquement par la torture, ne font plus que réciter des scénarios montés par des conseillers, les référents. En 1950 et en 1951, les arrestations du Slovaque Vladimir Clementis et du premier secrétaire du parti, Rudolf Slánský (1901-1952), permettent de monter en novembre 1952 le gigantesque procès du Centre de conspiration contre l’État, qui se termine par l’exécution de onze dirigeants de premier plan du parti. Un autre grand procès est intenté contre les « nationalistes bourgeois slovaques » en avril 1954 : Gustáv Husák (né en 1913) est condamné à la prison à vie.

Antonín Novotný*, bénéficiaire des remaniements politiques provoqués par le procès Slánský, devient en septembre 1958 premier secrétaire du parti, tandis qu’Antonín Zápotocký (1884-1957) remplace Gottwald à la présidence de la République. La grande vague de libéralisation qui emporte en 1956 la Pologne et la Hongrie ne gagne pas la Tchécoslovaquie. Novotný fait échouer en juin 1956 le projet de convocation d’un congrès extraordinaire du parti. Le mécontentement de certains intellectuels reste donc isolé. En novembre 1957, à la mort de Zápotocký, Novotný cumule avec ses anciennes fonctions la présidence de la République.

Paradoxe des années 1953-1967, que l’on appellera l’ère novotinyste, l’homme qui, en Tchécoslovaquie, représente le refus de la déstalinisation obtient l’appui de Khrouchtchev dans le mouvement communiste international et sera le seul à l’Est à protester contre son limogeage en 1964.

Avec une extrême ténacité, appuyé sur l’appareil très conservateur du parti, Novotný va, jusqu’en 1967, s’opposer aux réhabilitations des victimes des grands procès. En 1962, il fait emprisonner le ministre de l’Intérieur Rudolf Barák, qui cherchait à le compromettre pour prendre sa place. En 1963, il doit abandonner deux de ses collaborateurs les plus compromis : Karol Bacílek (né en 1897) est remplacé en avril par Alexander Dubček* comme premier secrétaire du parti slovaque ; Viliam Široký (1902-1971), par Jozef Lenárt (né en 1923) à la présidence du Conseil en septembre. Mais les changements de personnes ont pour objet de limiter les réhabilitations. Les commissions internes du parti chargées de faire la lumière sur les grands procès doivent garder secrètes leurs conclusions. Les condamnés encore vivants sont libérés sans publicité.

Novotný n’aime pas les intellectuels. Mais, en 1962-63, un affaiblissement de la censure permet une certaine reprise de la vie intellectuelle. Le brillant essor de la littérature (Milan Kundera, Josef Škvorecký), du cinéma (Miloš Forman, Věra Chytilová) et du théâtre tchèques vont marquer les années 60. Les contre-offensives de la direction idéologique du parti en 1964 et en 1967, avec Jiři Hendrych (né en 1913), seront de plus en plus vouées à l’échec.

L’effondrement de l’économie en 1961 et en 1962 oblige Novotný à soutenir les réformateurs. Les méthodes de planification centralisées, fondées sur la croissance quantitative de l’économie, ont fait faillite ; il faut une planification souple, plus attentive à l’essor qualitatif, qui rendrait les produits tchécoslovaques compétitifs sur le marché mondial et moderniserait une technologie arriérée depuis 1948. En 1966, lors du XIIIe Congrès du parti, Novotný prend la défense des réformes préparées par l’économiste Ota Šik (né en 1919), mais leur application, à partir de 1967, se heurte au conservatisme de l’appareil du parti.

Novotný doit tenir compte de l’opposition grandissante des Slovaques, qui ont perdu toute autonomie avec la nouvelle Constitution imposée en 1960. Après un premier conflit en 1963, la situation se dégrade de nouveau en 1967. Le mécontentement slovaque va rejoindre à Prague la fronde des intellectuels tchèques, fronde qui s’exprime lors du congrès des écrivains en juin 1967. L’usure croissante de la direction novotnyenne se manifeste nettement à l’automne. En décembre 1967, lors du plénum du Comité central, la conjonction des opposants met nettement Novotný en minorité. Celui-ci songe à un coup d’État de l’armée, mais il ne peut trouver les appuis nécessaires. Le 5 janvier 1968, il est remplacé au poste de premier secrétaire par le Slovaque Alexander Dubček, tout en restant président de la République. Cela pourrait être une simple révolution de palais, mais c’est en fait le début d’un vaste mouvement, le « printemps de Prague ».


Le « printemps de Prague »

C’est une coalition hétéroclite qui arrive au pouvoir par un changement pacifique de majorité au sein du Comité central. À côté d’opportunistes, comme Drahomír Kolder (né en 1925) et les Slovaques Vasil Bilák (1917-1974) et Lenárt, une aile réformiste rassemble l’économiste Ota Šik, de vieux militants comme Josef Špaček (né en 1927) et František Kriegel. Au début, Dubček* apparaît comme un candidat de compromis, mais il se révèle bientôt le chef et le symbole de ce qu’on appellera le « cours d’après janvier », le « printemps de Prague ». Autour de lui se rassemblent les hommes du « printemps », presque tous âgés de trente-cinq à cinquante ans, ce sont d’anciens staliniens dogmatiques. Ils ont tous joué un rôle dans le parti communiste à l’époque de Gottwald ou de Novotný. Certains ont connu la prison, comme le Slovaque Husák ou le nouveau président de l’Union des écrivains, Eduard Goldstücker (né en 1913). Les intellectuels, qui ont joué un grand rôle dans la chute de Novotný, lancent les idées neuves du « printemps ». Ce sont des théoriciens marxistes comme Čestmir Císař (né en 1920) ou Zdeněk Mlynař, des écrivains comme Pavel Kohout ou Ludvík Vaculík.