Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tatars (suite)

Si, de nos jours, le mot tatar a été remplacé bien souvent au profit de termes d’ethnies plus précises, il demeure d’un usage courant au niveau populaire et apparaît encore sous la plume des historiens quand il s’agit de peuples turcs qui ne vivent pas en Turquie. Dans quelle mesure cet usage est-il légitime ? Dans quelle mesure répond-il seulement à une tradition ? Il est difficile de le dire. Stricto sensu, on ne devrait nommer aujourd’hui Tatars que les habitants de la république autonome des Tatars, qui relève de la République soviétique de Russie et dont la capitale est Kazan. Cette ville fut, au cours des derniers siècles, un important centre de culture islamique, et le niveau intellectuel de la population se trouve, de ce fait, particulièrement élevé.

Les Tatars de Kazan, qui constituaient avant la Seconde Guerre mondiale un peu moins de la moitié de la population de la république, doivent y être maintenant encore plus minoritaires. Par contre, plus d’un million d’entre eux vivent dans la république autonome de Bachkirie. Mais, en U. R. S. S. même, le mot tatar est encore officiel (ou semi-officiel suivant les cas) pour nommer des groupes humains de langues turques, certains d’une relative importance, la plupart constituant de petites formations noyées dans la masse de la population européenne émigrée ou dans celle de plus puissantes ethnies turques.

Ainsi avons-nous (la liste n’est pas exhaustive) des Tatars d’Izmaïl en Ukraine, des Tatars de Minsk et de Grodno en Biélorussie, des Tatars du Danube en Moldavie, des Tatars de Kassimov, de Tobolsk, de Baraba en Sibérie. Dans cette dernière région plus qu’ailleurs et malgré les « nationalités » modernes, on continue à désigner comme Tatars l’immense majorité des Turcs, en particulier ceux de l’Altaï et de l’Ienissei.

Les images qui se sont attachées aux « Tatars » et le souvenir de la frayeur que provoqua l’invasion des Mongols sont à l’origine de la transformation de tatar en tartare, terme calqué sur barbare et influencé par celui qui désigne le fond des enfers dans l’Antiquité. Tartare est expressif, mais ne répond à aucune réalité.

J.-P. R.

➙ Mongols / Turcs.

Tatline (Vladimir Ievgrafovitch)

Peintre, sculpteur et architecte russe (Kharkov 1885 - Moscou 1953).


De 1911 à 1913, il montre des œuvres figuratives de style néo-primitiviste, où le trait appuyé du dessin s’allie au laconisme de la construction, avec une tendance au sculptural et à l’utilisation des plans cubistes (Marchand de poissons, 1913, galerie Tretiakov, Moscou ; Marin, Autoportrait et Modèle, 1913, musée Russe, Leningrad). L’influence de son ami Larionov* (qui fit deux portraits de lui) est nette dans les thèmes venant du monde du travail ou de la mythologie populaire et dans l’expressivité lapidaire empruntée au loubok (image populaire), à l’icône, aux enseignes. Cela se traduit le mieux dans les illustrations de recueils futuristes (Mondàrebours de Velimir Khlebnikov, 1912 ; Missel des Trois, 1913) et surtout dans les esquisses pour le drame épique populaire de M. Tomachevski le Tsar Maksemian (variante russe de la légende de Tannhäuser), monté à Moscou en 1912, et pour l’opéra de Glinka la Vie pour le tsar (non réalisé, 1913).

Après un voyage à Paris, toujours en 1913, où il force la porte de l’atelier de Picasso*, Tatline fait dans son atelier moscovite la première « exposition de reliefs picturaux » (1914), acte de naissance du constructivisme et véritable révolution esthétique. Allant plus loin que Picasso, Boccioni (v. futurisme) et Archipenko*, il construit des objets totalement non figuratifs, créant un nouveau genre artistique et une nouvelle conception de l’œuvre d’art. Ces tableaux-sculptures, ou « contre-reliefs », étaient faits de bois, de métal, de verre, de stuc, de carton, d’albâtre ou de craie mélangés à de la colle, du goudron ; la surface des matériaux était mise en forme à l’aide de mastic, de Ripolin, de poix, de saupoudrage de poussière. En 1915, Tatline construit sa série des « contre-reliefs angulaires », éléments spatiaux suspendus aux intersections des murs, qu’il montre la même année aux expositions « Tramway V » et « 0, 10, dernière exposition futuriste » de Petrograd ainsi que dans son atelier de Moscou, puis en 1916 à l’exposition « Magasin », qu’il organise à Moscou en excluant le suprématisme de Malevitch*, artiste avec lequel il entre en conflit.

Les années qui suivent la révolution de 1917 accentuent cette opposition entre l’art pur (Malevitch, Kandinsky*, Pevsner*, Gabo) et l’art utilitaire (Tatline, Aleksandr Rodtchenko [1891-1956], Varvara Stepanova [1893-1958]), pour lequel « toute œuvre d’art est un objet et tout objet est une œuvre d’art ». Tatline dirige en 1918 la section de Moscou du département des Beaux-Arts (IZO), puis en 1919, à Petrograd, un atelier « pour le volume, les matériaux et la construction ». C’est là qu’en 1919-20 est construite la maquette du Monument à la Troisième Internationale, qui suscite de violentes discussions parmi les architectes, les peintres et les hommes politiques. Il s’agissait d’une tour en forme de spirale, qui devait être plus haute que la tour Eiffel, dont elle reprenait certains éléments, combinés dans une instrumentation constructiviste avec des éléments de la traditionnelle tour de Babel, du géométrisme cubiste et du dynamisme futuriste du Développement d’une bouteille dans l’espace de Boccioni (1912). À l’intérieur étaient suspendus à des câbles d’acier un cylindre, une pyramide et un cube qui tournaient à des vitesses différentes et devaient contenir des salles de réunion, d’exposition et de concert. À partir de 1922, Tatline participe à l’activité de l’Institut de la culture artistique (In. khou. k.) de Petrograd et du premier musée d’art moderne au monde, que crée cet Institut. En 1923, il met en forme dans ce musée le poème dramatique de Khlebnikov Zanguezi, puis travaille en 1925-26 à Kiev, où il dirige la section du théâtre et du cinéma.