Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Syrie (suite)

Antioche est attirée dans le sultanat de Rūm, fondé par Kilidj Arslan Ier (1092-1107) en Asie mineure, tandis que les deux neveux de Malik Chāh possèdent l’un Alep, l’autre Damas ; les Arméniens du Taurus séparent les deux domaines seldjoukides, tandis que de petits émirats arabes se maintiennent sur la côte, celui de Tripoli par exemple, et que les Fāṭimides reprennent la Palestine et Jérusalem en 1098, profitant de la guerre seldjoukide contre les croisés qui arrivent du Nord.


La Syrie face aux croisés (1099-1144)

L’émiettement politique et les luttes internes de l’aristocratie turque contre les Fāṭimides ne dressent sur la route des croisés aucune force importante en Syrie-Palestine (v. croisades).

En 1098, Baudouin Ier de Boulogne fonde le comté d’Édesse, tandis que Bohémond Ier organise la principauté d’Antioche avec tout le pays jusqu’à l’Oronte. Après la mort de Godefroi de Bouillon, Baudouin Ier érige la Palestine en royaume de Jérusalem (1100) ; ce royaume réunit de nombreux fiefs, dont Tripoli, que la famille de Saint-Gilles conquiert sur les émirats arabes de la côte, Tortose (Tartous), Laodicée, grande place de commerce, ainsi que Chaizar et une partie de la montagne libanaise (v. latins du Levant [États]).

Seul l’arrière-pays reste aux mains des musulmans, extrêmement morcelé en principautés où l’anarchie militaire sévit.

Les atabeks turcs de Mossoul, qui regroupent les émirs de la Djézireh, lancent périodiquement des attaques contre les Francs, mais les émirs syriens de l’intérieur font des opérations militaires très localisées ou négocient.

L’économie syrienne, tout d’abord ruinée par le conflit et la perte de ses débouchés portuaires, renaît, mais « reste essentiellement fournie par la production locale » (E. Perroy). Car la Syrie est aussi coupée de l’Asie par les guerres civiles et l’anarchie politique du domaine irano-turc. Mais la demande des cours franques et surtout des marchands italiens, qui fréquentent les marchés agricoles du Hauran (Ḥawrān), donne lieu à un commerce axé sur l’artisanat de luxe et les cultures spécialisées et industrielles.


Regroupement de la Syrie et réaction musulmane : Zangīdes et Ayyūbides (1144-1250)

Tandis que le califat fāṭimide d’Égypte entre dans une décadence qui paralyse ses forces militaires et sa politique extérieure, et que les États francs, qui ont établi une ceinture de places fortes, font porter leur effort de guerre contre la Syrie intérieure (Damas, Homs, Alep) et la Syrie du Nord (Mardin, Mossoul), la Syrie se regroupe. Une première tentative d’union est due à Rhāzī, émir de Mardin ; celui-ci entraîne la Djézireh et Alep contre les Francs d’Antioche, qu’il bat sur l’Oronte en 1119. Mais c’est avec les Zangīdes de Mossoul-Alep, Zangī et son fils Nūr al-Dīn, que l’union syrienne va se réaliser. ‘Imād al-Dīn Zangī (1127-1146), atabek seldjoukide de Mossoul et de l’Iraq du Nord, soumet la Djézireh, puis Alep, et enfin les émirats de Chaizar et de Homs, sur l’Oronte. Ses visées sur Damas restent sans résultat, mais il contrôle Ḥamā. Un nouvel État centralisé syrien est né, qui va passer à l’offensive contre les Francs. Une première campagne en 1135-1140 libère l’outre-Oronte, où sont installés des cavaliers turcomans, et a pour résultat une alliance défensive entre les Francs et Damas, également menacés par le puissant atabek de Mossoul.

En 1144, c’est la grande victoire contre le comté d’Édesse, dont la conquête est achevée par Nūr al-Dīn (1146). La chute d’Édesse amène la deuxième croisade (1147-48), qui échoue complètement devant Damas et les coalisés musulmans.

Nūr al-Dīn Maḥmūd (1146-1174) est l’artisan de la réunification syrienne et de la reconquête d’une grande partie des territoires francs : l’intérieur de la principauté d’Antioche et tout le comté d’Édesse. En 1154, il parvient enfin à réunir Damas et la Syrie du Sud. L’État zangīde, qui s’étend du Taurus à Mossoul et du haut Euphrate à Damas, exerce bientôt son protectorat sur les Seldjoukides d’Asie Mineure et les Arméniens de Cilicie, et intervient en Égypte, où les Fāṭimides périclitent. Les généraux de Nur al-Dīn, Chīrkūh et son neveu Saladin*, dégagent l’Égypte des offensives franques de 1163 à 1169. Les Zangīdes ont réveillé la Syrie sous le signe de l’unification politique et de l’orthodoxie sunnite, répandue par les madrasa (écoles coraniques), où enseignent les fuqahā’ (juristes) ; toute la société est ébranlée par le renouveau religieux.

À la mort de Nūr al-Dīn, Saladin (Ṣalāh al-Dīn Yūsuf, 1174-1193), vizir d’Égypte depuis 1169, est l’homme fort du Moyen-Orient musulman. Maître de l’Égypte, dont il a aboli le califat fāṭimide chī‘ite en 1171, il s’empare en 1183, après quelques luttes de succession contre les Zangīdes, de tous leurs États, sauf Mossoul. Le Proche-Orient se trouve donc réunifié en un seul État, qui encercle les possessions franques. À la mort de Saladin, des luttes de succession éclatent, et les querelles fratricides se poursuivent jusqu’à la chute de la dynastie. Cependant, sous les Zangīdes, puis sous les Ayyūbides, la Syrie est redevenue le centre du monde musulman.

Les successeurs de Saladin, surtout les sultans al-‘Ādil (1193-1218) et son fils al-Kāmil (1193-1238), pratiquent une politique de coexistence pacifique avec ce qui reste des Francs ; les relations commerciales avec l’Occident, surtout par les marchands vénitiens et génois, sont en pleine expansion, développant les villes, les ports, l’artisanat et l’agriculture du pays tout comme le commerce de transit avec l’Extrême-Orient. L’époque ayyūbide est aussi un âge d’or de la culture arabo-islamique.


Des Mamelouks* aux Ottomans (1250-1516)

En 1250, déposant le dernier Ayyūbide, les Mamelouks, esclaves guerriers venus de la mer Noire, prennent le pouvoir au Caire, fondant une dynastie militaire divisée en deux branches : les Baḥrites, qui régnent de 1250 à 1390, et les Burdjites, de 1382 à 1517. Le sultan mamelouk Baybars (1260-1277) exerce son pouvoir sur tous les anciens États ayyūbides, mais, le siège du gouvernement étant au Caire, la Syrie ne constitue plus qu’une province. Elle est dévastée, après l’Asie Mineure et Bagdad, par les Mongols, auxquels Baybars barre la route de Palestine à ‘Ayn Djālūt en 1260, mettant fin à l’invasion. Mais des États mongols, des ilkhānats, se créent en Iran et en Iraq. La Syrie-Palestine devient donc une marche frontière divisée en six provinces : Alep, Ḥamā, Damas, Tripoli, Safed et al-Karāk, dont les gouverneurs militaires sont assez indépendants des sultans du Caire. Les invasions mongoles compromettent d’abord et détournent ensuite vers le nord les routes commerciales d’Orient, laissant la Syrie relativement à l’écart.

Les Francs et les Arméniens, qui s’étaient alliés aux Mongols, déchaînent une vague d’intolérance et une offensive des musulmans. En 1291, al-Achraf Ṣalāḥ al-Dīn Khalīl balaye les derniers établissements francs en prenant Saint-Jean d’Acre, et, au xive s., la Cilicie arménienne passe aux mains des Mamelouks.

Mais à la fin du xive s. et au début du xve déferle la seconde invasion mongole avec Tīmūr Lang* (Tamerlan), qui razzie la Syrie en 1390-1395 et qui, après avoir dévasté toute la province et brûlé Damas en 1400-01, se heurte à Bayezid Ier en 1402 et conquiert l’Anatolie.