Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Suisse (suite)

Après la mort de Rodolphe Ier (juill. 1291), les cantons montagnards et forestiers (Waldstätte) d’Uri et de Schwyz, ainsi que celui d’Unterwald, dont s’étaient également emparés les Habsbourg, conclurent le 1er août 1291 un pacte perpétuel pour la défense mutuelle des droits et des libertés de chaque communauté : ainsi naissait la Confédération suisse. Les trois communautés s’engageaient à se porter assistance, mais elles se refusaient à recevoir dans les vallées, comme juge, tout représentant de l’autorité supérieure qui ne serait pas ressortissant de la vallée. Ainsi, pour les paysans comme pour les bourgeois des communautés urbaines, l’autonomie locale semblait la seule garantie des biens et des droits.

L’attaque de Schwyz contre les terres de la riche abbaye d’Einsiedeln, qui était sous la protection des Habsbourg, fut le prétexte d’une intervention autrichienne : le duc Léopold Ier voulut rétablir par la force l’autorité des Habsbourg à Schwyz et dans l’Unterwald. Mais les Confédérés l’emportèrent au Morgarten le 15 novembre 1315 et, en 1318, signèrent la paix avec les Habsbourg.

Ces origines de la Confédération helvétique ont fait naître une tradition légendaire (l’histoire de Guillaume Tell) qui n’est pas fondée sur des textes contemporains ni sur des témoignages authentiques, mais repose sur des chroniques écrites deux siècles après les événements. Au xviiie s., époque où on s’enthousiasma pour l’idée de la liberté, Guillaume Tell et les conjurés du Grütli devinrent des héros de l’humanité. Ils occupaient une place importante dans les esprits et dans la littérature à l’époque de la Révolution française et du romantisme (le poète allemand Schiller leur dédia une pièce de théâtre, le compositeur italien Rossini les prit comme sujet pour un opéra). La critique des xixe et xxe s. a nié la valeur historique de ces légendes et en a révélé les traits mythologiques (Max Frisch).

À la suite de la victoire du Morgarten, les trois cantons d’Uri, de Schwyz et d’Unterwald renouvelèrent leur alliance par le pacte de Brunnen (1315) : le texte de cet accord n’était plus rédigé en latin comme celui de l’alliance de 1291, mais en allemand ; il devait être lu devant chaque Landsgemeinde et juré par tous les citoyens, qui devenaient des « Confédérés » (Eidgenossen), liés par le serment.

Au noyau de cette union primitive s’agrégèrent une série de territoires, ce qui, en 1353, allait porter l’alliance à huit cantons. En 1332, la ville de Lucerne adhéra à la Confédération ; en 1351, ce fut le tour de Zurich, où une révolution municipale avait chassé l’aristocratie des bourgeois anoblis, au profit des corporations de commerçants et d’artisans. L’Autriche tenta de reprendre la ville et, au cours du conflit, les Confédérés occupèrent Glaris et Zoug, qui entrèrent dans l’alliance en 1352. Enfin, en 1353, la cité de Berne adhéra à la Confédération. Cette ville, qui avait vaincu les seigneurs féodaux des environs (bataille de Laupen, 1339), était une puissance militaire non négligeable.

La Confédération des huit cantons n’était encore qu’un agglomérat très lâche dont les trois cantons primitifs formaient le noyau et dont la cohésion dépendait principalement de la conjoncture. Cette cohésion fut mise à l’épreuve lors des deux batailles de Sempach (1386) — où le duc Léopold III fut tué — et de Näfels (1388) ; les Autrichiens furent vaincus et durent reconnaître l’indépendance des cantons.


Nouvelles alliances et conquêtes au xve siècle

La victoire de Sempach eut un profond retentissement dans toute l’Allemagne et fonda la réputation militaire des Suisses. Ceux-ci définirent dans le « convenant de Sempach » (1393) les obligations militaires qu’ils se devaient mutuellement. La pression démographique, liée au manque de terre nourricière, et la valeur militaire de son armée assurèrent l’expansion de la Confédération au cours du xve s. Entre 1403 et 1416, Uri occupa, pour contrôler le débouché italien du Saint-Gothard, la Léventine (haute vallée du Tessin) et les vallées Maggia et Verzasca. En 1415, les Confédérés s’emparèrent de l’Argovie autrichienne et, en 1460, de la Thurgovie. À côté des alliés, ces territoires constituèrent les pays sujets, ou bailliages, propriétés d’un seul canton ou appartenant à plusieurs. Ces pays sujets conservèrent une large autonomie. Cependant, les cantons confédérés y percevaient les revenus fonciers dus aux anciens seigneurs et y jugeaient en dernière instance tous les litiges. Ils y nommaient un bailli chargé du gouvernement et renouvelable tous les deux ans. Chaque année, les délégués des cantons se réunissaient pour vérifier les comptes et constituer le tribunal suprême. Bientôt, ces députés, réunis à cette occasion, élargirent l’objet de leur rencontre à l’ensemble des problèmes de la Confédération : on peut voir dans cette assemblée annuelle les prémices de l’actuelle Diète fédérale.

Grâce à ses victoires militaires, la Confédération accrut son influence et s’allia avec de nouvelles communautés : l’abbaye et la ville de Saint-Gall, la communauté rurale de Toggenburg, les trois ligues des grisons, les dizains du Valais, les villes de Schaffhouse, de Soleure et de Fribourg, le comté et la ville de Neuchâtel et d’autres nouèrent des liens de combourgeoisie avec les cantons. Ces nouveaux alliés, dont le statut différait de celui des huit cantons, ajoutèrent à l’importance politique et militaire de la Confédération.

En 1436, un conflit éclata entre Schwyz et Zurich : ces deux cantons se disputaient la possession du comté de Toggenburg, qui commandait l’accès aux voies transalpines vers l’Autriche et les cols des Grisons. Zurich fit appel aux Habsbourg, mais fut vaincue par les sept autres cantons à Saint-Jacques sur la Sihl (1443). L’empereur demanda alors à la France de détourner contre les cantons 40 000 mercenaires (Armagnacs), qui l’emportèrent sur les confédérés, près de Bâle, à Saint-Jacques sur la Birse (1444), puis arrêtèrent leur offensive. Les querelles entre les cantons citadins et les cantons montagnards continuèrent, et c’est seulement au bout de dix ans de guerre que Zurich reprit sa place dans l’alliance.