Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Strindberg (August) (suite)

L’œuvre dramatique

Toutefois, la place de choix qu’occupe Strindberg dans la littérature mondiale est due avant tout au théâtre. Son œuvre dramatique, d’une importance considérable, ne comprend pas moins d’une soixantaine de pièces.

C’est avec une tragédie antique, en vers ïambiques non rimes, Hermione (1869), que Strindberg fait ses premiers essais, couronnés par une mention de l’Académie suédoise, seule distinction qui lui soit d’ailleurs jamais accordée. Une comédie, le Libre Penseur (1869), est déjà caractéristique de la manière dont il transpose ses expériences personnelles. Deux pièces en un acte, l’une intitulée À Rome (1870) et l’autre le Banni (1871), pour laquelle il puise aux sources islandaises, sont jouées au Théâtre dramatique de Stockholm.

Le premier chef-d’œuvre de l’écrivain, trop audacieux pour l’époque, ne connaît pas de succès immédiat : Maître Olof (1872), drame en prose consacré à Olaus Petri, le grand réformateur suédois, pose le problème de la vocation, mais en termes différents de ceux de Brand d’Ibsen. Strindberg rédige en vers libres rimés une seconde version de Maître Olof (1876), plus philosophique, mais mieux adaptée à la scène : elle sera jouée au Nouveau Théâtre en 1881. L’Année quarante-huit (1875) est une comédie politique sans grande envergure ; par contre, le Secret de la guilde (1880), tragédie dont l’action se déroule au Moyen Âge, célèbre la foi et dénigre le doute. Le Voyage de Pierre-L’Heureux (1881) est à mi-chemin entre le conte et la légende : tout le mérite en est une ironie tantôt bouffonne et tantôt plus mordante. Dans la Femme du chevalier Bengt (1882), l’écrivain déchire le voile romantique qui enveloppe l’idée que la femme se fait du mariage, marquant au théâtre le début de son opposition à l’idéologie d’Ibsen.

Après ces trois pièces en l’honneur de l’amour, qui reflètent le bonheur conjugal éphémère de Strindberg, paraissent coup sur coup, de 1886 à 1888, quatre drames naturalistes.

Le premier, Maraudeurs (1886), qui deviendra par la suite les Camarades (1888), marque essentiellement l’évolution de Strindberg vers le naturalisme psychologique ; l’écrivain forme et développe sa nouvelle conception du théâtre, s’en tenant à l’esthétique et à la force dramatique. Le thème en est naturellement le féminisme ; il s’agit de la lutte entre deux époux, Axel et Bertha ; celle-ci compte faire du mariage une camaraderie et vit de « maraude », de ruse et d’intrigue.

C’est de même un conflit conjugal qui est exposé dans le Père (1887) ; le capitaine et sa femme, Laura, en désaccord au sujet de l’éducation qu’il faut donner à leur fille, deviennent les pires ennemis, et Laura réussit à ébranler, puis à détruire l’équilibre mental de son mari avec beaucoup de perfidie. Mais ce n’est plus une pièce à thèse, comme la précédente, et Strindberg y observe rigoureusement l’unité d’action et d’intérêt.

Il simplifie encore davantage quand il écrit Mademoiselle Julie (1888), drame en un acte, véritable chef-d’œuvre du théâtre européen, qu’il analyse lui-même dans un avant-propos tout en exposant ses intentions dramatiques. Pendant la nuit de la Saint-Jean, la fille du comte, absent, se donne au valet de chambre de son père ; elle est ensuite amenée à se suicider. On trouve à la fois dans ce drame la tension entre l’homme et la femme et la confrontation de deux classes sociales. Strindberg y est influencé par les idées de Nietzsche et de Darwin.

Enfin, Créanciers (1888) est sans doute encore plus près de son idéal d’un drame bref et concentré, et la lutte, presque exclusivement psychologique, illustre l’exploitation du mari actuel, Adolf, par sa femme, Tekla, sous l’œil vindicatif du premier mari, Gustav. Celui-ci, trompé et ridiculisé, a une « créance » de revanche sur Tekla et sur Adolf, l’autre « créancier », qui, lui, n’aura de délivrance que dans la mort.

Strindberg pousse sa nouvelle « formule » à l’extrême dans trois courtes scènes : Paria, la Plus Forte et Simoun (1888-1890). Puis, après une seconde légende dramatique intitulée les Clés du ciel (1892), où la fiction est empreinte de satire et de poésie, il écrit six pièces en un acte d’un naturalisme plus conventionnel (1892-93) : Doit et avoir prouve sa conception cynique de la vie ; Premier Avertissement a pour sujet la jalousie ; Devant la mort porte à la scène l’ingratitude de trois filles envers leur père ; Amour maternel traite du sort réservé à la fille d’une courtisane ; Il ne faut pas jouer avec le feu a pour intrigue des infidélités ; le Lien reproduit l’instance en divorce de l’auteur, soulignant sa désillusion conjugale.

Après les crises d’Inferno, l’écrivain publie le Chemin de Damas, trilogie dont les deux premières parties datent de 1898 et la troisième de 1904. Abandonnant la forme dramatique traditionnelle, Strindberg s’emploie à « jeter un pont entre le naturalisme et le super-naturalisme » : en fait, il use d’un symbolisme éclatant dans toutes ses interprétations, et l’élément naturaliste n’est plus que le fond réel de son passé. Il n’y a, dans la pièce, qu’un seul héros, l’Inconnu, c’est-à-dire Strindberg lui-même, et l’action se joue en lui, dans son esprit halluciné. Temps, espace, rêve et réalité sont étrangement mêlés, alors que l’Inconnu parcourt les étapes d’un voyage qui doit le mener au repos intérieur.

Deux drames réunis sous le titre de Au tribunal suprême (1899) sont aussi pénétrés de mysticisme. L’Avent est à l’image d’un mystère moyenâgeux, inspiré de Swedenborg — le symbole y est celui de l’espérance — tandis que Crime et crime est un drame moderne qui traite des conséquences funestes que peuvent entraîner des souhaits malveillants : ce n’est pas un crime qui soit l’affaire des tribunaux terrestres, et Strindberg introduit dans la pièce le motif de la pénitence, le droit de se punir soi-même.

L’Avent est la première pièce d’un cycle des « fêtes de l’année » qui en comprend trois autres, datant toutes de 1900 : Pâques, qui met en valeur la souffrance et évoque des vertus surnaturelles ; le Mardi gras de Guignol, où des marionnettes jouent d’une manière schématique des aventures de l’auteur ; la Saint-Jean, dans laquelle un étudiant trop arrogant subit mésaventures et humiliations.