Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Stresemann (Gustav) (suite)

Succès qui porte sa dynamique et peut conduire loin. On ne peut négliger la fameuse lettre au Kronprinz du 7 septembre 1925, même si on lui attribue une valeur partiellement tactique (rallier les nationalistes), même si on y voit aussi le désir du petit-bourgeois d’obtenir l’assentiment d’un « grand » : on y lit bien que la solution de la question rhénane n’est pas autre chose que la renonciation à un conflit pour reconquérir l’Alsace-Lorraine, que l’entrée prochaine à la Société des Nations permettrait de revendiquer ou au moins de protéger de 10 à 12 millions d’Allemands « qui vivent actuellement sous le joug étranger », que rien n’est abandonné en ce qui concerne les « buts orientaux » — rectification de frontières, reprise de Dantzig et du couloir polonais —, rien non plus quant au rattachement de l’Autriche, à prévoir « à plus longue échéance ». Cette vision de la reconstitution d’une grande Allemagne se retrouve dans plusieurs discours prononcés devant le Comité central du parti — « nous n’avons pas prononcé une renonciation morale et éternelle à l’Alsace-Lorraine » (22 nov. 1926) —, comme dans des lettres intimes — « Je vois dans Locarno le maintien de la Rhénanie et la possibilité de regagner de la terre allemande à l’Est » (27 nov. 1925). Les investissements américains, qui vont s’intensifier, garantiront par ailleurs une bienveillance active des créanciers, et cette bienveillance se traduira éventuellement dans le domaine politique. Enfin, la sécurité de la France et de la Belgique étant assurée, le gouvernement allemand pourra demander l’évacuation rapide de ses territoires occupés et peut-être retourner l’argument de la sécurité en exigeant le désarmement de ses vainqueurs.

Une ombre : la mise en cause des rapports germano-soviétiques, durant toute l’année 1925, par suite de la méfiance de Moscou, partagée par l’ambassadeur allemand Ulrich von Brockdorff-Ranzau (1869-1928). À la veille même de Locarno, les 1er et 2 octobre 1925, Stresemann a reçu la visite du commissaire aux Affaires étrangères, Gueorgui Vassilievitch Tchitcherine (1872-1936), qui, après une escale à Varsovie, est venu lui reprocher d’entrer dans une conjuration britannique montée contre l’Union soviétique et d’abandonner Rapallo et ses virtualités de coopération générale et régionale. « Bismarckien », Stresemann confirme la solidarité germano-soviétique par un accord économique signé au lendemain même de Locarno, puis par l’accord politique de Berlin (avr. 1926), qui stipule une promesse réciproque de neutralité en cas d’attaque et limite les engagements de l’Allemagne vis-à-vis de la Société des Nations. L’Allemagne, déclare alors Stresemann, est « un pont entre l’Est et l’Ouest ». À l’apogée de Locarno répondra, pour l’équilibrer, l’apogée de Rapallo.

Stresemann excelle à faire valoir l’actif de Locarno : la zone de Cologne est évacuée entre le 14 novembre 1925 et le 31 janvier 1926 ; l’Allemagne est admise à la Société des Nations (sept. 1926). Mieux, une conversation avec Briand à Thoiry (Ain) soulève l’espoir d’une évacuation anticipée de la totalité des territoires rhénans, de la suppression du contrôle militaire interallié, de la restitution de la Sarre. Espoir déçu dans l’immédiat, mais programme réalisé par étapes entre 1927 et 1935. On peut se demander quelle place occupaient respectivement dans l’esprit de Stresemann, après Locarno et Thoiry, l’idée européenne, officiellement commune aux responsables allemands et français, susceptibles de transcender le nationalisme, et la protection, voire le patronage des minorités, susceptible de l’exalter. La réponse est difficile. En juin 1929, lors du conseil de la Société des Nations tenu à Madrid, c’est par la question de l’évacuation de la Sarre que Stresemann répond à l’exposé général de Briand sur une coopération économique et financière de l’Europe occidentale, et, en septembre suivant — à la veille de disparaître —, ayant entendu à Genève la proposition Briand d’une « organisation européenne », il met en garde contre toute atteinte à la souveraineté nationale ; il comprend l’intérêt d’un système économique et commercial liant une partie de l’Europe, mais il ne croit pas à la possibilité d’une construction politique. Dans l’immédiat, il donne la priorité aux problèmes de la Sarre et du désarmement. Parallèlement, il intervient vigoureusement en faveur des minorités, développant l’idée que le statut de minorité ne doit pas acheminer vers l’assimilation d’un groupe, mais doit, au contraire, garantir son développement autonome et même accentuer son originalité.

Plus semblable à Ulysse qu’à Achille, selon la remarque d’Erich Eyck, en dépit de certains éclats, Stresemann a suivi une marche prudente, trouvant plus d’appui à gauche qu’au centre, entraînant sa propre fraction non sans difficulté et violemment attaqué par Alfred Hugenberg (1865-1951) à droite. Attentif à la jeunesse, dont le radicalisme (de droite) l’inquiétait, il aurait voulu la gagner, faire le tour des universités, exploitant si possible son prestige de docteur honoris causa de Heidelberg. Aurait-il réussi ? C’est douteux, car il n’était pas fait pour la popularité, pour le contact avec la foule, agacé par le bavardage et l’indiscrétion journalistiques.

Homme fort d’une république fragile, il sent le sol se dérober sous ses pas : c’est d’abord la ruine de sa santé, évidente en 1928 ; c’est le déclin de son parti, réduit à 25 députés ; c’est enfin le premier signe de la catastrophe économique qui bouleversera l’Allemagne à partir de 1930. Mais Stresemann laisse un héritage inappréciable : la réhabilitation de l’Allemagne et sa restauration en tant que grande puissance européenne.

F. L’H.

➙ Briand (Aristide) / Weimar (république de).

 R. Olden, Stresemann (Berlin, 1929 ; trad. fr., Gallimard, 1932). / F. E. Hirth, Stresemann (Éd. des Portiques, 1930). / J. W. Ewatd, Die deutsche Aussenpolitik und der Europaplan Briands (Marburg, 1961). / M. Walsdorff, Westorientierung und Ostpolitik (Breme, 1971). / M. O. Maxelon, Stresemann und Frankreich. Deutsche Politik der Ost-West-Balance (Düsseldorf, 1972).