Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Staline (Joseph [Iossif] Vissarionovitch Djougatchvili, dit) (suite)

Le dirigeant de l’U. R. S. S.

Le 3 avril 1922, après le XIe Congrès du parti, Staline est élu secrétaire général de celui-ci. C’est un poste relativement nouveau, à l’origine essentiellement administratif. Les circonstances vont lui donner une importance grandissante. En effet, Lénine tombe gravement malade quelque temps après et meurt le 21 janvier 1924. Avant d’être écarté totalement des affaires par la maladie, il a eu le temps de juger avec sévérité l’action de Staline. Dans des notes rédigées en décembre 1922, considérées comme son testament, il a critiqué la conduite de Staline en Géorgie et lui a reproché de ressusciter le chauvinisme russe et d’utiliser les méthodes autoritaires des tsars. « Le camarade Staline devenu secrétaire général a maintenant un énorme pouvoir entre les mains et je ne suis pas sûr qu’il sache toujours user de ce pouvoir avec assez de prudence. » « Staline est trop brutal », ajoute-t-il, et il propose de le remplacer au secrétariat général (mais non de le démettre) par un « homme plus patient, plus loyal, plus poli [...] ».

Néanmoins, Staline reste secrétaire général, et son autorité s’affirmera au fil des ans. C’est qu’il sait aller jusqu’au bout de son raisonnement et que le parti bolchevik, compte tenu des nécessités du moment, serre les rangs derrière lui malgré l’opposition de nombreux dirigeants. La révolution, en effet, a échoué partout ailleurs qu’en Russie, et il semble peu probable qu’elle triomphe de sitôt. La construction du « socialisme dans un seul pays » s’impose dès lors comme un impératif. Au-delà des querelles personnelles entre les « héritiers de Lénine », Staline, Trotski, Kamenev, Boukharine, Zinoviev, il y a des choix fondamentaux à faire. Staline les fera avec le plus de netteté, et c’est pourquoi il triomphera. La N. E. P. (la nouvelle politique économique), inaugurée par Lénine, permet, entre 1921 et 1928, de reconstruire le pays pratiquement sans aide étrangère, les grands pays industriels boycottant l’Union soviétique pendant de longues années.

La construction du socialisme dans un seul pays devient le mot d’ordre du parti bolchevik, d’un parti qui reste faible malgré sa victoire en raison même des conditions dans lesquelles il a triomphé. Staline domine le parti, et le parti domine les soviets et l’État. La Russie tsariste n’avait ni traditions ni structures démocratiques. La guerre civile a obligé les bolcheviks à répondre par la « terreur rouge » à la « terreur blanche ». La police politique (la Tchéka, devenue le Guépéou en 1922) a pris une importance démesurée. Habitué à la clandestinité, puis à la guerre, le parti bolchevik est organisé sur les principes du centralisme démocratique, mais le centralisme l’emporte vite sur la démocratie. La guerre civile a créé un « parti unique », et la Constitution soviétique est fondée sur l’inégalité électorale, puisqu’une voix ouvrière vaut 25 000 voix paysannes.

À la fin de 1927, Trotski, Zinoviev et Kamenev sont exclus du parti bolchevik, et l’autorité de Staline est désormais considérable. Fort des succès de la N. E. P., Staline engage alors l’Union soviétique sur la voie de l’industrialisation accélérée. L’U. R. S. S. est en effet, en 1929, encore un pays rural pour les quatre cinquièmes, et la Révolution, après avoir nationalisé les terres, les a distribuées aux paysans. Afin d’industrialiser vite, il faut utiliser les capitaux d’origine rurale, du fait même de l’absence d’investissements étrangers. La collectivisation des terres est donc à la fois une nécessité économique et une donnée de principe de l’économie socialiste. Le drame pour le parti bolchevik et pour l’Union soviétique résidera dans le fait que tout cela se fera hâtivement et en recourant à des mesures autoritaires. La planification permet de concentrer les forces disponibles sur les secteurs décisifs de l’industrie lourde, mais cela ne peut se réaliser qu’au prix d’une mobilisation de toutes les énergies. En même temps, les méthodes de plus en plus autoritaires de Staline se heurtent à la résistance naissante de nombre de communistes. D’une part, l’économie socialiste fait des progrès sérieux — l’industrialisation est une réalité en 1939 —, l’évolution culturelle est immense et l’analphabétisme est liquidé chez les gens de moins de quarante ans ; seule l’agriculture piétine, en raison des conditions de la collectivisation. D’autre part, Staline, appuyé par la police politique (le Guépéou est devenu le NKVD en 1934), élimine systématiquement tous ceux qui critiquent ou pourraient critiquer sa politique. Après le XVIIe Congrès du parti communiste de l’U. R. S. S., tenu en 1934 et qui a marqué un coup d’arrêt à son autoritarisme, l’assassinat de Sergueï Mironovitch Kirov (1886-1934) en décembre 1934 ouvre une ère de terreur que rien ne justifie. Aux procès de Moscou sont jugés et condamnés de 1936 à 1938 la plupart des dirigeants de la Révolution. Les camps de travail forcé se remplissent de millions de personnes sous le contrôle du NKVD. Le « stalinisme* » s’exprime également dans le culte du chef, dont les portraits et les statues apparaissent partout.

Staline vit jusqu’en 1933 au Kremlin, dont il ne sort guère, sinon pour les cérémonies officielles sur la place Rouge. La plupart de ses compagnons de jeunesse et même ses amis de la Révolution disparaissent tragiquement, dont un grand nombre sur son ordre. Le pouvoir suprême accentue le côté solitaire de sa personnalité.

Très jeune encore, Staline a épousé Ekaterina Svanidze, qui est morte en 1906 ; leur fils deviendra général de l’armée rouge. Après la Révolution, il s’est marié avec une très jeune fille, Nadejda Allilouïeva, qui se suicidera en 1932 dans des circonstances restées mystérieuses, sans doute ulcérée par la politique de son mari. Celui-ci fera fusiller deux de ses beaux-frères, et quatre belles-sœurs seront déportées.

En 1939 commence la Seconde Guerre* mondiale. L’Union soviétique reste neutre jusqu’en juin 1941 en vertu du pacte de non-agression avec l’Allemagne hitlérienne. Les Occidentaux (France et Grande-Bretagne) ont refusé de signer un accord militaire et économique face à l’Allemagne hitlérienne. À Munich, Français et Britanniques ont traité avec Hitler sans consulter l’U. R. S. S., cependant que les États-Unis restent neutres jusqu’en décembre 1941. Si, du point de vue soviétique, le pacte germano-soviétique se justifie — il faut gagner du temps —, on comprend mal, en revanche, que Staline et l’Union soviétique soient surpris par l’agression hitlérienne du 22 juin 1941, car le gouvernement soviétique a reçu des informations précises à ce sujet. Avec les difficultés de 1932-33, dues aux conditions de la collectivisation des terres, les défaites qui suivent l’invasion allemande seront le plus grand échec de Staline. Pendant plus d’une semaine, Staline disparaît même de la scène politique. Le 3 juillet 1941, il s’adresse cependant aux Soviétiques pour les appeler à la lutte contre les envahisseurs. Président du Conseil des commissaires du peuple depuis le 6 mai 1941 (il remplace Molotov), il devient président du Comité d’État pour la défense, puis commandant en chef de l’armée rouge, concentrant ainsi dans ses mains tous les pouvoirs civils et militaires. En octobre 1941, malgré la menace allemande, il décide de rester à Moscou. Le 6 novembre, il prononce un discours à la station de métro Maïakovski et, le 7 novembre — les Allemands sont à moins de 100 km de la capitale —, il passe en revue les troupes sur la place Rouge à l’occasion du XXIVe anniversaire de la révolution d’Octobre.