Soto (Jésus Raphaël) (suite)
Toutes ces recherches demeuraient dans le plan unique et la durée figée du panneau peint, mais, dès 1953, Soto en vient à des compositions dans l’espace et fait intervenir le temps et le mouvement. La Rotative Demi-Sphère, de Duchamp* eut certainement un rôle dans cette orientation vers des effets cinétiques*, mais Soto refuse l’intervention de moteurs pour animer ses pièces ; l’effet dynamique de la spirale mouvante de Duchamp, il l’obtient plus simplement par des effets de superposition : une première configuration peinte sur Plexiglas interfère, grâce à la transparence de son support, avec une seconde placée à quelques centimètres en arrière. C’est le mouvement du spectateur, de son œil, qui fait « fonctionner » l’œuvre par les interférences de lignes qui en résultent. Ces agencements sont élaborés systématiquement à partir de 1955, aboutissant parfois à des résultats d’une grande complexité (Œuvre cinétique à six plans de 1956) ou d’une échelle monumentale (Cube à espace ambigu de 1969).
D’autres dispositifs sont utilisés simultanément par l’artiste. Sur un panneau tramé horizontalement ou verticalement se détachent des éléments placés en avant : il s’agit de carrés fixes ou de baguettes suspendues en équilibre instable par des fils de Nylon invisibles. Le moindre déplacement de l’œil crée sur les franges de ces formes une vibration optique qui les dissout partiellement, voire totalement — comme dans les Écritures de 1963, où des fils de fer de formes irrégulières ne sont plus décelés que par les effets de moirure et autres perturbations que leur présence apporte à la stricte ordonnance des rayures du fond. Ces œuvres ne sont plus « figées », car elles ne peuvent être saisies que dans le temps d’un déplacement et par la vision active du spectateur.
Mais toutes ces recherches étaient encore liées à une présentation frontale des panneaux. Le dialogue entre l’œuvre et le spectateur allait être poussé plus loin, jusqu’à l’investissement total de l’espace. Soto a créé en effet un type d’environnement original, le « pénétrable », dont le principe d’agencement est très simple : à des distances régulières pendent du plafond des tiges de métal rigides ou des fils souples de Nylon. Le spectateur pénètre dans l’œuvre, accompagné du froissement soyeux des fils ou du fracas du métal ; tourné vers le centre, il est confronté à un espace bouché par les stries serrées des verticales ou irradié par la blancheur du Nylon et la coloration des tiges ; tourné vers les lisières, il perçoit des éléments dont l’espacement redevient sensible et qui interfèrent entre eux à la moindre impulsion.
Les tiges métalliques sont aussi employées par Soto fixées rigidement au sol pour créer des œuvres monumentales que le spectateur longe ou contourne sans y pénétrer : Progression jaune de 1968, Extension verte de 1969. Leur adaptabilité à un espace architectural est infini : les longueurs et les écartements des tiges permettent toutes les variations en fonction du volume donné (œuvres conçues pour l’université de Rennes, pour l’Unesco à Paris [v. art]).
M. E.
➙ Cinétique (art).
A. Boulton, Soto (Caracas, 1973).
CATALOGUE D’EXPOSITION. Soto, musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 1969.