Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

social-démocratie (suite)

Brandt s’engage dans une politique d’ouverture vers les pays socialistes qui culmine avec le traité fondamental de novembre 1972. Mais le programme économique et social se heurte à une certaine opposition des libéraux et aiguise l’opposition des jeunes socialistes (Jungsozialisten, ou Juso), qui ont redécouvert une voie plus révolutionnaire d’inspiration marxisto-proudhonienne teintée de maoïsme. Cependant la masse de l’électorat socialiste reste fidèle aux traditions réformistes de la SPD. En mai 1974, le social-démocrate Helmut Schmidt succède à W. Brandt comme chancelier.

Ferdinand Lassalle

Socialiste allemand (Breslau, auj. Wrocław, 1825 - Genève 1864).

Les années de jeunesse

Ferdinand Lassalle est le fils d’un commerçant en gros. Contre le souhait de son père, qui veut qu’il lui succède, il quitte l’école commerciale de Leipzig pour suivre les cours de diverses universités, notamment celles de Breslau et de Berlin. Il se passionne alors pour le grec et pour les auteurs grecs (plus tard, il publiera une étude sur Héraclite). En 1845, il vient à Paris, il y rencontre Marx et Heine, qui nourrit pour lui une grande admiration. En 1848, Lassalle se jette dans la révolution et, hostile au pouvoir, il va jusqu’à préconiser à Düsseldorf la résistance armée à la volonté royale, ce qui lui vaut un séjour en prison. Il continue ses études de droit et de philosophie et écrit une « tragédie historique », Franz von Sickingen (1859).

Le système des droits acquis

En 1861 paraît son œuvre maîtresse : Das System der erworbenen Rechte (le Système des droits acquis), dont Charles Andler (1866-1933) dira qu’il est, avec le livre de Proudhon* De la justice dans la Révolution et dans l’Église (1858), le seul à essayer de définir ce que peut être la pensée juridique du socialisme.

Lassalle observe que, depuis le début du xixe s., deux écoles s’opposent au point de vue du droit ; l’école historique, avec Friedrich Karl von Savigny (1779-1861), professe le respect de tout ce qui est historiquement établi : le droit est toujours issu du fait ; l’école rationaliste avec Kant et les hégéliens de gauche, pour qui il n’y a jamais de droits acquis : ce qui importe, c’est ce qui vit dans la conscience humaine.

Entre ces deux écoles, Lassalle tente une conciliation ; il veut saisir l’idée concrète qui vit dans les institutions et reconstituer l’esprit dont chacune est issue ; il étudie ce qui vient des Romains et des anciens Germains. Un droit ne se crée que par une action individuelle, mais celle-ci doit être conforme au vouloir traditionnel ou légal de la collectivité. La révolution sociale modifiera le système des droits acquis.

Par la suite, on adressera à Lassalle des critiques : il ignore la gens ; sa sociologie est embryonnaire. Les marxistes lui reprochent, en outre, de croire à l’existence d’une âme populaire susceptible de transformer le droit. De fait, Lassalle, avec Marx, estime que la réalité économique est assez puissante pour faire fléchir le système des croyances religieuses. Mais il admet que le droit peut parfois retarder sur le fait économique et parfois le précéder. Il ne croit donc pas à un déterminisme absolu par l’infrastructure économique.

L’état, la bourgeoisie, le prolétariat

L’aube se lève d’un régime nouveau qui sera la solidarité dans la liberté. Mais cette liberté ne peut être réalisée que par l’État. Or, la bourgeoisie déteste l’État, qui incarne une solidarité qu’elle a brisée. La bourgeoisie veut un État qui protégerait la propriété. Ainsi, peu à peu, se forme en Lassalle la conception d’un socialisme qui, appuyé sur le suffrage universel, travaillerait à l’émancipation sociale, au besoin par les moyens dictatoriaux.

Dans sa pensée, il subsiste et il subsistera toujours quelque ambiguïté à l’égard de la monarchie prussienne. Lassalle l’a combattue en 1848. Il semble lui demeurer foncièrement hostile jusque vers 1861. Dans son étude Über Verfassungswesen, en 1862, il affirme que les constitutions écrites n’ont de valeur que « si elles sont l’expression exacte des rapports effectifs de force tels qu’ils sont dans la société ». Au lieu de se battre pour changer la constitution, mieux vaut essayer de changer les rapports de force. C’est ce qu’il essaie de faire en traçant devant une société ouvrière de la région berlinoise à Oranienburg, le 12 avril 1862, le programme de ce que pourrait être un parti ouvrier.

Le discours, publié en brochure sous le nom de Programme des ouvriers (Arbeiterprogramm), entraîne des poursuites et une condamnation à quatre mois de prison.

Mais Lassalle combat la bourgeoisie avec plus de véhémence que la monarchie : « La bourgeoisie constitue l’ennemi irréductible du socialisme. C’est contre elle qu’il faut se battre en toute occasion... »

L’État ne sera pas seulement transformé par l’usage que le parti ouvrier fera du suffrage universel ; il le sera également par la réalisation de l’unité allemande à laquelle Lassalle croit. Sans postuler une révolution préalable, Lassable en vient à assigner à l’État un rôle éducateur et libérateur.

Face aux coopératives de production

En Allemagne s’est développé un mouvement qui fait confiance aux coopératives de crédit et qui est animé par Hermann Schulze-Delitzch (1808-1883). Lassalle ne croit pas en leur avenir. Il croirait davantage dans les coopératives de production, mais il faudrait qu’elles pussent s’étendre à la grande production. Faire de la classe ouvrière son propre patron, c’est le seul moyen de jeter bas cette « loi d’airain » des salaires qu’il dénonce comme inique. Mais pour briser la « loi d’airain », les coopératives ont besoin de l’appui financier de l’État. Selbsthilfe, mais aussi Staatshilfe : s’aider soi-même, mais aussi accepter l’aide de l’État.

Le 23 mai 1863, Lassalle fonde l’Association générale des ouvriers allemands (Allgemeiner deutscher Arbeiterverein), dont il est président. Orateur infatigable, il sait allier la véhémence et l’ironie ; mais il n’évite pas toujours une grandiloquence apocalyptique.

Son action de propagande touche surtout la Rhénanie, où il recrute à Francfort, à Mayence, à Barmen-Elberfeld, à Solingen, à Düsseldorf. L’Allemagne du Nord, au contraire, semble réfractaire à ses idées et à sa propagande.

Mais, alors que Lassalle paraît devoir jouer un rôle politique de plus en plus grand, un drame passionnel met fin à sa carrière ; il meurt à la suite d’un duel, le 31 août 1864.

G. L.

F. G. D.