Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

social-démocratie (suite)

➙ Allemagne (République fédérale d’) / Bebel (August) / Bernstein (Eduard) / Brandt (Willy) / Communisme / Internationales (les) / Liebknecht (Karl) / Luxemburg (Rosa) / Marxisme / Weimar (république de).

 F. Mehring, Geschichte der deutschen Sozialdemokratie (Stuttgart, 1897-98, 2 vol. ; nouv. éd. 1922, 4 vol.). / P. Angel, Eduard Bernstein et les débuts du socialisme allemand (Didier, 1961). / F. G. Dreyfus (sous la dir. de), le Syndicalisme allemand contemporain (Dalloz, 1968). / F. Erber, Politik für Deutschland (Stuttgart, 1968). / Cent Ans de socialisme allemand, numéro spécial de la Revue d’Allemagne (A. Colin, 1969). / G. Sandoz, la Gauche allemande (Julliard, 1970).

socialisme

L’un des grands courants idéologiques contemporains.


Introduction

Il semble que, si le terme a été employé pour la première fois en anglais en 1822 par un correspondant de Robert Owen, Edward Cowper, l’usage du mot mit une dizaine d’années à se généraliser. On le trouve employé en 1833 dans la Réforme industrielle de Charles Fourier et chez Pierre Leroux ; mais ce dernier entend surtout opposer le socialisme catholique à l’individualisme protestant. C’est un sens que ne retiendra pas l’avenir. D’août 1836 à avril 1838, Louis Reybaud publie dans la Revue des Deux Mondes une série d’études consacrées aux « socialistes modernes » où il analyse la pensée de Saint-Simon, de Fourier, d’Owen et de leurs disciples respectifs.

Que faut-il entendre par socialisme ? On ne saurait se contenter d’une définition déclarant « socialiste » toute doctrine tendant à réorganiser la société pour la rendre plus conforme à un idéal de justice, comme le proposait le philosophe Edmond Goblot. Mieux vaut se rallier à la définition du sociologue Émile Durkheim, pour qui « est socialiste toute doctrine qui réclame le rattachement de toutes les fonctions économiques ou de certaines d’entre elles, qui sont actuellement diffuses, aux centres directeurs et conscients de la société ». Conception voisine de celle de l’historien Élie Halévy : le socialisme, à ses yeux, se caractérise par le fait qu’il croit « possible de remplacer la libre initiative des individus par l’action concertée de la collectivité dans la production et dans la répartition des richesses ». Plus précise est la conception de Jean Jaurès ; selon lui : « Il n’y a de socialisme que là où il y a volonté délibérée, méthodique de transférer à la collectivité la propriété du capital de production. »

De ces définitions, qui ne convergent qu’en partie sans doute, il faut retenir d’abord que la conception du socialisme a notablement varié selon les époques : de la lente prise de conscience d’avant 1848 aux notions plus rigides du marxisme, auquel Jaurès ne se rallie ni sans réticence ni sans réserve, et, à partir de 1917, aux conceptions en grande partis opposées que représentent le léninisme et l’action des partis englobés sous le nom de sociaux-démocrates.

Aujourd’hui, le problème de la propriété, pour certains socialistes, le cède en importance devant le problème de la gestion. Par ailleurs, la pensée socialiste paraît presque toujours aimantée par deux pôles antithétiques : l’ordre et la liberté. Dans la mesure où la priorité est donnée à l’ordre, le socialisme a souvent une tendance à prendre un caractère étatique ou technocratique. Dans la mesure où la liberté est considérée comme la valeur suprême, on refuse au contraire à l’État le monopole de la représentation de la collectivité ; de ce côté, les idées socialistes tendent la main au courant libertaire (que d’autres socialistes combattent au contraire comme confus et dangereux) et débouchent vers l’autogestion.


Le socialisme français


Les socialistes français avant le Manifeste du parti communiste de 1848

À part Babeuf, pour qui il professait le plus grand respect, Marx* a englobé ces théoriciens sous le nom commun de socialistes utopiques, qui s’applique aussi au socialiste anglais Robert Owen*. Pour un historien de la pensée socialiste comme le fut Célestin Bouglé (1870-1940), jamais la pensée socialiste française ne fut au contraire aussi vivante qu’à l’aube de la grande industrie, où, avec une sorte d’ivresse, elle posait tous les problèmes de civilisation sans se limiter à un point de vue dogmatique comme le feront plus tard certains disciples de Marx. La publication relativement récente des écrits du jeune Marx ne prouve-t-elle pas que lui-même ne se refusait pas alors à cette ouverture ?

Après Gracchus Babeuf* (1760-1797), qui fut plus un homme d’action qu’un théoricien, deux noms dominent cette période : celui de Claude Henri de Saint-Simon* (1760-1825), qui s’oriente vers un socialisme que nous dirions aujourd’hui technocratique et dont les disciples renforcent notablement la tendance socialiste, et Charles Fourier* (1772-1837), qui, lui, rêve de dissoudre l’État dans la collectivité de communautés à l’échelle humaine.

Sous la monarchie de Juillet*, tandis qu’Étienne Cabet (1788-1856) pousse sa pensée jusqu’au communisme, Philippe Buchez (1796-1865), plus modeste, croit avoir trouvé dans l’association ouvrière de production la formule libératrice. Auguste Blanqui* (1805-1881) ne pense pas que la transformation sociale soit possible sans une période de dictature, et l’échec de la révolution* de février 1848 le confirme dans cette idée ; il paiera de longues années de prison sous tous les régimes qui se succèdent en France au xixe s. l’obstination qu’il apporte à essayer de conquérir le pouvoir.

Plus modéré, mais à peine plus heureux dans la réalisation de ses desseins, Louis Blanc* (1811-1882) conçoit une économie mixte dans laquelle un secteur étatisé coexistera avec un secteur privé où les ateliers sociaux — plus ou moins inspirés des associations de P. Buchez — accepteront la loi de la concurrence, dont il espère qu’ils ne seront pas victimes. Dans l’histoire du socialisme français, Louis Blanc occupe une place à part : membre du gouvernement provisoire de 1848, il a été le premier socialiste à assumer des responsabilités gouvernementales. La tâche dépassait-elle ses forces ? La mission reposait-elle sur une utopie ? On en peut discuter ; mais on ne peut dissimuler la gravité de cet échec. Il faudra attendre un demi-siècle pour qu’un autre socialiste, Alexandre Millerand, participe en 1899 à un gouvernement ; il sera aussi fort contesté, et bientôt rompra avec le socialisme.