Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Shimazaki Tōson

Poète et romancier japonais (Magome, préfecture de Nagano, 1872 - Tōkyō 1943).


Les ancêtres de Shimazaki Haruki (Tōson est un prénom-pseudonyme) s’étaient établis à Magome, dans la vallée de Kiso, en 1513, où ils furent maîtres de poste héréditaires depuis le début du xviie s. Son père, Masaki, était le dix-septième à exercer ces fonctions quand il dut les abandonner au moment de l’abolition du régime féodal. Il avait appartenu à l’école Hirata, dont l’idéologie monarchiste et nationaliste contribua au renversement des Tokugawa.

La première formation de l’enfant avait été assurée par ce père qui lui avait fait lire les classiques confucéens. En 1881, on l’envoie à Tōkyō, où il étudiera l’anglais et, sous l’influence d’un de ses maîtres, se convertira au christianisme. S’il s’intéresse à la philosophie et à la littérature occidentales, il n’en lit pas moins les grands auteurs japonais, notamment les poètes Saigyō et Bashō. Ses études achevées, il enseigne dans des écoles secondaires. Il participe aux activités du « Monde littéraire » (Bungaku-kai), animé par le jeune poète Kitamura Tōkoku (1868-1894), dont l’influence apparaîtra, après le suicide de ce dernier, dans le recueil des poèmes de Tōson, intitulé Wakana-shū (Jeunes Herbes, 1897).

En 1899, il quitte Tōkyō pour une petite ville des montagnes du centre, Komoro, où il enseignera pendant six ans. C’est là qu’il écrira ses premières œuvres en prose, des nouvelles où déjà apparaît l’influence du naturalisme français qu’il vient de découvrir, l’influence de Flaubert aussi, dans ses observations des mœurs provinciales.

C’est dans la région de Komoro qu’il situe également son premier long roman, roman à thèse dans le plus pur style naturaliste, dont il est le premier exemple au Japon : Hakai (la Rupture de l’interdit), publié en 1906, peu après son retour dans la capitale. Malgré toutes les influences étrangères, de Dostoïevski notamment, que l’on a pu y déceler, cette œuvre n’en est pas moins profondément japonaise comme tout ce qu’écrivait Tōson. Ce dernier se voit d’emblée porté au tout premier rang des lettres contemporaines par Natsume Sōseki, dont l’opinion fait alors autorité et qui déclare Hakai « le plus grand roman de Meiji ».

Désormais Tōson se consacrera entièrement à la littérature, avec une suite ininterrompue de nouvelles et de romans dont lui-même et sa famille seront les modèles. Haru (le Printemps, 1908) retrace les années d’apprentissage et son amitié avec Kitamura ; Ie (la Maison, 1910-11), son chef-d’œuvre et le meilleur probablement de tous les romans du naturalisme japonais, décrit minutieusement dix années de l’histoire de sa famille, l’effondrement des structures anciennes, la dislocation de la « grande maison » de type patriarcal et la lente reconstruction de cellules familiales élémentaires fondées sur le couple.

Des relations jugées scandaleuses avec une de ses nièces peu après la mort de sa femme l’obligent à s’exiler sous la pression du clan familial. Il vivra donc en France de 1913 à 1916, à Paris, puis à Limoges pendant les premiers mois de la guerre, séjour qui lui inspire une chronique sur « Paris en paix » et « Paris en guerre » (1915) ainsi qu’un journal de voyages. À peine revenu, il renoue avec sa nièce et met un comble au scandale en livrant au public, dans un feuilleton de l’Asahi, le récit complet, à peine romancé, de l’affaire : Shinsei (Vie nouvelle, 1918-19), sorte de confession et d’auto-analyse, dans la manière naturaliste toujours.

Il continue à puiser son inspiration dans sa famille avec diverses nouvelles, notamment Aru onna no shōgai (Vie d’une femme, 1921), dont le modèle est une sœur aînée qui vient de mourir, cependant qu’il assemble la documentation pour ce qui sera son œuvre maîtresse, Yoake-mae (Avant l’aube), long roman historique publié par la revue Chūō-kōron de 1929 à 1935. C’est toute l’histoire de la « Rénovation de Meiji », vue d’un village de province. Le roman se présente comme la biographie du maître de poste d’un bourg-étape de montagne, dans lequel on reconnaît sans peine le père de l’auteur. Ce dernier a d’ailleurs fort habilement utilisé les pièces officielles et les archives familiales avec une rigueur que le plus exigeant des historiens ne saurait récuser. Le récit est mené sur deux plans : biographie de Aoyama Hanzō, le héros, et description de la vie à Magome, d’une part ; exposé parfois très détaillé et parfaitement documenté sur les événements politiques et militaires, de l’autre ; la liaison entre les deux plans est constituée par les informations qu’apportent à Hanzō les voyageurs de tous rangs et de tous métiers ; Hanzō lui-même occupe une position ambiguë : homme du peuple certes, mais lié à l’ancien régime par ses fonctions, au nouveau par ses relations avec les idéologues de l’école Hirata, il perdra sur tous les tableaux ; en avance sur son entourage, mais bientôt dépassé par l’évolution imprévue du nouveau régime, qui l’irrite et le déçoit, il finira par sombrer dans la folie. Roman, histoire, épopée, chant élégiaque, l’on ne sait trop comment qualifier cette œuvre multiple et unique, synthèse admirable de la vie, de la pensée et de l’art du plus grand écrivain japonais de ce siècle.

R. S.

shintō

Religion fondamentale des Japonais.


Le shintō (ou « voie des kami ») n’était à son origine (probablement vers le début de notre ère) qu’un ensemble assez vague de croyances plus ou moins animistes n’ayant pour point commun que le désir humain de se concilier les inexplicables forces naturelles, lesquelles étaient considérées comme des entités « au-dessus » de l’homme, d’où le nom générique de kami qui leur fut donné.

Lors des premiers essais de constitution de la nation japonaise par une aristocratie guerrière venue (vers le milieu du iiie s. de notre ère) de Corée, cet ensemble de croyances semble s’organiser avec l’arrivée de chamans accompagnant les clans sibériens. Il est d’ailleurs possible de penser que certains chamans sibériens avaient déjà fait leur apparition au Japon, les relations entre les îles japonaises et le continent existant depuis une haute antiquité. Les clans japonais, organisés par les « cavaliers-archers » coréens qui groupaient en « nations » les cultivateurs yayoi et les autochtones qui s’étaient soumis, eurent alors à cœur de collecter les croyances populaires afin de constituer une sorte de « mythologie d’État » justifiant aux yeux du peuple leur droit légitime au gouvernement. Il semble que cela ne se fit pas sans difficulté, les clans étant souvent opposés entre eux. Les souverains (fort probablement des femmes au début) étaient en même temps des chamans. Chaque roitelet (miyatsuko) qui régnait sur un ou plusieurs villages d’agriculteurs faisait office de prêtre et de devin : il avait pour mission principale de se concilier les éléments afin que ceux-ci soient propices aux récoltes, de veiller à l’ordonnancement des saisons et des fêtes marquant celles-ci, d’apaiser enfin, par des offrandes des produits de la terre et de l’artisanat (tissus), des chants et des représentations théâtrales, le courroux des kami, celui-ci étant principalement provoqué par la « pollution » humaine : d’où une grande importance attachée aux diverses cérémonies, individuelles ou collectives, de purification.