Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

shintō (suite)

Lorsque, vers le milieu du vie s., un pouvoir central fut organisé au Yamato, les premiers « empereurs » eurent soin de mettre les kami de leur côté et entretinrent à leur cour des prêtres-chamans à leur dévotion, choisis parmi les membres d’une seule famille ou « corporation » (be) connue pour sa fidélité. Après 663, date à laquelle le royaume japonais du Mimana en Corée du Sud cessa d’exister, de très nombreux Coréens traversèrent le détroit pour s’installer au Japon, principalement dans la région d’Izumo, et y apportèrent d’autres mythes et croyances. Cependant, un fait nouveau s’était produit entre-temps qui allait obliger toutes ces croyances à s’organiser : le bouddhisme* (venu lui aussi de Corée) s’était installé, à partir de 538, à la cour du Japon, y faisant de nombreux adeptes parmi les nobles. Les temples se construisaient de plus en plus nombreux, et les moines (en général lettrés) devenaient de dangereux concurrents pour les prêtres des kami et peut-être même pour le pouvoir du souverain du Yamato. C’est à ce moment que l’ensemble des croyances concernant les kami prit le nom de shintō, afin de différencier par là même cette religion du bouddhisme, alors appelé butsudō (ou « voie du Bouddha »).

Les sanctuaires shintō, dont l’architecture marquait des origines bien différentes de celle du bouddhisme, importée de Corée, définirent alors leur style (piliers profondément enfoncés dans le sol, toit à double pente, salle réservée au ou aux kami, etc.). Le pouvoir, afin de proclamer ses droits légitimes, se préoccupa dès lors de codifier les croyances du shintō en une mythologie cohérente tendant à prouver l’origine divine des souverains. En 712, l’impératrice Gemmyō ordonna la rédaction des mythes officiels. Ce fut le Kojiki (Notes sur les faits du passé), en même temps la première œuvre écrite japonaise. Ce récit mythologique fut en 720 complété par une nouvelle rédaction, le Nihon-shoki (Chronique du Japon), qui codifiait en quelque sorte le shintō sans pour autant en faire un dogme ni prévoir de rituel autre que celui, très simple, qui s’était élaboré dans le peuple et avec les chamans au cours des temps. La base de ces croyances était un mythe tendant à expliquer d’une part la création des îles du Japon, et de l’autre la fondation divine de la royauté.

Selon ce mythe, la Terre était à l’origine comme une goutte d’eau perdue dans l’espace, toutes choses existant alors en puissance, symbolisées par des « kami célestes ». Un jour, ces kami décidèrent de solidifier la Terre, qui se trouvait au-dessous d’eux. Pour cela, ils déléguèrent un couple d’entre eux (mari et femme ou plutôt frère et sœur), qui, « du haut du pont du ciel », plongèrent une lance dans l’eau, agitant celle-ci. De l’écume produite et dégouttant de la lance, des îles furent créées. Izanagi (l’homme) et Izanami (la femme) descendirent alors sur la première île ainsi produite, y dressèrent un « pilier du ciel » et un pavillon et, après s’être poursuivis autour de ce pilier, s’unirent « afin de combler leurs différences ». Ils enfantèrent ainsi les autres îles du Japon, les arbres, les rochers, les provinces, d’autres kami qui à leur tour procréèrent les animaux, les plantes, les eaux, la brume et toutes les choses de la nature. Mais en mettant au monde le kami du Feu, Izanami eut ses organes féminins brûlés et en mourut. Izanagi poursuivit alors son épouse défunte au pays des morts en la suppliant de revenir. Mais ayant désobéi à celle-ci, qui lui demandait de ne pas la regarder, il ne put la ramener parmi les vivants.

Izanagi, souillé par la vue de la mort, alla se laver et de toutes ses souillures naquirent d’autres kami, parmi lesquels Amaterasu-ō-mikami (le kami féminin du Soleil), le kami de la Lune et un kami « mâle fougueux », Susanoo. Izanagi chargea alors Amaterasu de gouverner les « hautes plaines du ciel », la Lune l’empire de la nuit, et Susanoo le royaume de la mer. Mais Susanoo s’acquitta mal de son gouvernement, et Izanagi l’exila. Cependant, avant de partir, il voulut aller dans les cieux rendre visite à sa sœur Amaterasu. Mais il se conduisit en vandale, détruisant sur son passage les diguettes des champs et répandant des immondices. Amaterasu lui reprochant ces faits, Susanoo entra dans une grande colère et, pénétrant dans le pavillon où Amaterasu était en train de tisser en compagnie de ses sœurs, jeta sur elles le cadavre écorché d’un cheval. Horrifiée, Amaterasu courut alors se réfugier dans une grotte, fermant celle-ci avec une lourde pierre, plongeant ainsi le monde dans l’obscurité.

Les huit millions de kami étaient consternés. Ils s’assemblèrent et tentèrent d’attirer Amaterasu hors de sa grotte. N’y parvenant pas, ils la tentèrent par des bijoux, des étoffes, des chants et des danses et enfin, grâce à un subterfuge, réussirent à lui faire entrebâiller sa grotte, qu’ils refermèrent aussitôt derrière elle. La lumière revenue, Susanoo fut châtié et chassé. Mais Susanoo, exilé sur la Terre, continua ses méfaits : ayant tué le kami de la nourriture, il provoqua la naissance des cinq céréales, puis, après bien des aventures, il tua un énorme dragon et délivra une jeune fille, qu’il épousa. Il en eut des dizaines de kami, qui peuplèrent la nature, et Susanoo régna sur la région d’Izumo...

D’autres légendes sont également rapportées concernant divers kami, mais la plus importante est celle qui conte la conquête des îles du Japon par un descendant direct d’Amaterasu, l’empereur Jimmu, traditionnellement en 660 avant notre ère. Cet « empereur », venu probablement de Kyūshū, arriva par mer dans la partie centrale du Japon nommée Yamato et s’y installa, épousant des princesses locales. De lui devaient descendre tous les empereurs du Japon...

Bouddhisme et shintō, d’abord ennemis, se réconcilièrent bien vite dans un pays où la tolérance religieuse fut toujours de règle. Ce qui les avait opposés sur le plan politique ne pouvait leur nuire sur le plan religieux. Le shintō — étant un ensemble de croyances assez vagues concernant les kami, lesquels étaient vénérés (et non adorés) au moyen de pratiques cultuelles simples — ne possédait aucune métaphysique. Toute sa philosophie consistait à agir de manière à ne point offenser par son comportement les forces surnaturelles (lesquelles étaient sensibles à toutes les formes de pollution, matérielle et spirituelle, et surtout à l’idée même de la mort) et à se les concilier, de manière à ce que chacun se trouvât en parfaite harmonie avec la nature (macrocosmique et microcosmique).