Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Seurat (Georges)

Peintre français (Paris 1859 - id. 1891).


De sa brève période de production intensive est née une œuvre dont les contemporains ne retinrent que les aspects les plus superficiels, mais dont les échos se sont répercutés longuement sur les générations suivantes. « Inextricable conjonction d’une problématique intellectuelle et d’une insolente séduction », dit de lui André Chastel, qui lui assigne une place similaire à celles qu’occupèrent Mallarmé pour la poésie et Schönberg pour la musique. Moins évidente, de prime abord, que celle de Cézanne*, l’influence de Seurat fut, cependant, déterminante pour certains développements du cubisme, de l’orphisme, du futurisme, de la non-figuration.

Seurat était fils d’un huissier ; dès l’âge de sept ans, il dessine ; à seize ans, il fréquente une école d’art municipale où il fait la connaissance d’Edmond Aman-Jean (1860-1936), qui demeurera un de ses amis les plus intimes. En 1876, il suit des cours à l’École nationale des beaux-arts, où il est admis en 1878 dans la section de peinture ; il a comme professeur un élève d’Ingres*, Henri Lehmann (1814-1882). Il visite fréquemment le musée du Louvre et lit l’ouvrage du chimiste Eugène Chevreul De la loi du contraste simultané des couleurs (1839). En 1879, il loue un atelier avec ses amis Aman-Jean et Ernest Laurent (1860-1929). Ils prennent tous la décision de quitter l’École après avoir vu la quatrième exposition des impressionnistes (v. impressionnisme). Seurat doit, d’ailleurs, partir, pour faire son service militaire, un an à Brest, où il dessine beaucoup. Rentré à Paris en 1880, il poursuit ses lectures des physiciens spécialisés dans l’optique (Maxwell*, Helmholtz*, O. N. Rood, etc.), étudie les œuvres de Delacroix* et fréquente l’atelier de Puvis* de Chavannes. Il travaille à sa première grande composition, la Baignade (Tate Gallery, Londres), qui sera refusée au Salon de 1884 et dont l’élaboration minutieuse nous est attestée par des dizaines d’esquisses peintes et de dessins. Le tableau est exposé la même année au premier Salon des artistes indépendants, où Seurat se trouve en compagnie des peintres qui formeront le groupe néo-impressionniste (v. néo-impressionnisme) : Charles Angrand, Albert Dubois-Pillet, Henri Cross et surtout Paul Signac ; avec ce dernier, son cadet de quatre ans, Seurat aura désormais de fructueux échanges, et leurs voies de recherche resteront parallèles. Grâce à Camille Pissarro, tous deux exposent à la huitième et dernière exposition des impressionnistes (1886) ; ils vont rendre visite à Chevreul et subissent l’influence de Charles Henry, auteur d’une Introduction à une esthétique scientifique (1885).

La vie de Seurat comprendra désormais peu d’événements biographiques. Le peintre mènera une existence de plus en plus retirée, avec un modèle, Madeleine Kolblock, et le fils qui leur naît en 1890. L’été, il fait des séjours au bord de la mer, à Grand-camp, à Honfleur, à Port-en-Bessin, au Crotoy, à Gravelines, où il se « lave l’œil » des grisailles parisiennes et travaille sans arrêt. Son art a atteint un niveau de maîtrise, d’équilibre, de contrôle impressionnant avec une série de chefs-d’œuvre : Un dimanche d’été à la Grande Jatte (Art Institute, Chicago), exposé à la huitième exposition impressionniste, au deuxième Salon des indépendants (1886) et au Salon des vingt à Bruxelles (1887) ; les Poseuses (fondation Barnes, Merion [Pennsylvanie]) et la Parade (Metropolitan Museum, New York), exposés au quatrième Salon des indépendants (1888). Seurat montre des paysages de Port-en-Bessin et du Crotoy au Salon des indépendants de 1889, la Femme se poudrant (Institut Courtauld, Londres) et le Chahut (Rijksmuseum Kröller-Müller, Otterlo) à celui de 1890. Il meurt brusquement, ainsi que son enfant, d’une diphtérie, semble-t-il, le 29 mars 1891, tandis que le Cirque (Louvre, salles du Jeu de paume) est exposé aux Indépendants.

Dans ses œuvres les plus anciennes, Seurat est proche des thèmes des peintres de Barbizon*, surtout de Millet*, et il partage avec les impressionnistes leur refus de la peinture d’histoire, leur intérêt seulement marginal pour le portrait et leur utilisation d’une palette claire, dont le noir des bitumes est banni. Il pratique alors beaucoup le dessin et, lorsqu’il peint, il ne s’agit que de petits formats, très improvisés, qu’il appelle des « croque-tons ». La touche y est divisée, mais d’une manière empirique, en applications superposées et divergentes, touche très savoureuse et qui reflète l’admiration de l’artiste pour Rubens, Vélasquez, Delacroix.

Seurat est cependant l’opposé d’un Renoir*, de sa séduction sensuelle, de sa spontanéité. Son esprit précis, dogmatique, attiré par les recherches scientifiques, va l’amener à une systématisation de tous ses moyens d’expression, aussi bien méthodes de composition que technique picturale. Seurat divise la touche en s’appuyant sur la théorie des « contrastes simultanés » ; pour faire un emploi raisonné des complémentaires, il établit un cercle chromatique (dérivé de celui de Rood) où vingt-deux couleurs sont mises en opposition. Il supprime la trituration des couleurs sur la palette, qui leur fait perdre de la luminosité : le mélange se fait optiquement, dans l’œil du spectateur, qui synthétise une multitude de taches juxtaposées sur la toile. La touche tend ainsi vers le point ; d’où l’appellation de pointillisme donnée par certains critiques (quand ils ne parlent pas de lentilles ou de confettis...) à l’esthétique du groupe formé autour de Seurat et de Signac, que le critique Félix Fénéon baptisera néo-impressionnisme et qu’il est plus juste, dans un contexte international, d’appeler divisionnisme.

Seurat ne se borne pas à ce contrôle strict de la couleur et de la touche. Ses grandes compositions reflètent également son ambition de réaliser des œuvres totalement orchestrées, consciemment agencées dans les moindres détails de leurs lignes et de leurs volumes. Son admiration pour le coloriste qu’était Delacroix est contrebalancée par son attirance pour l’art égyptien, pour la tradition classique de Poussin et d’Ingres, pour les amples frises de Puvis de Chavannes. Une structure construite sur une rigoureuse géométrie, des recherches de consonances harmoniques comme celles de la Section d’or, des figures emprisonnées dans l’immobilité de leur volume, toutes ces exigences trouvent leur aboutissement dans la Parade, scène de la vie quotidienne transposée dans un monde sans profondeur ni accidents fortuits et baigné d’un silence intemporel.