Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

seuil

Limite inférieure de manifestation ou de variation d’un phénomène.


Historiquement, la notion de seuil a tout d’abord été utilisée dans les études de neurophysiologie. Dès le milieu du xixe s., on eut l’idée d’évaluer l’amplitude de la contraction d’un muscle sous l’action d’un courant électrique et l’on constata que ces contractions n’apparaissent que si l’intensité de la stimulation dépasse une certaine valeur, appelée alors seuil d’excitation (aujourd’hui rhéobase), et l’intensité qui atteint ce seuil fut dite « liminaire ».

Cette notion de seuil d’excitation constitue donc la première relation quantitative entre un stimulus et la réponse spécifique d’un organe vivant. Les nombreuses études réalisées par la suite ont élucidé la raison d’être d’un tel seuil. Un potentiel d’action ne se développe, en effet, que si la dépolarisation de la membrane de la fibre nerveuse a atteint un niveau critique : cette membrane possède donc une certaine stabilité, qui disparaît lorsque le seuil est franchi (C. Kayser).

On peut ainsi parler de seuil pour tout système, organique ou non, possédant une stabilité limitée et manifestant une réaction (chimie, photosynthèse, biologie, etc.) lorsque l’élément inducteur, ou stimulus, atteint un certain niveau d’action, auquel le système répond par une modification de son état.

Le fonctionnement des organismes est aujourd’hui conçu comme l’« expression même, concrète, de la biodynamique », où « la notion de renouvellement est inséparable d’un état stationnaire dans un organisme [...] en équilibre physiologique » (F. Chevallier). Pour maintenir un état stationnaire dans un organisme, il y a intégration de seuils élémentaires aboutissant au fonctionnement global d’une cellule, d’un tissu, d’un organe, d’un individu et, également, d’un groupe d’individus lorsqu’il s’agit d’une société animale — chacun dans son milieu.

Afin que cet état stationnaire soit constamment adapté au milieu, il ne suffit pas que le seuil forme une limite à un phénomène unidirectionnel ; le seuil devient un fléau de balance, un axe, dans une situation mouvante ; il délimite deux zones, deux contraires, deux situations réversibles, dont l’une prépare l’autre à chaque instant.

Soit, par exemple, un seuil différentiel de perception : une Mouche à jeun rencontre du sucre, qui stimule les récepteurs chimiques de ses pattes et provoque l’extension de sa trompe. Les récepteurs oraux viennent alors en contact avec le sucre : c’est d’eux que va dépendre le comportement ultérieur de la Mouche. S’ils ont un seuil de réception bas — qui dépend, par exemple, de l’état de l’intestin, transmis au cerveau par un nerf récurrent —, la Mouche suce le sucre avec sa trompe. Mais, au fur et à mesure que s’effectue la prise de nourriture, l’intestin se remplit : le seuil des récepteurs oraux s’élève jusqu’à un niveau tel que la succion cesse. La Mouche, cessant de s’alimenter, son intestin se vide peu à peu de son contenu et le seuil des récepteurs change en sens inverse jusqu’à la reprise de la succion, et ainsi de suite. Toutes les sciences de la vie — depuis la psychologie expérimentale jusqu’à la génétique (v. groupe [effet de]) — ont tiré profit de ces notions, désormais classiques.

Il convient de mettre aussi l’accent sur l’aspect relatif des seuils tels qu’on les a définis ci-dessus.

Par exemple, beaucoup d’animaux manifestent une réponse d’orientation et de déplacement à la lumière — « tactismes » positifs s’il y a attirance vers la source lumineuse, négatifs dans le cas contraire. La plupart des mécanismes connus présentent une alternance de signes dont le changement est régi par un seuil (setting mecanism des Anglo-Saxons). De nombreux facteurs peuvent inverser les réponses : température (l’Abeille est photonégative au-dessous de 16 °C et positive au-dessus), stade de croissance, moment de la journée, saison, état biologique..., ils peuvent combiner leurs effets ou, au contraire, s’exercer contradictoirement. Force est alors de concevoir une forme d’« additivité » complexe des facteurs en jeu, parfois fort difficile à analyser et à quantifier. Quoi qu’il en soit, le changement de signe de la réponse à la lumière se présente toujours comme la véritable réversion d’un seuil de sensibilité de l’animal, dont la réponse est toujours prête à basculer dans un sens ou dans l’autre.

Ainsi défini, le concept de seuil rejoint les bases de la cybernétique* : les systèmes à rétroaction, ou feed-back, contiennent implicitement cette notion. C’est par l’existence de seuils que s’opère la régulation de nombreux systèmes vivants et que le phénomène biologique acquiert sa capacité de régulation, décrite maintenant de façon de plus en plus précise (H. Laborit), et, en conséquence, son indépendance vis-à-vis du milieu naturel.

Tirant son origine d’une notion quantitative physiologique simple, le concept de seuil, dans l’état actuel de nos connaissances, constitue le moyen d’expression d’une forme de réalité mouvante et complexe.

Seuils et physique du discontinu

La stupéfiante petitesse de certains stimuli déterminant une « réponse » le long des nerfs sensoriels de certains animaux donne à penser qu’on atteint alors le voisinage du quantum d’énergie. Une Blatte ressent une vibration mécanique dont l’amplitude ne dépasse pas un cinquième du diamètre de l’atome d’hydrogène (au niveau optimal de fréquence, soit 1 400 Hz), mais l’Homme ressent comme un son à 2 000 Hz, une vibration encore deux fois plus petite. L’œil de Limule réagit à l’impact d’un seul photon, tandis que l’œil humain en exige sept ; la photosynthèse végétale est déclenchée pour quatre photons. Une seule molécule d’acide butyrique impressionne l’odorat du Chien ; l’Anguille réagit à l’alcool β-phényléthylique à raison de trois ou quatre molécules atteignant l’organe olfactif à trois secondes d’intervalle (dilution : 1 mg dans 17 milliards de mètres cubes, soit le volume du lac de Neuchâtel). Dans de tels cas, c’est apparemment la structure granulaire de la matière et de l’énergie qui marque seule la limite inférieure de la sensibilité.

H. F.

S. F. B.

➙ Sensation.