Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

sculpture (suite)

Pour la taille de la pierre, on dispose donc ainsi d’un modèle à grandeur qui servira de référence constante au praticien (qui n’est généralement pas l’artiste créateur, mais un homme d’atelier, ou un disciple) ; à côté, un bloc du matériau choisi. Une première opération, souvent faite sur les lieux mêmes de la carrière, consiste, avec des instruments élémentaires comme le pic et la pioche, à faire sauter les grandes masses inutiles pour faciliter le transport du bloc. Le dégrossissage constitue une étape un peu plus avancée, conduisant à l’ébauche de la forme voulue. Le praticien procède ensuite à la taille des plans principaux, puis, avec prudence, affine son travail en s’aidant de la mise au point : il se sert pour cela d’une sorte de compas à trois pointes dont les bras s’articulent. Il trace des points de repère sur le modèle et les reporte grâce à son instrument sur le bloc dégrossi. La densité de points augmente au fur et à mesure, pour parvenir à une équivalence avec le modèle. Le maître peut intervenir pour des modifications ou pour la finition. Cette technique semble remonter au moins au Moyen Âge et elle permet à un atelier disposant d’habiles praticiens une production abondante. Au xixe s., on inventa un appareil plus perfectionné, le pantographe, qui sert à obtenir des réductions et des agrandissements par rapport à un modèle donné. Pour travailler la pierre, le praticien utilise plusieurs instruments : la pointe pour la faire éclater, le trépan pour creuser un trou, la laie pour élaborer des surfaces planes, la boucharde pour écraser les saillies ; il frappe avec un maillet et dispose de ciseaux variés, pieds-de-biche, rondelles ; les gradines donnent des stries régulières bien reconnaissables. Avec des ripes, des râpes et des abrasifs, il procède à la finition, c’est-à-dire obtient des surfaces lisses susceptibles d’être polies pour ajouter un éclat brillant.

La taille du bois suit les mêmes étapes que celle de la pierre, mais doit tenir compte des contingences inhérentes au matériau, il faut opérer dans le sens du fil du bois, faire attention aux nodosités, dont on peut tirer, parti dans le modelé. Les outils sont différents : gouges, rabots, burins, rifloirs, herminettes, râpes, instruments dont beaucoup sont ceux du menuisier et de l’ébéniste. L’œuvre terminée peut être traitée avec des teintures et des vernis, ou revêtue d’un enduit et peinte ou dorée.

Pour le métal, on obtient l’œuvre définitive en procédant à la fonte à partir d’un moule qui constitue (comme dans le cas d’un modèle en plâtre à grandeur) le négatif de la sculpture. Des trous appelés évents et jets sont ménagés dans ce moule. Son intérieur est enduit d’une couche de cire, d’une épaisseur égale à celle que l’on souhaite pour le bronze ; le reste est rempli d’un noyau de terre réfractaire. Une cuisson fait fondre la cire évacuée par les évents — d’où la dénomination à cire perdue pour ce procédé — tandis que l’alliage en fusion est versé par les jets (un autre procédé, le moulage au sable, qui n’utilise pas la cire, est employé notamment pour des pièces de forme peu complexe). Quand le métal a refroidi, la statue est dégagée du moule. Sur sa surface rugueuse et mate, le réparage — exécuté avec des outils comme la lime, le racloir, le ciseau, le burin, la pierre tendre — permet d’enlever les irrégularités, les traces d’assemblage du moule, de boucher les trous, de nuancer les effets de surface (plus ou moins brillante), de ciseler les détails. Pour empêcher l’oxydation, on enduit l’œuvre terminée de bitume ou de résine, à moins qu’on ne préfère la patine naturelle ou une patine artificielle. Pour les grandes pièces, on peut procéder à plusieurs fontes et assembler ensuite les parties par soudure. L’œuvre en bronze peut être dorée soit sur toute sa surface, soit pour souligner des détails.

D’autres techniques sont à envisager pour le métal : martelage, repoussé, assemblages divers ; elles sont exceptionnelles dans le domaine de la sculpture, sauf de nos jours.

F. S.


Place du sculpteur

La notion de sculpture décorative peut correspondre à une hiérarchie parmi les sculpteurs, les « ornemanistes » étant au bas de l’échelle, cependant qu’une dignité particulière s’attache à ceux qui sont aptes à faire la « figure » ; mais les frontières restent parfois floues. Des distinctions apparaissent aussi selon que l’artiste s’adonne à la sculpture sur bois, en marbre, en bronze, et l’on constate que certains n’ont pratiqué que telle matière, ou ne se sont essayés qu’exceptionnellement sur d’autres. La situation est loin d’être équivalente à toutes les époques et il faut tenir compte des modes, qui s’imposent aux sculpteurs comme à leurs contemporains qui commandent ou qui jugent. La position sociale de l’artiste est aussi fort variable. Il semble bien que, dans la Grèce classique, les grands maîtres, comme Phidias*, aient joui d’une situation privilégiée au niveau de l’élite intellectuelle de l’époque, et il en fut de même à la période hellénistique. Il n’est pas sûr que le tailleur d’images du Moyen Âge ait été cantonné dans un rôle obscur et anonyme d’artisan et d’exécutant ; signant parfois ses œuvres, il est assurément plus en vue que le fresquiste.

La question de la préséance entre sculpteur et peintre est encore du domaine de la controverse, et la réponse a varié selon les époques. Plus près de la matière, astreint à un effort physique considérable, le sculpteur aurait tendance à apparaître comme très proche du travailleur manuel. Et pourtant, à la Renaissance, un Ghiberti* prend une haute conscience de son talent et de son importance dans la civilisation de son temps et n’hésite pas à se faire son propre historiographe. Un Michel-Ange*, polyvalent comme beaucoup d’artistes de son temps, a proclamé hautement la primauté de l’art du relief. Plus tard, l’aspect artisanal du sculpteur reprend le dessus, alors que le peintre (qui est surtout désormais un peintre de chevalet) passe pour être d’une essence supérieure, montre généralement plus de culture et s’élève dans l’échelle sociale. À l’époque moderne, du xviie au xixe s., le sculpteur, dans sa rude tenue de travail, le maillet et le ciseau à la main, laisse volontiers l’image d’un homme fruste. Il y a des exceptions : des artistes comme Edme Bouchardon* étaient cultivés et menaient une vie de grands bourgeois. Et Falconet*, s’il fut un autodidacte, se piquait de lire le latin et écrivait d’abondance sur son art. Comme Pigalle*, il fréquentait les milieux brillants des encyclopédistes.