Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Savoie (suite)

La conquête et l’occupation romaines

Au cours de la deuxième guerre punique, la traversée des Alpes par Hannibal en 218 av. J.-C. met en conflit pour la première fois les Allobroges avec le monde extérieur. Après cet épisode, l’histoire ignore pendant un siècle ce peuple celtisé (sinon celte), dont le statut ethnique est aujourd’hui remis en question, de même que celui des prétendus Ligures, dont le nom semble avoir été donné par les Grecs aux moins civilisées des populations de la Méditerranée occidentale sans tenir compte de leur appartenance linguistique.

Les Romains, désireux de relier leurs possessions italique et ibérique, interviennent à leur tour à la fin du iie s. av. J.-C. Vaincus près de Vindalium, au confluent du Rhône et de la Sorgue de Vaucluse en 122 av. J.-C. par le consul Cneius Domitius Ahenobarbus, puis près du confluent du Rhône et de l’Isère en 121 av. J.-C. par le consul Fabius Maximus, les Allobroges, secourus en vain par les Arvernes, sont assujettis à Rome en 118 dans le cadre de la Province organisée par Domitius Ahenobarbus avec Narbonne pour capitale. Ils sont victimes de l’invasion des Cimbres et des Teutons entre 109 et 101 av. J.-C., et sont exploités à partir de 75 av. J.-C. par des gouverneurs peu scrupuleux, tels le propréteur Marcus Fonteius, le proconsul Caius Calpurnius Pison, le propréteur Lucius Licinius Murena et le questeur Clodius. Ils se révoltent sous la direction de Catugnatus, menacent Narbonne, mais sont contraints à déposer les armes en 62 av. J.-C. par Manlius Lentinus. Protégés d’une irruption des Helvètes par César en 58 av. J.-C., épargnés par la guerre des Gaules, ils acceptent finalement la domination romaine au temps d’Auguste, qui fait de leur territoire essentiellement bas-savoyard la « cité de Vienne ». Quant aux tribus voisines qui contrôlent les cols alpestres, elles sont soumises à l’Empire romain au terme d’une longue lutte. Cette conquête commence en 25 av. J.-C. par l’occupation du pays des Salasses (val d’Aoste), où le consul A. Terentius Varro fonde la colonie d’Augusta Praetoria ; elle s’achève en 7 av. J.-C. par la soumission définitive des Ceutrones et des Vallenses, tribus occupant respectivement la Tarentaise et le Valais, et par la création de deux petites provinces impériales gouvernées par des préfets, auxquels Claude substitue des procurateurs équestres : les Alpes-Grées (Chamonix, Beaufortain, Tarentaise) et les Alpes-Cottiennes (val de Suse, Briançonnais, Maurienne), la première étant totalement savoyarde et la seconde l’étant partiellement.

Les vainqueurs mettent aussitôt en place un important réseau commandé par les cols alpins et comprenant deux axes essentiels orientés d’est en ouest : Milan-Genève par le col du Petit-Saint-Bernard ; Milan-Lyon ou Milan-Genève, détaché du précédent à Ad Publicanos (auj. Albertville). Parcourues par de nombreux compétiteurs à l’Empire au lendemain de la mort de Néron en 68 apr. J.-C. ou après celle de Commode en 192, ces voies ne sont que modérément empruntées par les immigrants italiens, qui sont en grande majorité des fonctionnaires envoyés en mission ou des commerçants venus s’établir librement dans cette contrée.

En fait, seules les régions marginales, celle de Vienne notamment, sont réellement colonisées par des citoyens romains. C’est qu’elles se trouvent innervées par les deux grands axes de communication terrestre et fluvial empruntant respectivement la vallée du Rhône et le bassin du Léman, où les Nautae Rhodanici de Lyon, les Ratiarii superiores de Genève et les Nautae lacus Lemanni de Lausanne assurent le trafic des pondéreux : amphores romaines du Narbonnais méridional, d’Italie et de Grèce ; amphores à huile de Bétique ; céramique allobroge (poterie noire) ou sigillée d’Arezzo, de la Graufesenque ou de Lezoux. Par cette voie sud-nord se renouvelle également le patrimoine agricole de la Savoie, où les Romains introduisent la culture du blé dur, celle des fèves et des choux, celle, enfin et surtout, de la vigne, qui gagne vers le milieu du ier s. les coteaux de l’Arve, de la cluse de Chambéry et de la Combe de Savoie (vin rouge des Allobroges).

C’est d’ailleurs le long de cette voie ou à proximité que s’établissent les villes. Certaines ont une vocation thermale, qu’attestent les bains de Menthon-Saint-Bernard, de Bromines, de La Caille, de La Bauche et surtout d’Aquae (Aix-les-Bains) avec son arc de Campanus. Les plus importantes ont une fonction commerciale : Genève, qui, extérieure à la Savoie, en capte pourtant les courants commerciaux qui l’irriguent ; Condate (auj. Seyssel), qui exporte jusqu’à Lyon le calcaire fin de ses carrières, mais qui bénéficie surtout de la pente du Rhône, contraignant la batellerie à une rupture de charge dans son port ; Boutae, enfin, riche centre métallurgique au débouché septentrional du lac d’Annecy. À l’intérieur du massif alpin, par contre, la vie urbaine ne peut se développer que dans les vallées principales : Tarentaise avec Bergintrum (Bourg-Saint-Maurice), Brigantio (Villette) et surtout Axima (Aime), chef-lieu de la Civitas des Ceutrones, capitale des Alpes-Grées, résidence du procurateur impérial, marché et centre minéralier important (mines de plomb argentifère de Mâcot) ; Combe de Savoie avec Ad Publicanos (Albertville), où est perçu le quarantième des Gaules, Mantala (Saint-Pierre-d’Albigny) et Voludnia, tête de navigation sur l’Isère ; cluses d’Annecy avec Casuaria (Faverges) et de Chambéry avec Lemincum (Lémenc).

La romanisation est assez lente, mais assez profonde pour qu’il soit difficile de distinguer parmi les notables ceux qui sont d’origine romaine (ou grecque parfois) et ceux qui sont de souche indigène. Sans aucun doute, ces derniers, les plus nombreux, dominent la vie municipale.

Ces notables résident le plus souvent dans de confortables villas, dont un millier environ a été recensé dans le bas pays savoyard. Ils recourent au service d’un vilicus (chef de culture) et d’une main-d’œuvre libre ou servile pour mettre en valeur leur domaine foncier (fundus), dont la superficie varie entre 100 et 300 ha. Quant aux terroirs haut-savoyards, ils semblent bien être restés jusqu’au Moyen Âge la propriété des communautés agro-pastorales locales, qui les exploitent dans le cadre de l’unité rurale du val.